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Avignon 2013 : la menace de Swamp Club

Publié le 02 août 2013 par Belette

C’est à Vedène, à quelques kilomètres d’Avignon, que Philippe Quesne et le Vivarium Studio ont installé leur très déconcertant Swamp Club. Ce "club du marais" réunit artistes de théâtre, musiciens, spectateurs et individus soucieux de rompre avec le quotidien autour d’un même projet, formulé par l’une des actrices : "prendre le temps". Philippe Quesne nous invite à pénétrer dans le temps étiré et la lumière diffuse du Swamp Club, ce qui n’est pas sans danger…

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© Martin Argyroglo

Dans un marais aux lumières troubles, un club accueille des artistes en résidence pour une durée variable avec des moyens illimités. En effet, il est financé par une inépuisable mine d’or qui se trouve sur le site. Grâce à cette indépendance miraculeuse, il offre un refuge autarcique à qui veut. Ici, le temps est au ralenti, l’espace se modifie sans cesse à cause du brouillard et chaque manifestation vivante revêt un caractère irréel. Les animaux, immobiles, veillent sur l’endroit, tandis que les hommes et les femmes déambulent lentement entre les buissons, la grotte dont nous ne voyons que l’entrée, et la maison, dont nous ne voyons qu’une façade, celle qui donne sur le studio d’enregistrement. Cube fermé et vitré pour que l’on puisse voir à l’intérieur, celui-ci voit passer et repasser les protagonistes de la pièce. Seul le quatuor à cordes invité sur scène s’y installe pour jouer pendant quasiment toute la pièce.

Même si on a affaire à un théâtre qui déplace les codes classiques au profit d’une esthétique post-moderne où tous les éléments scéniques se valent, sans hiérarchie, la musique accompagne plus qu’elle ne signifie. Elle participe en fait de la déréalisation générale opérée par le spectacle et à laquelle les spectateurs doivent céder, sous peine d’être totalement largués. Les protagonistes disent avec lenteur un texte qui traite des événements décalés comme des petites choses du quotidien : une taupe de taille humaine surgit de la grotte, malade, pour annoncer un danger imminent. Aussitôt, les occupants du Swamp Club se lancent dans un entraînement de défense aussi réglé que dérisoire. Maladroitement armés de bâtons trop grands complétés par de la dynamite mouillée, leur impuissance est à la fois comique et déstabilisante. Décontenancés, mal à l’aise, nous devons accepter de nous perdre dans cette dramaturgie de la fumée, sans savoir si une révélation nous attend derrière.

Plus qu’une métaphore du monde artistique menacé par les logiques néo-libérales, c’est la question de l’image que Philippe Quesne met en jeu : que voit-on ? Ce que l’on voit est-il la vérité ? La fumée, les lumières, l’eau du marais, les baies vitrées de la maison constituent à la fois des passages et des miroirs pour le regard. Ce dernier est invité à se démultiplier par la pluralité des supports qui lui sont offerts, et par la remise en question du statut de la fiction. Les photographies urbaines de Martin Argyroglo apportent un contraste à l’esthétique onirique de l’ensemble. Des personnages fictionnels tels que Robin des Bois surgissent tout à coup à côté des véritables acteurs et musiciens, qui performent eux-mêmes une mise en abyme du théâtre en nous proposant, par l’intermédiaire de la narration, de visiter le club — c’est-à-dire le théâtre.

Que voulons-nous voir ? De quelle manière le regard est-il orienté ? diffracté ? retourné ? Ces questions me font penser à une expression que j’aime bien mais dont je ne me souviens plus l’origine : "la vérité ne tombe pas des arbres". Cela signifie : la vérité est complexe, et voir quelque chose ne suffit pas à le connaître. Les jumelles de Robin des Bois apparaissent bien dérisoires face au danger diffus et invisible auquel font face les membres du Swamp Club… À moins que celui-ci ne vienne de l’intérieur, comme le suggèrent à la fin les yeux rouges clignotants et menaçants des hérons du marais, qui nous regardent, immobiles et glacés.

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Photos © Martin Argyroglo


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