Magazine Culture

L'éveil n'est pas une lobotomie !

Publié le 09 août 2013 par Anargala

Notre vraie nature est-elle  un néant dans lequel tout se vaut ?
Non. Notre vraie nature est conscience, et être conscience, c'est être sensibilité, pensée, jugement, appréciation, réaction. La conscience est tout le contraire de l'inertie, de la passivité, de l'inconscience, du néant, de l'immobilité.
Les maîtres du shivaïsme du Cachemire amoureux de cet amour universel qu'est la conscience, ne se lassent pas de le répéter : notre vraie nature n'est pas que lumière qui infuse toute chose, pareille à l'espace ou à un miroir, mais aussi et surtout pensée, réaction à ce qui apparaît, à ce qui est. Notre vraie nature est un couple : dieu et déesse s'appellent et se répondent sans fin. Le dieu est prakâsha, manifestation. La déesse est vimarsha. Ce terme est parfois rendu pas "prise de conscience". Mais son sens premier est penser, réfléchir, méditer, évaluer, cogiter, éprouver, ressentir, de façon discursive ou non. D'ailleurs, dans le Vedânta non-dualiste, vimarsha a une connotation péjorative : il est synonyme de vikalpa, "construction imaginaire dualiste", pensée dichotomique et paralysante, faux dilemme, alternative ruineuse.
La grande originalité du tantra non-dualiste est de décrire la vie véritable non seulement comme espace infini, mais aussi et surtout comme réactivité, ressaisissement, réflexion. D'où la valorisation du mouvement, du jaillissement, de la vibration, de la vie, du corps et de tout ce qui palpite, qui s'élance, qui se reproduit et prolifère, imprévisible et libre. Un autre terme désigne cette prolifération en sanskrit : prapancha. D'ordinaire, c'est aussi un terme péjoratif. Il désigne les bavardages sans fin du mental, les machinations qui n'en finissent jamais, jusqu'à ce qu'on réalise qu'elles ne sont qu'illusions. Mais la tradition Krama, la plus secrète du shivaïsme du Cachemire, emploi plutôt ce mot pour décrire la déesse conscience, le cœur du cœur de tout, l'âme universelle, quand elle compare cette déesse joueuse à un arbre qui prolifère dans toutes les directions.
L'éveil est-il donc un suicide intellectuel ? Un ascétisme morbide ? Quand j'observe le néoadvaita (la non-dualité version cool, "qui vous parle") et la scène spirituelle contemporaine, j'ai bien peur que l'on croie que oui. On entend partout "pureté", "simplicité", "c'est la faute à l'intellect ! ", "Ce ne sont que des concepts ! ", "Tout ça, c'est des mots !" et autres mantras ruineux qui, si l'on se réfère à la généalogie nietzschéenne, ressemblent fort à des symptômes de la dépression. La non-dualité n'est pas indifférence, ni haine de soi, du mental, des mots, de la liberté, de la vie. Cette expérience est tout le contraire. Elle est magnanimité, ouverture vers l'autre et intelligence.
L'éveil n'est pas une lobotomie. S'il s'agissait de cela, alors oui, Carrefour et autres temples de la consommation seraient bien plus efficaces ! Qu'il est triste de voire ces tribus de chercheurs spirituels errer dans les stages de développement personnel, où ils sont censés fuir le troupeau, mais où, en réalité, ils cultivent un comportement en tout point grégaire et conforme à la société de consommation, avec son rejet de l'intellect, de la culture, de la complexité, de l'intelligence, de l'esprit critique, du libre-arbitre et, finalement, de tout ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue.
Pour que la spiritualité ne soit plus confondue avec la mélancolie.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Anargala 10656 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine