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Un pied dans l’univers Butô de Juju Alishina

Publié le 18 juillet 2013 par Estelle Pinchenzon @on_y_danse

Rencontre avec Juju Alishina, professeure, danseuse, chorégraphe de Butô et auteure de ’Le corps prêt à danser, secrets de la danse japonaise selon la méthode Alishina’

Juillet 2013

Fin d’une après-midi de juillet. Juju Alishina me convie à la fin de son cours. J’arrive pour les trente dernières minutes d’une longue après-midi de stage intensif. La musique joue des notes aux sonorités animales et végétales. La moitié des stagiaires présents s’engage dans une danse où la liberté s’engouffre dans chaque partie du corps, les yeux clos. L’autre moitié reste aux aguets pour éviter les chocs entre ces danseurs devenus aveugles. Juju est présente, elle danse elle aussi, et ses mouvements sont comme un envoûtement. La musique fait corps en elle. Elle s’abandonne pour laisser vivre les sensations

Je reste longtemps à la regarder, stupéfaite de son « fluide » et de sa stabilité au sol. C’est d’autant plus flagrant que ses élèves autour d’elle n’ont pas le pied aussi sûr.

Un pied dans l’univers Butô de Juju Alishina

Quelques minutes plus tard, me voilà assise auprès d’elle, essayant de lui poser mes quelques questions préparées sur sa danse butô, sentant mes propos vides tant ses gestes étaient plein.

J’entrevois la nécessité d’improviser, essayer de capter ce que son corps ne pourrait me dire en paroles, et me voilà entrer tout doucement dans son univers…

Le travail du danseur de Butô

Le danseur de Butô doit avant tout apprendre à ressentir. Juju m’exprime combien il doit être en connexion avec le monde qui l’entoure. Elle invite souvent ses élèves à fermer les yeux et éveiller leurs autres sens. Elle les emmène parfois à déambuler dans les rues parisiennes, par binôme, l’un expérimentant le monde des sensations les yeux bandés, et l’autre le guidant par la main.

Un pied dans l’univers Butô de Juju Alishina

L’ancrage au sol est un des axes forts. Jusqu’à l’âge de 30 ans, Juju ne dansait qu’à même le sol, créant ce rapport intime avec lui. Puis elle s’est relevée pour créer une autre danse plus personnelle. Elle sourit en me disant que les spectateurs peuvent désormais la voir danser.

Passionnée par ce contact privilégié avec le sol, je lui demande un petit exercice à pratiquer pour favoriser l’ancrage. Elle prend mon cahier pour y gribouiller un petit bonhomme posé sur un globe. Elle relie par un triangle ses deux pieds avec le centre de la terre et me fixe du regard : « il faut avoir conscience de cela ».

Le travail du dos fait également partie du long apprentissage de cette danse. Pour des raisons esthétiques le dos peut être volontairement cambré sur scène. Autrement, la colonne doit, comme dans la plupart des danses, rester bien alignée.

Le Butô se danse beaucoup dénudé, considérant que le corps doit pouvoir exprimer sans artifice ce qu’il a de plus pur. Il s’agit aussi d’expérimenter la sensation de liberté. Néanmoins, Juju n’impose rien à ses danseurs. Elle me soumet quelques dérives de producteurs imposant la nudité pour unique raison d’attirer des spectateurs aux yeux pas si bienveillants.

L’avenir du Butô

L’esprit traditionnel du Butô se perd. Il ne réunit plus une communauté soudée de danseurs comme au sortir de la seconde guerre mondiale au Japon, arborant principes politiques et philosophiques et où la formation s’étalait sur de nombreuses années. Les compagnies emploient des danseurs déjà formés ou pratiquant divers styles, allant du contemporain au hip hop. Alors que les gestes sont à l’origine très « intérieurs », les formations éclaires d’aujourd’hui amènent les danseurs interprêtes à simplement recopier sans ressenti. Le spectateur manque d’un œil aguerris pour voir la différence.

Malgré tout, Juju reconnaît le rôle de l’Occident qui, selon elle, a sauvé le Butô. Au Japon, les populations se sont tournées vers le hip hop, la street dance, la pop, où l’enseignement leur paraît moins fastidieux et où les objectifs à atteindre sont visuellement quantifiables (lever la jambe jusqu’à l’oreille, faire trois tours). Rien à voir avec le Butô où il faut patiemment étudier tout ce qu’il se passe à l’intérieur de son corps et comprendre l’origine profonde de chaque mouvement, sans performance directement visible.

Elle trouve chez le public intellectuel français une considération de plus en plus répandue.

Un pied dans l’univers Butô de Juju Alishina
Juju, toujours à l’écoute de son environnement, a conscience qu’il faut faire avancer sa danse à la vitesse du monde. Contrairement au Butô traditionnel qui se doit de rester immuable, son Butô inscrit dans le monde contemporain découvre de nouvelles gestuelles au travers des racines étrangères et des autres disciplines.

A elle de conclure :   »Aujourd’hui, le Butô trouve son identité dans le monde ».

Ravie de ce moment avec elle, comme un arrêt dans le temps.

 Estelle

Juju Alishina donne des cours réguliers et des stages de danse Butô sur Paris. Elle est l’auteure de « Un corps prêt à danser, secrets de la danse japonaise selon la méthode Alishina« . Elle est chorégraphe et crée de nombreuses pièces avec sa compagnie Nuba.

Retrouvez toutes ses actualités sur son site Internet : Dansenuba.fr

Pour en savoir plus sur l’histoire de la danse Butô, rendez-vous sur wikipedia

Un grand merci à Panayota qui a permis cette belle rencontre.


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