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[Dossier] La Nouvelle Originalité, ou ce que représente Pacific Rim

Par Onrembobine @OnRembobinefr
[Dossier] La Nouvelle Originalité, ou ce que représente Pacific Rim

Pacific Rim semble être venu d’un autre temps. Un temps où les blockbusters cherchaient à divertir leurs spectateurs au lieu de leur défoncer les sens, où les grosses productions évoquaient l’émerveillement enfantin et pas le cynisme désabusé, et où Hollywood voyait les idées neuves comme des sources d’inspiration au lieu de régurgitation. Décidément old-school, le nouveau film de Guillermo del Toro est peut-être le meilleur blockbuster de son genre depuis Independence Day : un exploit immense et prodigieusement imaginatif, qui illustre à quel point le divertissement de masse peut être réussi quand on laisse libre cours à la joie du cinéma.

De loin le meilleur film d’action de l’année jusqu’ici, c’est une de ces rares excellences de science-fiction qu’on a pas vu depuis District 9 et avant tout un grand spectacle sensationnel de monstres vs. robots, éloigné de toute la lourdeur solennelle et de la prétention sur-compliquée qui infecte tellement de blockbusters récents. Dans un âge où Spider-Man se sent mal dans sa peau, où Batman hésite avec les nuances ambiguës de son propre héroïsme et où Superman remet en question l’utilisation de ses pouvoirs dans un monde sombre et complexe, Pacific Rim se rappelle que parfois, il n’y a rien de plus fun que de coller quelques tartes à un monstre géant.

La référence à la superproduction de Roland Emmerich n’est pas faite par hasard : si on peut reconnaître qu’Independance Day est loin d’être un film sans faute (et que Pacific Rim est largement meilleur), les deux partagent le même ADN créatif de base : ce sont des tentatives pour prendre en main un genre précédemment visualisé à travers le charme des petits films de série B, et leur injecter un budget titanesque pour se rapprocher le plus possible des images enfantines qui habitaient nos rêves et nos imaginations. Et tous deux de choisir de faire ainsi dans le contexte d’action et de feux d’artifices héroïques et réjouissants.

Qui aurait cru qu’on applaudirait un blockbuster pour les choses qu’il ne fait pas ? Peut-être la plus grande puissance de Pacific Rim reste sa compréhension innée au sujet des choses simples qui ne sont pas forcément stupides. Comme ses origines, le scénario est ingénieusement modeste : l’objectif du récit est de mettre toutes les pièces en place pour la grande bataille finale, et au lieu de construire paresseusement son univers en laissant traîner des petits indices ou des éléments oubliés dans l’éventualité d’une suite, Pacific Rim dessine son tableau avec des personnages et des intrigues secondaires bourrés de détails qui étoffent le monde du long-métrage. Les personnages arrivent à l’écran complètement développés, dévoilant leur profondeur à travers des actions au lieu de tout expliquer au spectateur, et le film espère que des grandes idées comme une culture fan-club des Kaiju ou des villes construites à partir de squelettes de monstres se passent de justifications.

Plus intéressant encore, le schéma visuel semble consciemment rejeter les références visuelles désormais fastidieuses au 11 septembre, formulant les bastons nocturnes et aquatiques plus dans la veine des ouragans ou des tremblements de terre. De toute façon, de telles allégories n’intéressent pas del Toro ; on est ici pour les bagarres entre robots et Kaiju, et le film tient absolument parole à cet égard : les combats sont incroyables, et dans la grande tradition de Godzilla, ils n’utilisent pas la béquille contraignante du pseudo-réalisme qui caractérise tellement de bagarres et de poursuites dans les films d’action d’aujourd’hui.

Certes, Pacific Rim n’est pas le meilleur film de del Toro, mais même ses quelques imperfections semblent fidèles à son esprit rustique : il est vrai que la plupart des personnages rappellent des archétypes dignes d’un dessin-animé dont le caractère et la nationalité sont aussi discrètement communiqués qu’un combattant de base dans Street Fighter. Mais n’est-ce pas le but ? Comme Avengers, Pacific Rim semble avoir compris qu’avec un pitch absurde, il fallait éviter de se prendre trop au sérieux et laisser des archétypes être des archétypes, même quand ce sont des personnages.

Mais plus que tout, l’aspect qui distingue Pacific Rim de tous les autres blockbusters de son type, c’est l’amour. Guillermo del Toro adore ses personnages. Il adore ses monstres. Il adore son univers. Cet amour est imprégné dans chaque plan, il a adoré le monde qu’il a bâti à l’écran de la même façon que Ishiro Honda aimait le sien, et le grand Ray Harryhausen avant lui. Il adore le cinéma. Et nous, spectateur, c’est pour ça qu’on l’adore.

Donc, oui. Inutile d’encenser le film davantage (critique ICI !), Pacific Rim est génial. Disons par la suite que c’est une œuvre à voir absolument, et pas seulement pour les raisons citées plus haut. Tentons d’expliquer pourquoi…

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Certes, ce qui rend cet exercice bien plus simple qu’il ne l’aurait été autrement, c’est que même sans l’avoir vu, il y avait déjà une certitude raisonnable que le film annonçait au moins du bon : les bandes annonces étaient prometteuses, le casting était solide, Guillermo del Toro est l’un des meilleurs cinéastes de notre temps, etc. Vous voulez cinq bonnes raisons d’aller voir ce film ? OK : Cronos, Blade II, L’Echine du Diable, Hellboy et Le Labyrinthe de Pan. Voilà.

Mais ce n’est pas la seule et unique raison pour laquelle j’insiste sur l’importance de soutenir ce film en particulier. Non, en vérité, c’est parce que franchement, en tant que spectateur et cinéphile, je désespère de voir un peu d’originalité au cinéma.

Précisons avant d’aller plus loin : non, il ne faut pas forcément voir les adaptations et les remakes comme des œuvres automatiquement inférieures en soi. On peut faire un film prodigieusement original ou même révolutionnaire à partir d’une adaptation comme The Dark Knight, tout comme on peut facilement faire quelque chose d’aussi chiant à mourir que La Chute de la Maison Blanche avec une idée originale. Certaines suites, comme Star Trek II : La Colère de Khan ou Le Parrain II comptent parmi les meilleurs long-métrages de tous les temps, alors que beaucoup de désastres légendaires (The Room, par exemple…) étaient des idées originales. Mais le hic, c’est ça : quel que soit le nombre de films parfaitement louables qui ressortent de la fascination hollywoodienne actuelle avec les remakes, les reboots et les suites, un excès est mauvais pour l’esprit et nuit gravement à la santé d’une culture cinéphile. Si vous pardonnez la métaphore culinaire suivante, on peut bien aimer le poulet, mais on ne peut pas manger du poulet tous les jours. Même si certains ont déjà essayé.

Des nouvelles choses, des nouvelles expériences et des nouvelles idées forment une partie essentielle de notre développement culturel, notre esprit d’aventure, nos idéaux novateurs, et ainsi de suite. Même si ces nouvelles idées finissent par être mauvaises, l’important, c’est qu’on les a tentées. La nostalgie et les regards en arrière, c’est bien beau tout ça, mais une culture qui ne fait que regarder en arrière est une culture qui choisit de dire que ses meilleurs moments sont révolus, et je doute qu’on en soit arrivés là.

Mais puisque les productions coûtent cher et que les éléments connus sont des paris plus sûrs (du moins, en théorie…), pensez à tous les gros blockbusters qui ont dominé nos écrans récemment : Iron Man 3, Le Monde Fantastique d’Oz, Jack le Chasseur de Géants, G.I. Joe : Conspiration, Die Hard : Une Belle Journée Pour Mourir, Evil Dead, Fast and Furious 6, Star Trek Into Darkness, Man of Steel, Very Bad Trip 3, World War Z…pour la plupart, que des suites, des reboots, des remaniements, des préquels ou des remakes. Quelqu’un a même décidé d’adapter The Lone Ranger au cinéma, parce que voulez-vous ? Au moins c’est une licence ! Et ce genre de régime n’est tout simplement pas idéal pour nous, spectateur – même si beaucoup de ces films pas-très-originaux n’étaient pas des déceptions, quoique ça n’arrange pas évidemment les choses.

Bien sûr, il y a bien d’autres raisons pour célébrer Pacific Rim : del Toro est un génie et il mérite un méga-succès, pour une chose. Pour une autre, les indices de mondialisme dans le film sont encourageants : nous vivons dans un monde où les gens sont de plus en plus reliés et les frontières sont de moins en moins présentes, et un film avec un casting international d’acteurs qui trouve ses origines et son inspiration dans des sources aussi diverses que l’anime, les films Kaiju et l’horreur de H.P. Lovecraft est un signe de progrès nettement plus positif que la nostalgie agaçante du 20ème siècle où l’Amérique est le centre du monde, chose qu’on retrouve dans Battleship, Man of Steel ou encore la saga Transformers.

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Mais à chaque fois, l’argument revient au fait central : Pacific Rim est quelque chose de nouveau, quelque chose de différent. Ce n’est pas un film qui s’inspire d’un vieux dessin-animé ou d’une adaptation d’une B.D. ou d’un remake d’un autre film. Le contenu est nouveau, les idées sont nouvelles, même les personnages sont nouveaux. Cela ne devrait pas être quelque chose d’aussi rafraîchissant, mais dans un été où on nous sert Les Schtroumpfs 2 sur un plateau, c’est bel et bien le cas. Sans vouloir être cynique, si on ne fait pas des nouveaux films maintenant, que deviendront les remakes du futur ? Oui, on peut rire, mais le cycle devient exhaustif au bout d’un moment et pour ma part je ne voudrais certainement pas souffrir à travers un autre reboot effroyable de Spider-Man d’ici quelques années.

Il a des raisons pour lesquelles tellement de films qui sortent en ce moment sont inspirés de dessins-animés des 80′s ou des comics des 60′s: à l’époque, c’était des moments de nouveauté et de créativité intense. La nouveauté, c’est bien. La nouveauté devrait être encouragée. Ce n’est pas seulement une question qualité – certes, Pacific Rim avait l’air très prometteur et l’attente était haute, mais c’était également le cas avec Man of Steel, et au final, Man of Steel était un peu bordélique, pour le dire charitablement. Mon espérance, c’est que beaucoup de gens sont allés voir Pacific Rim tout simplement parce que c’était quelque chose de frais, de nouveau, de différent.

Il faut, bien entendu, admettre que la proposition n’est pas facile. Les temps sont durs, les budgets sont serrés, l’économie est dans de sales draps, la vie est incertaine et le désir pour le confort et le familier est entièrement compréhensible. Mais si on faisait quand même l’effort ? Soyons sympas et contribuons tous à encourager des films comme Pacific Rim, et Elysium, et Conjuring : Les Dossiers Warren, et Only God Forgives, et Spring Breakers, et Berberian Sound Studio, et Gravity, et Le Dernier Pub Avant La Fin du Monde. Oui, même si on n’est pas sûr. Oui, même s’ils ne nous disent rien. Oui, même s’ils nous déçoivent. Parce que si nous ne le faisons pas, les reboots, les remakes, la régurgitation et le recyclage seront encore et toujours les plats au menu. Essayons tous de faire de notre mieux pour faire du cinéma un endroit où la créativité, les nouvelles idées et l’originalité peuvent s’épanouir – et pas seulement un endroit où les franchises et les licences peuvent atteindre leur forme la plus profitable. 

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@ Daniel Rawnsley


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