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Entreprises, marques, publicités : quand la mémoire crée de la valeur

Par Mbertrand @MIKL_Bertrand

Abstract: Consumer society has changed since the "Glorious Thirty". Previously, mass consummation was synonym of modernity. Nowadays, consumers prefer products which can give us the sensation of being part of history or awake their memory. 

Janvier 2013, l'enseigne Casino annonce qu'elle va faire revivre des marques disparues à travers une opération baptisée Casino Collector : les chips Flodor et le soda Pschitt.

Dans les rayons des supermarchés, la communication commerciale joue sur un sentiment de nostalgie par l'intermédiaire d'un message humoristique :

Flodor.jpg

L'idée a été unanimement saluée par les publicitaires qui travaillent sur cet angle d'accroche depuis quelques mois. En 2011 déjà, l'entreprise Juva Santé avait d'ailleurs ressuscité son célèbre slogan "Si Ju va bien, c'est Juvamine" en soulignant avec humour le contraste entre l'aspect vintage de sa communication et la modernité de ses produits :

Cette communication n'est évidemment pas gratuite. Elle est le résultat d'une stratégie marketing bien ficelée visant à attirer davantage de consommateurs. Deux hypothèses permettent d'expliquer cette tendance : soit les publicitaires ont eu une intuition de génie qu'ils tentent depuis d'exploiter, soit ils ont fait appel aux compétences des sciences humaines et sociales qui ont des élements à leur apporter dans ce domaine.

 La passion française pour l'histoire n'est en effet pas une nouveauté pour les historiens qui tentent de comprendre par l'intermédiaire de l'historiographie les motifs et les modalités de ce retour au passé qui caractérise nos sociétés occidentales contemporaines : lois mémorielles, commémorations, lieux de mémoire, polémiques mémorielles... sont autant de sujets récurrents dans l'actualité que nous tentons justement d'analyser sur ce blog.

Bien que chaque campagne publicitaire réponde aux exigences particulières d'une entreprise, il est possible de dégager deux axes principaux dans ce phénomène :

1. Valoriser l'histoire d'une marque comme gage de qualité

Cette stratégie est la plus connue et la plus démocratisée dans tous les secteurs de l'économie. Il s'agit de mettre en valeur un savoir-faire ancestral transmis de génération en génération.

Le plus souvent, elle se manifeste par la mention d'une date de fondation de l'entreprise sur l'emballage du produit ou dans le slogan.

camembert LEPETIT

Faute de pouvoir avancer l'argument de l'ancienneté d'une entreprise (et a priori d'une recette), certains adoptent d'autres techniques. C'est notamment le cas du camembert Le Rustique qui, en plus de son nom associé à la tradition, soigne son emballage en faisant mention d'un "maitre fromager" et en représentant une charette tirée par un cheval livrant des bidons de lait : 

Le Rustique

Enfin, d'autres font appel aux outils offerts par la législation pour mettre en valeur l'aspect traditionnel d'un produit : ce sont les appelations d'origine contrôlée ou protégées (AOC ou AOP), ainsi que les multiples labels censés garantir un produit du terroir :

Produits du terroir

Cette stratégie commerciale est intimement liée à la question mémorielle. 

Dans une société marchande et concurrentielle où un nouveau produit doit venir régulièrement remplacer l'ancien (dont l'iPhone d'Apple est devenu un modèle), le consommateur perd ses repères et entretient le mythe de l'obsolescence programmée. Il cherche donc parfois à se réfugier dans des marques qui peuvent lui fournir la garantie d'une longévité, gage de qualité. En somme, le consommateur adapte ses habitudes d'achat à l'air du temps : à savoir un manque de confiance en l'avenir et donc un retour vers les valeurs du passé.

En ce sens, on peut donc considérer que la publicité "Juvamine" (ci-dessus) présente une limite importante qui a visiblement échappé aux publicitaires : en opposant l'ancien et le nouveau, la marque mobilise certes à bon escient son capital mémoriel... mais en l'opposant à une série de scientifiques dans un laboratoire qui représente une modernité en totale contradiction. Au final, le message devient confus : évocation d'une science efficace mais plutôt froide versus mobilisation d'un personnage dépassé mais plutôt sympathique. Le consommateur est perdu...

L'expérience la plus aboutie et la plus réussie dans ce domaine est probablement celle du Bon Marché qui pour fêter ses 160 ans s'est offert un plan marketing ambitieux et audacieux mêlant l'histoire de l'entreprise à l'histoire de l'architecture de son magasin, l'histoire de ses vitrines, l'histoire de la mode et même l'histoire sociale des conditions de travail de ses employés.

Mise en scène du magasin, agencement des vitrines, expositions, documentaire et film animé promotionnel : "Une façon inédite de célébrer ce bel âge dans une joyeuse modernité".

Le message est clair : "Le Bon Marché revisite aujourd'hui son patrimoine à partir de motifs historiques extraits des archives de la maison et donne naissance à une collection dédiée".

L'entreprise a donc parfaitement réussi à mêler son histoire à celle de ses consommateurs et de leur pays dans un plan marketing visant non seulement à célébrer le savoir-faire de la maison, mais aussi à vendre une nouvelle collection.

2. Réveiller le lien émotionnel entre l'histoire de la marque et l'histoire du consommateur

Il faut reconnaître que la tâche n'est pas toujours aisée pour ces publicitaires qui doivent adapter des stratégies théoriques aux produits et aux entreprises. Si l'argument d'une valorisation de l'histoire de l'entreprise comme gage de qualité vaut essentiellement pour le domaine de l'agro-alimentaire ou des services, il ne peut pas être appliqué pour les domaines liés aux nouvelles technologies sans risque d'une contradiction observée avec l'exemple précédent de Juva Santé.

C'est pourquoi d'autres stratégies marketing ont été mises en place pour mobiliser l'efficacité du capital mémoriel sans recourir à l'idée de trandition. Elles consistent à réveiller le lien émotionnel qui a pu se créer entre un consommateur-cible bénéficiant généralement du meilleur pouvoir d'achat (plus de 30 ans) et l'histoire d'une marque.

C'est notamment la stratégie mise en oeuvre timidement par le groupe Casino en ressuscitant une marque comme Pschitt qui est devenu un véritable mythe pour la génération des trentenaires qui ont grandi avec le Kiki, la Nes de Nintendo et Chantal Goya :

Casino semble cependant se contenter pour le moment d'un retour modeste de marques anciennes dans ses rayons sans l'accompagner d'un véritable plan de communication visant à attirer de nouveaux clients dans ses magasins.

D'autres vont beaucoup plus loin dans la démarche. C'est le cas notamment de McDonald's qui, bien que relativement récent, s'est doté à l'échelle internationale d' un véritable service d'archives. Ses objectifs sont simples : non seulement rassembler et protéger les éléments permettant d'écrire l'histoire de l'entreprise, mais aussi participer à l'immense stratégie marketing du groupe. En proposant par exemple aux studios hollywoodiens des éléments "clefs-en-main" permettant de reconstituer l'environnement d'un restaurant McDonald's en 1980, il parvient progressivement à placer de la publicité discrète, intelligente et à moindre coût.

McDonald-s-history.jpg

Que ce soit pour leur achats courants,  ou pour les produits de luxe, les consommateurs sont visiblement prêts à mettre le prix à partir du moment où le produit dispose d'un "supplément d'âme culturel". Quarante ans après la fin des Trente Glorieuses, consommer ne suffit donc plus à donner l'impression d'entrer dans la modernité ! Cette pratique sociale doit désormais permettre de se situer dans le temps et dans l'histoire, soit en rassurant le consommateur par la légitimité inhérente à la tradition, soit en construisant progressivement avec lui un lien de complicité générationnel et émotionnel.


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