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Tombé hors du temps de David Grossman

Par Ishtar @nadjaproduction

Tombé hors du temps de David Grossman
Qu'aurait-il été possible à David Grossman d'écrire après son roman Une femme fuyant l'annonce ? Je me suis même posé la question à savoir s'il avait écrit Tombé hors du temps avant son roman. Mais non, il l'a écrit cinq ans plus tard. Encore heureux de pouvoir écrire après une telle tragédie : la mort de son fils à la guerre. Peu importe le nom de cette guerre. Peu importe l'origine ethnique du fils ou du père. Pas plus que les motivations qui ont poussé le fils à s'engager. Toutes les guerres sont ignobles et sales. Toute guerre est antique et contemporaine. Antique et authentique est le cri poussé par l'écrivain dans ce poème hybride : un récit à plusieurs voix, aux sonorités bibliques, grecques ou,  par moment, shakespeariennes. Avec un cortège de personnages, humains ou mythologiques, l'homme qui marche, la femme, le centaure, le cordonnier, la sage-femme, le vieux professeur de mathématiques, … ou le chroniqueur qui fait penser au choeur dans les tragédies d'Echylle et qui résume les faits au Duc. Mystérieux personnages qui offrent leur voix à la douleur. Tous, unis dans la recherche de leur enfant mort. J'ai mis du temps avant de pouvoir écrire sur ce livre qui me faisait mal chaque fois que je l'ouvrais. Des mots de blessé à mort. Des mots qui ne consolent pas et qui vont hanter l'écrivain de livre en livre, en quête d'exorcisme. L'homme et sa femme, la mère de l'enfant mort interchangent les rôles et le sexe. On ne raisonne plus quand la douleur est trop grande. 
L'homme qui marche
Comme lorsque l'embryon se détache de l'utérusEt du corps de la mère,   Sa mort a fait de moi le pèreQue je n'avais jamaisÉté - Elle a provoquéEn moi un trou, une blessureEt un vide, mais elle m'a aussi rempliDe son être,Qui jaillit depuis lors en moiAvec une profusionInédite -Sa mortM'a renduApteÀ le porter.
Sa mort Fait de moi une enveloppeVide de père, et aussiDe mère -Sa mort, Me dote de seinsPour qui ne tétera pasEt sur les parois de mon utérus creuséCe jour-làSa mort grave avec les onglesD'un prisonnier évadéLe décompte des jours  Sans lui.
Ainsi, avec un ciseau transparent,Sa mort incise en moi une nouvelle :Celui qui a perdu un enfantEst éternellement Une femme.
Ce cortège questionne la mort elle-même quand ces errants s'adressent à leur enfant :
L'homme qui marche
Je t'instruisaisSur le mondeEt ses secrets,Et pardonne-moi, je te prie, pour cette questionQui te paraîtra peut-être stupide...Qu'est-ce que la mort, mon. Fils ?
...
Ou 

Le Cordonnier 

En fait, je voulaisTe demander comment c'est,Ma fille, quand on est mort.Et comment c'est pour toiLà-bas.Et qui tu esLà-bas.
J'ai écouté la mise en lecture du récit au festival d'Avignon dans une émission de France culture mais je ne l'entendais pas ainsi en le lisant dans mon silence. L'interprétation me semble trop retenue ou bien suis-je trop grecque, arabe, orientale moi-même pour comprendre cette interprétation.
En terminant la lecture je lis deux dates 2009-2011. Long labeur d'écriture. Long acouchement.

Tombé hors du temps, récit pour voix, David Grossman, traduit de l'hébreu par Emmanuel Moses (Seuil), 204 p.
Une femme fuyant l'annonce, roman de David Grossman, traduit de l'hébreu par Sylvie Cohen, Seuil, 666 p.

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