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Le jargon mal du siècle ?

Par Bureaudestyle

Le jargon mal du siècle ?

Où Molière en profite pour « se faire » le jargon médical. On n’oserait plus aujourd’hui.

L’autre jour sur mon mur Facebook je collais le texte suivant qui m’avait été envoyé par mon hébergeur OVH.

« La clé SSH n’est pas utilisable
à partir d’un autre serveur, uniquement de notre backoffice
au Canada. Et donc dans la mesure où le client n’a
pas enlevé notre clé SSH et n’a pas changé de mot de
passe root, nous avons immédiatement changé le mot
de passe de son serveur dans le DC à BHS, afin
d’annuler ce risque là. Un email sera envoyé aujourd’hui
avec le nouveau mot de passe. La clé SSH sera désormais
effacée de manière systématique à la fin de la
livraison du serveur aussi bien au Canada qu’en
Europe. Si le client a besoin d’Ovh pour le support
il devra réinstaller une nouvelle clé SSH. »

C’était un mail destiné à expliquer de nouvelles normes de sécurité au plus grand nombre ; il a donc totalement failli à sa mission pédagogique. Par contre, il a eu le mérite de faire rire beaucoup de monde. Donc, faute à moitié pardonnée, si le « genre jargonneux » fait rire alors il a déjà rempli une bonne partie de la mission du texte : distraire et étonner.

Voir à ce propos,  « Le médecin malgré lui » ou « Les femmes savantes » chez Molière où le jargon est délibérément utilisé par l’auteur pour ironiser sur certaines couches de la société.

En revanche le jargon devient pesant sur le style quand on sent son auteur lourdement investi par son emploi : il y croit, mais beaucoup trop ! Les livres de consultants et d’experts, par exemple, en sont aussi lestés que les joues d’Adjani par l’acide hyaluronique.

Des psys, des coachs et des technocrates

Le jargon psy, notamment, a investi toute la littérature, et on le retrouve dans des pages où il n’a pas lieu d’être, notamment ces nombreux romans nombrilistes qui fleurissent aux maisons d’édition des 5ème et 6éme arrondissements, avatars fastidieux de longues années d’analyse. Là, la « culpabilisation » le dispute au « déni » quand ce n’est pas « le refoulement » qui leur vole la vedette, en les « interpelant » « inconsciemment » bien sûr. Désespérée, je cherche l’amant dans le placard, le mari jaloux, les coups de feu, les tartes, les engueulades et les sauts par la fenêtre, bref, ces scènes de ménage déraisonnables qui font un roman sentimental enlevé et haletant. Point. Là où le jargon passe, l’émotion trépasse. Chaque fois qu’on en appelle à l’attirail de Freud ou à Lacan, on perd une bonne occasion de faire du style, et l’amour avec.

Après, il y a le jargon managérial, qui couche volontiers avec le précédent. On le sait, les coachs et les psys bien souvent ne font qu’un. Pourtant un manuel de management ne derait pas faire l’économie du style, il n’en serait que plus persuasif. Bernique.

Je lis et tout est rance, pardon « ance » : « confiance », « perte de confiance », et surtout deux chéris absolus « transparence » et « gouvernance ». Je relis entre les lignes et devine aisément qu’à l’aune du proverbe « qui veut faire l’ange fait la bête », ces mots sont d’autant plus prisés et utilisés qu’il y a belle lurette que leur contenu a déserté les couloirs des entreprises. Pourtant, la plupart des recettes du mieux-être au travail dégoulinent de cette sauce douceâtre, de ces mots qui veulent tout et rien dire, uniquement destinés à orner les PowerPoint, façonnant – parait-il – les nouveaux « décideurs » porteurs – non pas d’eau – mais de « sens » (oups, encore un !). Pour ma part, quand j’ai refermé ces manuels, je verse une larme nostalgique sur tous les Rougon-Macquart, les Thénardiers, et les Javert de ma bibliothèque. J’invoque fébrilement tous les possédants et despotes aveuglés de cupidité du panthéon littéraire et aussi leurs exécuteurs de basses œuvres : les maîtres porions, les contremaîtres, les fermiers généraux ;  si délicieusement méchants, abusifs, piétinant allègrement le droit du travail et des droits de l’homme mais si passionnants dans leurs travers humains !

On l’aura compris, le jargon est l’anti littérature dans la mesure où il représente l’armée linguistique d’une école, d’un dogme, d’une idéologie et il est l’anti poésie parce qu’il coupe l’auteur de la possibilité de fabriquer des émotions à partir de ces bouts de ficelles magiques que sont les mots de tous les jours. « L’épure », n’oubliez pas ce terme.

Photo DR http://lewebpedagogique.com/lall/arthur-rimbaud/

Photo DR http://lewebpedagogique.com/lall/arthur-rimbaud/

Je laisserai le paragraphe de la fin à Rimbaud (Ma bohème) :

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées

Mon paletot soudain me servait d’idéal

J’allais sous le ciel, muse, et j’étais ton féal…

Définition du mot « Jargon » selon le dictionnaire Larousse

Vocabulaire propre à une profession, à une discipline ou à une activité quelconques, généralement inconnu du profane, argot de métier : Jargon judiciaire.

Familier. Langage incorrect employé par quelqu’un qui a une connaissance imparfaite, approximative d’une langue : Une copie d’examen rédigée en jargon.

Familier. Langue qu’on ne comprend pas (langue étrangère, patois, etc.) ; baragouin, charabia.


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