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Russie, zone tampon et Asie centrale (A. Hermellin)

Publié le 10 août 2013 par Egea
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Ci-dessous, un texte intéressant d'Aurélien Hermellin faisant le point sur la politique russe en Asie centrale, alors que l'Otan quitte l'Afghanistan. Aurélien Hermellin est M2 sécurité défense à l'IRIS après un M1 d'histoire à Paris 4.

Russie, zone tampon et Asie centrale (A. Hermellin)
source

O. Kempf

L’OTAN, (pour les Russes, il s'agit simplement des Américains) va quitter l’Afghanistan en laissant une situation pour le moins dégradée. C'est pourquoi les Russes vont créer une zone tampon, comme avant l’intervention en 2001, ou à tout le moins tenter de la recréer.

Toutefois nous ne sommes plus en 2001, et la situation a beaucoup évolué.

S’il n’a échappé à personnes que la Russie s’est fortement renforcée ces dernières années, ses anciens royaumes clients (je reprends à dessein la terminologie du haut empire romain) d’Asie Centrale des années 1990 ont suivis dans le même mouvement des chemins assez variés et erratiques.

Mais une rapide description des pays de la région s'avère d'abord nécessaire. En préliminaire, la région est riche en ressource et il en reste à découvrir, les gens sont pauvres mais une grande partie est bien formé (merci le système communiste), l’agriculture en lambeaux emploie encore la majeure partie de la population (merci encore le système communiste !), et la région est le cadre d’une série de désastres écologiques à portée planétaire en cours et en devenirs (mer d'Aral, archipel de la Résurrection, Semiapalintinsk, déchets radioactifs des anciennes mines, pollutions des sols par l’industrie, pollution agricole, désertification…etc). Notons également que la région sert de routes aux trafics de drogue vers la Russie et l’Occident (dérivé du pavot et du cannabis) mais la culture du chanvre s’y développe dans certaines vallées. Outre le trafic de drogue, les trafics d’êtres humains et d’armes se développent. Enfin, dernière précision d’ensemble, en politique intérieure, l’Ethno-populisme est de plus en plus préoccupant dans des pays aux frontières non ethniques et il sert avant tout de marchepied électoral en flattant des opinions populaires fortement mises à mal depuis des décennies. Son potentiel de générateur de crises est exponentiel.

Commençons par le plus gros, le plus fort et le plus riche des pays : le Kazakhstan. Le pays est sous la houlette de son vieux dirigeant qui a fort bien réussi sa reconversion au capitalisme. Les ressources astronomiques du sous-sol permettent d’acheter en partie la paix sociale, qui permet la sécurité des investissements étrangers et donc l’enrichissement du pays et de ses dirigeants. Bref, presque tout va pour le mieux à quelques droits de l’homme de près, et la crainte d’une transition pas si tranquille quand le despote trépassera. De grosses sommes sont en jeu. L’alliance avec la Russie qui joue presque un remake de celle prévalant au temps del'URSS (union douanière, alliance militaire, positionnement diplomatique digne de l’Ukraine à l’ONU avant 89) devrait limiter les frictions. Si les USA ont bien tenté une OPA début fin 90-début 2000, les Kazakhs ont pris ce qu’il y avait à prendre, ont dit merci et c’est tout.

Passons ensuite au Turkménistan. Le pays des fous, dictature stalinienne reposant sur les hydrocarbures de la Caspienne et un culte au dirigeant à faire pâlir de jalousie Hitler et Staline. Le pays est un corridor tenu d’une main de fer dans un gant en titane. Il se repose sur la Russie mais n’hésite pas à faire jouer la relation avec la Chine qui à terme va lui permettre de contrebalancer l’ancien réseau de gazoducs et d’oléoducs de l’URSS. La neutralité affichée du pays offre aussi au dirigeant un bon moyen de mener ses petites affaires à l'écart. Toutefois le futur transcaspien offrant un troisième client (l’UE au travers du réseau azerbaidjanais) reste lié à la bonne volonté de Moscou. Tout comme la liaison avec la Chine, nous verrons après pourquoi.

Ensuite, le Tadjikistan. Ventre mou de l’Asie centrale, en proie à une rébellion intermittente dans son Est, centre des trafics (et de la culture du chanvre pour l’exportation, ce qui est nouveau pour cette mauvaise herbe locale). C’est le pays le plus pauvre, mais aussi l’un des principaux réservoirs d’eau de la région. Les Américains vont le quitter en même temps que l’Afghanistan mais pas les Russes qui y maintiennent la 202eme division (la moins disponible selon les récents exercices surprises, sûrement l’altitude et le soleil ont sapé les cadres militaires, à moins que ce soit le climat de corruption hérité des années 90 et d’avant qui se perpétue dans la région). La Russie a réinvesti l’économie locale, pas les ressources minières, mais surtout, comme la Chine, les barrages hydroélectriques. Le pays dépend à plus de 45 % de son PIB des transferts de fond, donc des travailleurs opérant en Russie majoritairement. Autrement dit, de manière rapide, la Russie a pris le contrôle de sa défense, de son réseau énergétique, de son PIB, et de son réseau de transport (la RZD russe est majoritaire sur le réseau ferré) donc presque du pays. En contrôlant le pays elle contrôle l’eau dont ont besoin les pays aval (Ouzbékistan, et en moindre part Kazakhstan et Turkménistan) mais aussi les liens de sortie vers la Chine de l’Ouzbékistan et du Turkménistan. Reste la sortie par le Kirghizstan.

Donc voici le Kirghizstan. Ce pays, la « démocratie » locale, ou ce qui se rapproche le plus de l’acception occidentale du mot (on bourre un peu les urnes ici, quelques achats de voix, et un système clientéliste est toujours en place). Le pays comme le précédent compte sur sa diaspora, en grosse majorité en Russie, c’est l’autre réservoir hydrique régional. On retrouve Moscou usant des mêmes outils diplomatiques (CEI ++, OTSC, OCS). Les gisements miniers sont peu à peu mis en valeur, et particularité locale, le pays compte développer d’avantage le tourisme (gros potentiel, et surtout gros pourvoyeur de devises !). La situation sécuritaire est relativement calme (ce n’est pas parfait mais à part la vallée de la Fergana, grand ce sac à problèmes, ça peut aller) (Egéa : sur la vallée de la Ferghana, voir billet). Quelques heurts avec la communauté ouzbèk, mais sans le clan Bakaiev pour jeter de l’huile sur le feu les choses se tassent. Ce pays s’est résolument tourné ver s Moscou qui contrôle donc les migrants, les réseaux énergétiques (Kirkizgaz est maintenant une succursale de Gazprom) mettant en échec les pressions aux livraisons de gaz ouzbèke, le réseau ferré avec la RZD, investit dans les barrages, a des troupes sur place et le pays souhaite même intégrer l’Union douanière (Espace Economique Commun dorénavant). (Egéa : Sur la Kirghizie, voir billet)

Donc tous passages vers la Chine pour le Turkménistan et l’Ouzbékistan, toutes les ressources hydriques amont vers les avals (dont le XIJANG chinois aussi en fait dans sa partie occidentale) dépendent d’alliés TRES proches de Moscou.

Et c’est là que cela devient amusant. En Ouzbékistan, le pays le plus peuplé de la région, (son dirigeant très âgé pose la question de sa succession, hasardeuse comme au Kazakhstan ) les choses se corsent. Ce petit pays a mené ses dernières années une politique l’éloignant du grand frère russe. Un rapprochement avec la Chine a été conduit, avec la volonté de construire des corridors de transports (ferré, gazoduc) vers elles à travers le Kirghizstan qui bloque les projets (à grand coup de lenteur) ces dernières années. La collaboration avec les USA a aussi été mise en avant. Ainsi que le retrait de l’OTSC. Cela fait tout de même beaucoup de signes de révolte face à la tutelle russe.

Jusqu’à la fin 2012 le gaz ouzbèke permettait de calmer les ardeurs kirghize et tadjik sur la question de l’eau et des corridors de transport avec des coupures de livraisons en plein hiver. Moscou ayant pris le relais, l’Ouzbékistan est limité dans ses moyens de pression. Le jeu se serait même inversé. A cela, ajoutons le fait que l’oligarchie dépend pour ses fortunes des revenus du coton (récoltés par la mise en esclavage de la population, rapport qualité prix imbattable !).

On verrait presque poindre le poing de Moscou qui chercherait à encercler les anciennes républiques rétives à la verticale du pouvoir. Surtout que l’Ouzbékistan détient la seule armée convenable de la région (on dit d’elle que son seul ennemi est sa population…) capable d’intervenir dans la Fergana au cas où les islamistes réussiraient à mener à bien leur projet de Ferganistan. Mais ça, c’est une autre histoire.

Donc, Moscou (Poutine) aurait réussi, par une stratégie de reconquête périphérique à contraindre à termes les rétifs. Cette politique s’est appuyée sur la diplomatie du Gaz, mais aussi sur la stratégie russe à l’œuvre dans le Caucase et en Europe, celle de la prise d’intérêts dans les secteurs stratégiques (transports, énergie, industrie des matières premières) soutenues par les champions nationaux (Gazprom, Rosneft, RZD…). Ajoutons à cela l’utilisation massive des attributs de la puissance nationale (banque centrale, défense, diplomatie) et l’on voit la Russie reprendre le contrôle de son étranger proche. La concurrence chinoise fait face à la remontée russe transformée en saine collaboration en attendant le tournant, et les USA ont été le plus souvent sortis du jeu ou priés de s’y conformer en partenaires commerciaux.

Et donc , on peut voir que la Russie en tentant par différent biais de recréer une zone tampon centre asiatique, fait avancer ses pions pour pouvoir refinancer si besoin est une nouvel alliance du nord, tampon d’un Afghanistan taliban.

A. Hermellin


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