Magazine Beaux Arts

Daumier honoré par la BnF

Par Savatier

 Baudelaire écrivait, dans son Salon de 1845 : « Daumier dessine peut-être mieux que Delacroix. » Connaissant l’admiration quasi inconditionnelle que le poète nourrissait pour le peintre des Femmes d’Alger, ce n’était pas un mince compliment. Pour célébrer le bicentenaire de sa naissance, la BnF rend un hommage à Daumier, que Balzac avait qualifié de « Michel-Ange de la caricature ». Deux expositions lui sont consacrées (jusqu’au 29 juin), la principale rue de Richelieu – que mon maître et ami Claude Pichois appelait, non sans humour : « la vraie Bibliothèque nationale » –, l’autre sur le site François Mitterrand. Passons rapidement sur cette dernière qui occupe les murs de l’allée Julien Cain. Intitulée Les héritiers de Daumier, elle montre en parallèle des caricatures du maître et d’autres, de dessinateurs contemporains (Plantu, Cabu, Tim, Reiser, etc.) La démarche, qui insiste sur le jeu des influences inévitables, est plus que séduisante, mais on peut regretter à la fois le faible nombre des dessins exposés et, surtout, le lieu lui-même, qui, après tout, n’est qu’un couloir.

La galerie Mazarine du site Richelieu offre un espace nettement mieux adapté, mettant en

valeur une sélection judicieuse de quelques 220 lithographies (sur 4000, composées entre la Monarchie de Juillet et la chute du Second Empire).

Admiré de Degas, de Manet et, donc, de Baudelaire, Daumier fait figure de père de la caricature politique et du dessin de presse. S’il ne fut pas le premier à traiter ce genre (qui se développa surtout avec la Révolution), il sut, grâce à son talent, surpasser l’ensemble de ses contemporains. Chacune de ses lithographies présente une vigueur de trait, une puissance de contraste, une maîtrise des ombres et des lumières qui forcent l’admiration ; rarement artiste put tirer autant de nuances et de vie d’une palette de gris.

Rien, ou presque, n’échappait à son œil acéré. Observateur de la vie parisienne, il croquait les travers de ses contemporains : les bons bourgeois, les visiteurs du Salon, les collectionneurs d’estampes ou le monde du théâtre. Nul mieux que lui s’attaqua au pouvoir, ce qui lui valut – fait unique dans l’Histoire de la France – d’être le seul caricaturiste condamné et incarcéré, pour avoir représenté Louis-Philippe en ogre. La postérité vengera Daumier, puisqu’au nom de ce roi, chacun relie la célèbre tête en forme de poire dont il fut l’auteur.

Ses charges de ministres et de parlementaires frôlent la férocité, de même que celles des gens de justice. Il y a fort longtemps, le bâtonnier Francis Mollet-Vieville (qui fut l’avocat de Romain Gary en pleine affaire Ajar) m’avait confié que, dès son élection au bâtonnat de Paris, il avait fait retirer toutes les caricatures de Daumier accrochées aux murs du Palais, car il trouvait qu’elles donnaient de la justice en général et des avocats en particulier une image déplorable. Malgré le grand respect que j’avais pour ce ténor du barreau, je ne pouvais approuver son geste. Certes, Daumier tournait les gens de robe en ridicule, mais, comme disait Sacha Guitry : « redouter l’ironie, c’est craindre la raison. »

Parmi les autres cibles de Daumier, on comptait les bas-bleus (et il est difficile de ne pas penser à George Sand ou à Louise Colet en regardant ses dessins) et les médecins. Il n’épargnait pas davantage

les philanthropes : une caricature en représente quelques-uns, festoyant lors d’un banquet, qui ne se distinguent de leurs descendants contemporains que par le costume… Curieusement – peut-être par crainte de la censure – il s’attaqua peu au clergé – sauf pour défendre Voltaire –, alors qu’il revisita de façon magistrale les mythes de l’antiquité (La Chute d’Icare, Le Beau Narcisse, etc.) Chacun de ces thèmes est naturellement abordé au fil de l’exposition. Combattant l’hypocrisie, épris de liberté, il n’y a guère que le peuple qui échappait parfois à son crayon impitoyable. Il le représentait souvent dans une veine réaliste qui n’était pas sans rappeler celle de Courbet – notamment pour les scènes de lutteurs.

Ce qui frappe, dans l’ensemble de ces caricatures, c’est leur étonnante modernité. Elles n’ont pas pris une ride, et on se prend à imaginer le parti qu’il aurait pu tirer de notre vie publique, si riche des travers qu’il aimait épingler.

Illustrations : Daumier - Le Public du Salon - La Dispute - Les Philanthropes.


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