Magazine Culture

Adolescence : des rites de passage à l'ordalie (4/4)

Publié le 10 août 2013 par Vindex @BloggActualite
Il est à présent temps de conclure la série sur l'adolescence...

Conclusion
Les troubles de l’adolescence sont d’une grande variété. Toxicomanie, troubles alimentaires, idées suicidaires, violences, prises de risques, dépressions  sont autant d’expression d’un mal-être grave qui pose un véritable problème de société. Le développement d’un champ d’étude spécifique de la psychiatrie, tout autant que l’augmentation constante des actions de préventions en témoignent. L’existence d’une problématique adolescente est indéniable.
Mais au-delà de la problématique adolescente, c’est le phénomène adolescent, ou « jeune » qui semble prendre une place grandissante dans la société, à travers des faits qui peuvent paraître contradictoires, voir paradoxaux.D’un coté la culture « adolescente » imprègne toute la société : magasine spécialisé, valeurs d’initiative et d’adaptabilité conférées aux jeunes, marketing adapté, nouveaux héros à l’imagerie juvénile, difficultés des jeunes adultes à quitter la sphère de l’adolescence[1]…Tout va dans le sens d'une prise en compte de plus en plus grande de l'adolescent. De l’autre la jeunesse inquiète. Que ce soit par la violence dirigée contre la société avec les  épisodiques nuits de saccage des banlieues dites "sensibles", les sensations de pertes de contrôles, le mal-être qui semble empirer, les parents qui cherchent des moyens de gérer au mieux, l’éducation nationale qui cherche à s’adapter (et qui en fin de compte exclut vers le domaine du pathologique)… En tout cas on en parle beaucoup des "jeunes", on créé de nouvelles lois adaptées aux « incivilités » ou aux regroupements dans les halls d’immeuble, on « spécialise » les conduites difficiles en cherchant des réponses auprès du champ de la psychiatrie… Bref la société tâtonne pour trouver des solutions. Mais on peut se poser certaines questions sur cette focalisation sociale… Peut être d’ailleurs  pourrait-on s’interroger aussi sur tout ce quelle sous-tend de crainte et de manque de confiance en l’avenir, ainsi que des pertes des repères des adultes, comme le confirment certains comportements régressifs infantiles imprégnant le monde dit adulte[2].En reconnaissant leurs difficultés, en voulant les comprendre, les aider à se déterminer[3](Quelle violence, quand on songe que, par définition, l'adolescent ne sait pas, mais sait ce qu'il ne veut pas) au lieu d'expliquer, en montant en épingle les problèmes, en pointant, voir stigmatisant le rôle des parents, qui, pour primordiale qu'il soit, ne correspond à aucune recette miracle, est-ce vraiment leur rendre service ?Reconnaître leur "spécificité", sans leur proposer de modèle n'est ce pas aller à l'encontre de toute logique? N'est ce pas faire abstraction de leur position d'adulte en devenir ? Leur voler la possibilité de se projeter dans le futur en les ramenant dans le présent ?L'adolescent cherche le conflit. Doit-on l'éviter ? Doit-on le comprendre ou lui signifier les limites ? Les deux ? Et comment ?Ces questions ne se posent pas seulement au niveau familial, mais également au niveau de la société, et des acteurs du social. Toutes les actions de prévention et de lutte contre la drogue, le suicide, la délinquance juvénile, l'éducation doivent être imprégnées de ces questions.   Il me revient cette phrase de Françoise Dolto que j'avais lue il y a quelque temps : "Plus on en parle, moins on leur parle". C'est peut être ici que se situe le principe de la "crise" d'adolescence, par rapport à l'adolescence. La crise d'adolescence est rentrée dans les mœurs et l'adulte, la société se doit d'y réagir… partagée entre les dérives de la psychologie de bazar (les parents qui ne sont pas capables de faire preuve de fermeté en sont un bon exemple) et la rigidité.Mais en considérant cette phase, somme toute normale, de la vie comme une espèce de pathologie, n'est ce pas déjà ne pas considérer l'adolescent comme une personne propre ? En le réduisant à un état de crise, on ne le considère plus comme un adulte en devenir mais comme un état psychosociologique…Le poème de Rudyard Kipling "Tu seras un homme, mon fils" nous montre peut être une bonne approche de ce que pourrait être le rôle de l'adulte, du parent, de la société. Car même si les règles posées par la famille ou la société seront transgressées, expérimentées, cela a le mérite de poser un modèle à partir duquel l'adolescent peut se construire une identité propre, en prenant et rejetant des parties du modèle.Bien sur cette expérimentation des règles nous ramène aux problèmes d'absence de rites, de marqueurs de passages, et de dépendance vis à vis des parents. Ce sont là des inhibiteurs au passage à l'âge adulte car il empêche l'expérimentation. Question plus vive encore pour les enfants d’immigrés . D'un côté des parents élevés dans une société différente, ne possédant pas une bonne situation et étant souvent stigmatisés, et qui pour ces raisons ne peuvent que difficilement proposer un modèle valorisant, de l'autre la société à laquelle ils doivent s'intégrer, se plier, et dont les modèles ne correspondent pas non plus[4].La nécessité de se déterminer dans un contexte trouble et individualiste, renforce l’existence d’une culture adolescente qui se démarque par des rituels, des coutumes particulières (du look, aux prises de risques en passant par la musique, les toxiques et le langage …). Evolution sauvage des rituelles qui ne sont plus les rites des pères, mais les rites de pairs, et qui en fait se confinent à être des rites de marge. On retrouve bien les rites de séparation de l’enfance, ceux auto-générés des rites de marges… Mais point de rite d’agrégation faisant entrer dans l’âge adulte, qui clôturerait la transition. Du coup le passage se transforme en impasse.    La "crise d'adolescence " est un problème complexe, mais plus qu'un problème lié à un âge de la vie, la crise de l'adolescence est devenue une véritable crise sociale de laquelle découlent les problèmes déjà cités de bandes, de violence, de suicide etc.…Cette adolescence à ses explications psychologiques, ses attitudes sociales et ses passages obligés, c'est une réalité indéniable, un passage normal. Ce n'est pas forcément le cas de la "crise d'adolescence" définie aujourd'hui. Plutôt que crise d'adolescence, il serait peut être plus juste de parler d'une crise sociale d'accès au statut d'adulte.


[1] Cf. la série « FRIENDS » où de jeunes adultes vivent en colocation et constituent un véritable groupe de pairs. [2] Comme nous l’avons déjà vu une certaine appétence de l’enfance à travers le succès des revivals « dessins animés, du succès de certaines modes telles les trottinettes, ou le roller, voir le piercing… [3] Dans une structure que j’ai visité les professionnels qui encadraient un groupe de jeunes les incitaient à construire leur propre règlement intérieur sous prétexte de les responsabiliser… Quelle belle intention ! On peut se demander toutefois ce que ce genre de point de vue peut engendrer. Où se trouve l’énonciation de la loi par l’adulte, et quelle marge peut-elle bien laisser à la transgression ! [4] L’augmentation de la pratique du ramadan chez de nombreux jeunes nés en France et sans vécu de ce rituel dans un pays imprégnés et intéressante. On retrouve des significations identitaires fortes. Le fait de jeûner signifie l’accès au statut d’adulte et l’intégration à la communauté. Au sein de la famille, il souligne les liens qui unissent le groupe. Au niveau de la communauté à travers les rassemblements plus importants dans les lieux de cultes, il affirme l’union et l’identité commune. Toutefois peu à peu rattrapé par le coté profane, il perd aussi de sa sacralité en s’affichant vers l’extérieur, plutôt qu’en se vivant de l’intérieur. Le nouvel an chinois connaît une évolution assez semblable, avec l’accélération du coté spectacle et la dissolution des raisons intimes dans la popularité. 
Encore merci à l'auteur, Antoine DESROCHE

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Vindex 2241 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines