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Interview de maitre Kuroda (partie 1)

Publié le 14 août 2013 par Minamoto

Le site Aikido Journal a publié il y a quelques années une interview de Tetsuzan Kuroda et Kono Yoshinori, dont une grande partie est accessible aux non abonnés en anglais.

Je me permets ici de partager une traduction que j'ai trouvée de son interview car elle est vraiment très intéressante !

Entrevue avec Tetsuzan Kuroda
Par Stanley Pranin
Aiki News n°95 (printemps/été 1993)
Dans le monde des arts martiaux traditionnels japonais, les kata, ou formes prédéfinies, constituent l’essence de la technique et garantissent l’intégrité d’un système martial dans le temps. Le rédacteur en chef d’Aiki News, Stanley Pranin, à réuni Yoshinori Kono et l’un des principaux experts en sabre du Japon, Tetsuzan Kuroda, héritier de la tradition martiale de la famille Kuroda, pour une discussion apportant un éclairage en profondeur sur le concept de kata et l’expression moderne de l’esprit des samouraïs.
Stanley Pranin : Comme vous le savez, la section « Aiki Forum » du journal Aiki News est consacrée à la présentation de personnalités ne faisant pas partie du monde de l’aïkido. Je souhaiterais vous posez quelques questions à propos du système martial de votre famille. Votre prénom, Tetsuzan, est plutôt insolite. Est-ce votre prénom originel ?
Kuroda Sensei : Oui. Au premier regard, cela semble être un prénom modifié, mais c’est en fait mon prénom d’origine. Le fait que ce prénom soit si particulier m’a causé quelques problèmes.
Stanley Pranin : Beaucoup d’instructeurs d’aïkido attachent une grande importance au sabre. Pourriez-vous décrire les particularités de votre méthode d’entraînement au sabre ?
Kuroda Sensei :
Comme nous insistons sur le travail du kata de la même manière que les autres arts martiaux traditionnels japonais, je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit qui puisse être déclaré spécifique à notre méthode. J’enseigne des techniques spirituelles et physiques concrètes, pratiques, pour permettre aux élèves de saisir l’essence de l’art à travers ces katas.
Un enseignement appelé zegoku itto no koto a été transmis dans l’art du sabre japonais depuis les anciens temps. Lors d’un affrontement, on vise à atteindre un niveau où les modifications d’attitude et les mouvements du corps contrôlent l’adversaire avant qu’il n’utilise son sabre. C’est le plus haut niveau de l’art du sabre. Cela semble être un enseignement spirituel plutôt abstrait, mais ce n’est pas du tout le cas. C’est une technique « indécelable » qui regroupe des mouvements techniques avancés et un travail de l’esprit qui s’appuie sur ces mouvements. Tout entraînement en arts martiaux débute par l’apprentissage de la perception de cet élément indécelable.
Il peut être risqué de parler ou d’écrire sur des choses qui ne peuvent être vues à l’œil nu, mais nous ne pouvons comprendre ce que les bushis [guerriers samouraïs] des premiers âges nous ont légué tant que nous ne reconnaissons que la vision intérieure permettant de percevoir ces éléments indécelables est la base des arts martiaux.
Comme la vision des personnes normales n’est que partiellement développée, elles ne peuvent voir que ce qui est visible à l’œil nu. Pour cette raison, les gens sont incapables de voir ce qui se passe vraiment. Cependant, il y a des circonstances où certaines personnes sont capables de faire aisément des choses qui pourraient être considérées comme impossible, grâce aux connaissances acquises en s’entraînant. Cela peut paraître mystique quand je parle d’entendre des choses qui ne peuvent être entendues, ou voir des choses qui ne peuvent être vues, mais comprenez s’il-vous plait que je parle de connaissances latentes.
Comment avez-vous développé cette manière de penser ?
Kuroda Sensei :
Auparavant, je doutais que ces connaissances soient liées directement aux arts martiaux, ou que la pratique du kata en arts martiaux amène à percevoir l’intention d’autrui. Cependant, comme c’est exprimé dans les écrits de mon grand-père Yasuji, l’entraînement des arts martiaux consiste à apprendre à unifier le sabre et le corps, c’est-à-dire les techniques et l’esprit. Si nous demandons comment arriver à cette unité, la réponse est : à travers la pratique du kata. Tout ce que les bushis traditionnels ont tenté de transmettre aux générations suivantes est contenu dans le kata. En s’entraînant au kata, avant tout, nos yeux apprenent à s’ouvrir.
En ce moment, j’ai un élève de CM1. Si je contrôle sa ligne centrale [seishusen], même lui est capable de voir clairement les modification les plus légères de mes intentions et d’y réagir immédiatement en reculant légèrement. Il n’a suivi aucune sorte d’entrainement spirituel pour concentrer sa conscience et voir des choses indécelables. Il a simplement pratiqué les katas de jujutsu et de kenjutsu avec nous.
Naturellement, le développement physique et mental de ce garçon n’est pas encore arrivé à maturité. Néanmoins, il pratique les katas avec des yeux qui sont capables de voir. Dans sa pratique, il est conscient de ce qu’il faut faire dans le kata et de la bonne manière de bouger la bonne partie de son corps pour développer une technique efficace. Cela importe peu qu’il soit un enfant.
Il y a une grande différence entre apprendre un kata comme un simple mouvement traditionnel raffiné, et apprendre un kata à l’identique de ce qui nous est enseigné. Ainsi, dans mon dojo je commence par enseigner comment il faut comprendre le kata et comment chaque mouvement séparé doit être compris. Nous étudions les raisons pour lesquelles les katas sont devenus ce qu’ils sont, pourquoi il faut les pratiquer de telle manière, ce que nous espérons obtenir en pratiquant le kata, et ce qui va résulter de leur pratique. N’est-ce pas ce que les anciens samouraïs recherchaient et ce à quoi ils consacraient leur vie ?
Kono Sensei : Avant tout, je pense qu’une des caractéristiques de l’entraînement au dojo de Kuroda Sensei est que sa vision du rôle du kata est assez différente de la vision habituelle du kata dans le monde des arts martiaux. Je crois que depuis l’ère Meiji jusqu’à l’époque moderne, en incluant la période avant la seconde guerre mondiale, les katas étaient considérés comme une manière de remplacer le combat réel. Cependant il est important de reconnaître que notre corps ne bouge pas toujours comme nous le voudrions. En comprenant cela, c’est le kata qui vous libère pour vous permettre de bouger d’une manière techniquement correcte. De nos jours, notre compréhension du kata est extrêmement vague. Aussi, les idées de Kuroda Sensei vont je pense être d’un grand intérêt pour les personnes qui s’impliquent dans l’aïkido.

Interview de maitre Kuroda (partie 1)

Maitre Kuroda lors de la nuit des arts martiaux traditionnels à Paris (NAMT)

Kuroda Sensei, est-ce que vos idées sur le kata viennent des arts martiaux classiques ou viennent-elles uniquement de vous ?
Kuroda Sensei
: Je pense qu’il serait correct de dire qu’elles viennent uniquement de moi. Quand je pratiquais le kata, je ne pouvais trouver personne pour m’enseigner les choses que je voulais le plus savoir. Cependant, c’est juste que moi, une personne moderne, j’ai expliqué les katas traditionnels en utilisant une terminologie moderne. Les katas en eux-mêmes ont été préservé dans leur exacte forme d’origine. Aussi, quand je suis devenu capable de voir ces choses indécelables, je crois que j’ai en fait pu voir plus clairement ce à quoi les samouraïs ont consacré leurs vies du fait que les katas avaient gardé leur forme originelle.

Les katas qui m’ont été transmis – par exemple les katas de kenjutsu - ne sont pas comme ce que l’on voit en général de nos jours, quand l’adversaire attend, exposant sa tête, son cou ou son corps, et quand on frappe son sabre immobile. Peut-être que ce que je vais dire est inconvenant, mais en termes clairs, ce type de travail du sabre n’est que de la poudre aux yeux. A l’instant où le sabre et le corps de mon adversaire bougent, mon sabre l’a déjà découpé.

Si vous y réfléchissez avec attention, n’est-ce pas évident ? Personne ne resterait vraiment immobile à attendre de se faire couper la tête. Les katas que j’ai appris devaient être applicables concrètement. Si vous n’arriviez pas à parer le sabre de l’adversaire, vous receviez un coup de sabre. Quand j’étais un jeune garçon et que je demandais à quelqu’un d’être mon uke, ses mouvements étaient si rapides pour quelqu’un comme moi que j’étais assez tendu, même quand je lui demandais de frapper lentement.

A l’origine, le travail de kata avec un partenaire se déroulait dans un monde où vous n’aviez pas de seconde chance quand vous n’arriviez pas à parer l’attaque. C’était un monde où vous ne pouviez pas vous excuser et dire « laissez –moi recommencer » quand vous faisiez une erreur. Agir de la bonne manière dans la pratique des arts martiaux, c’est exactement la même chose que se comporter correctement dans la société moderne. Apprendre à ne pas répéter les erreurs ou à ne pas chercher d’excuse dans la pratique du kata, c’est avoir une confiance absolue dans vos techniques, vos capacités et vos connaissances. Bien que l’on ait tendance à avoir une confiance limitée en fonction de notre niveau du moment, votre confiance restera toujours faible si vous relativisez. Cette confiance absolue doit être présente quel que soit le niveau dans l’entraînement en arts martiaux. En d’autres termes, vous devez avoir une totale confiance en vous. Il n’existe rien en dehors de ce que vous pouvez faire vous-même.

Dans la pratique du kata, la personne qui prend le rôle d’uke est toujours le partenaire le plus ancien. Quand vous vous exercez seul vous pouvez vous satisfaire de ce que vous faites, mais quand votre dos et vos épaules sont coupés et que vous sentez le mouvement de torsion dans votre corps alors que votre adversaire pare votre coup, vous réalisez qu’en situation réelle vous auriez été découpé et tué. Aucune excuse ne peut être acceptée quand vous vous entraînez avec votre vie en jeu.

C’est comme ça que mon père m’a expliqué les choses quand il m’a élevé. Il est possible de pratique le kata seul. Quand vous avez progressé au point que vous ne voyez plus de défauts dans vos mouvements, vous demandez à un ancien de vous enseigner en étant votre uke. Alors vous pouvez avancer au niveau suivant, puis à celui d’après. En conséquence, le kata devient de plus en plus rapide. Les mouvements exécutés à une vitesse perceptible à l’œil deviennent indécelables et une vitesse sans mouvement apparaît. Un changement progressif s’opère dans votre capacité à voir et dans la qualité de vos mouvements au fur et à mesure de la progression de votre travail de kata. C’est pour cela que les samouraïs ont pu miser leur vie là-dessus.

Maintenant considérons le concept de kata du point de vue du jujutsu. L’entraînement commence dans une position assise appelée idori ou etori. Dans le premier kata il y a de nombreuses étapes dans nos mouvements si l’on compare aux techniques d’aïkido et cela prend longtemps avant d’en arriver à la projection de l’adversaire. Aussi quand ils voient notre entrainement, les jeunes en particulier expriment leurs doutes en disant « en vous déplaçant aussi lentement, vous ne serez pas capables de réagir suffisamment vite en situation réelle, n’est-ce pas ? » ou « ne serait-ce pas plus efficace de s’entrainer contre des coups de poing et des coups de pied dès le début ? »

Bien sur, il est normal que la plupart des gens ne comprennent pas le sens de ces katas. Mais encore, même en sachant que dans l’ancien temps les japonais passaient beaucoup de temps en position agenouillée, peut-on logiquement croire que dans ce monde dominé par le sabre, un homme agenouillé pouvait être agrippé par le revers ou attaqué avec un couteau ? Il est légitime de se demander s’ils pratiquaient sérieusement ces techniques à une époque où le sabre régnait en maître. Aujourd’hui plus qu’alors, le kata semble vraiment irréaliste et inutile.

J’ai pour ce type de kata un point de vue pragmatique. En d’autres termes, je crois que les kata ne sont pas la reproduction d’un combat réel. S’il existait des kata utilisables en situation réelle, j’aimerais bien les voir. Je crois que c’est dans ce sens que Morihei Ueshiba O Sensei disait qu’il ne fallait pas attacher trop d’importance au kata. Cependant, seul un homme de son envergure, après avoir atteint ce niveau, peut dire ce genre de chose. Nous autres gens ordinaires perdrions toutes les clés permettant d’exécuter les véritables techniques si nous rejetions les katas.

Maintenant, j’aimerais expliquer ce que nous tentons d’apprendre en pratiquant le kata où l’adversaire attaque en saisissant notre revers et en essayant de couper notre artère carotide droite avec le couteau qu’il tient dans sa main droite. L’adversaire vient couper mon cou du côté droit avec son couteau. Dans cette situation, le mouvement requis consiste à éviter l’attaque en retirant mon épaule droite tout en restant face à l’adversaire sans casser ma ligne centrale.

Est-ce que ce sont les principes qui étaient enseignés par votre grand-père Yasuji ?
Kuroda Sensei
: Oui. Si vous regardez le mouvement dans un miroir vous comprendrez aussi clairement, mais si vous le voyez exécuté de cette manière, on ne dirait pas du tout que j’ai évité l’attaque de mon adversaire. Dans ce cas, que se passera-t-il si je déplace mon corps en le penchant à gauche pour éviter l’attaque et en avançant l’explication que le mouvement du kata ne permettait pas vraiment d’éviter l’attaque ? Si cela arrivait, ce qui a été transmis par mon grand-père serait perdu. Les katas, qui nous ont été transmis par ces bushis qui disaient que le jujutsu est si rapide qu’il en est indécelable à l’œil et que projeter quelqu’un est aussi simple que d’enlever un haori [veste japonaise], seraient détruits et disparaitraient. Ce que j’essaye d’expliquer ici est l’essence de la méthode permettant d’éviter l’attaque de l’adversaire.

En général, ce qui se passe c’est que les hanches et le haut du corps pivotent et on n’a pas réellement un mouvement de recul de l’épaule droite. Au début tout le monde est débutant. Il est normal que l’épaule ne bouge pas. Le but du kata est de vous faire prendre conscience que vous ne bougez pas. Dans ce premier mouvement vous devez d’abord apprendre à « ouvrir » l’épaule droite et le côté droit de votre poitrine. De plus, vous devez apprendre à ne pas pivoter les épaules.

Dans de telles conditions, il est normalement impossible de faire ce mouvement. C’est exactement la même chose quand vous passez d’une hanmi droite à une hanmi gauche. Vous devez utiliser un mouvement particulier car vous changez de côté sans faire pivoter votre corps. En ce sens, en regardant le premier mouvement vous pouvez comprendre qu’aucun débutant ne peut exécuter le geste technique permettant de gérer le coup de l’attaquant.

Si vous esquivez l’attaque par la gauche sans comprendre ce principe, vous n’évitez pas vraiment l’attaque, vous la laissez passer. Même en bougeant conformément au kata, au début vous tournez les deux épaules et vous ne savez pas bouger le côté droit de votre buste. Cependant, si vous en comprenez le sens et si vous pratiquez le mouvement requis, vous finirez par comprendre le principe transmis depuis les temps anciens qui veut que celui qui initie l’attaque perdra toujours. La compréhension de la différence qualitative entre éviter l’attaque en ouvrant votre corps, et « laisser l’attaque passer » est d’une valeur inestimable.
Si une personne effectue les mouvements du kata sans comprendre l’enseignement réel de ces formes, l’aspect concret de la théorie selon laquelle on est toujours victorieux si l’adversaire initie l’attaque sera perdu. Les mouvements de retrait de l’épaule droite et de retrait ou d’ouverture du côté gauche du buste sont basés sur un déplacement des hanches sur la droite ou la gauche. Ouvrir le côté droit du buste sans pousser l’épaule gauche, et qui plus est déplacer son corps sans pivoter les épaules, c’est-à-dire déplacer son corps en ligne droite le long de la ligne centrale, voilà un mouvement important qui peut être utilisé directement en jujutsu ou iaijutsu.

Vous développerez plus rapidement une vision intérieure en communiquant avec votre propre corps par la pratique continue de chaque mouvement individuel de ce type de kata. Comme dans ce type d’entrainement l’utilisation de la force est absolument interdite, vous apprenez à bouger de manière décontractée comme le suggère le terme yawara [souplesse]. Votre progression sera fortement ralentie si vous mettez de la force dans vos mouvements. Après s’être entraîné de cette manière, l’un de mes élèves, qui avait pratiqué le karaté sans contact depuis le collège jusqu’à l’université, me déclara un an après son arrivée : « jusqu’à maintenant je croyais que les frappes des boxeurs professionnels étaient rapides, mais l’autre jour lors du premier combat que je voyais depuis longtemps, je ne pouvais m’empêcher de trouver les frappes vraiment lentes. Je me suis demandé pourquoi elles étaient si lentes. » C’était là son opinion sur les mouvements des sports professionnels comparés aux standards des katas traditionnels.

J’en ai parlé auparavant, mais les yeux voient difficilement la réalité des choses. Ils ne peuvent pas dire ce qui est rapide ni ce qui est lent. J’enseigne le kata lentement. Même quand j’effectue lentement les mouvements des kata, ils sont incapable de les voir. La vitesse véritable n’est pas liée à la rapidité ou à la lenteur des mouvements.

Vous pouvez aussi dire que le mouvement le plus rapide est en fait l’absence totale de mouvement. C’est ce qu’on appellezegoku itto. Il semble que dans les kempo chinois ils ont aussi des arts, comme le ta-cheng ou le i ch’uan, qui enseignent que l’absence de mouvement est le mouvement le plus rapide. Alors que le corps semble immobile dans ce type de mouvement, en fait il bouge. Etonnamment mon élève me disait la même chose. En regardant ma position assise il disait : « même si vous êtes immobile votre corps entier bouge ».

Morihei Ueshiba disait des choses similaires concernant la vitesse.
Kuroda Sense
i : Aussi longtemps que nous parlons d’arts martiaux, il est nécessaire de préserver ce type de mouvement et de conception. Vous pouvez aussi regarder cela comme un problème technique. C’est exactement la même chose en iaï. Comment se fait-il que je sorte vainqueur d’une situation où je suis assis et je tiens mon sabre rangé à ma ceinture et où un adversaire qui a déjà dégainé le sien s’apprête à m’attaquer avec ? Il ne suffit pas de dire que c’est possible parce que c’est dans un kata de iaï, et vous ne pouvez pas miser votre vie là-dessus. Comme cette situation ressemble à un sprint de cent mètres où l’adversaire aurait cinquante mètres d’avance, on peut penser qu’il n’y a aucune chance de gagner.

Cependant, les circonstances sont inversées quand la technique adéquate du iaïjutsu est parfaitement exécutée. Il s’agit des mouvements de corps de suwarigamae, ukimi, hidari hanshin, saya no okuri et hanare. A l’origine, l’idée du iaïjutsu, techniquement parlant, était de ne pas sortir le sabre. C’est le programme du kata. C’est un niveau technique complètement normal quand on baigne dans un monde de mouvements inhabituels, que l’on dit cachés ou gokui [secrets ou mystères d’un art].

De manière générale, une technique où l’adversaire est projeté dans les airs « en allongeant simplement le bras » est considérée comme secrète, mais il ne s’agit de rien d’autre que d’étendre un peu son bras dans un mouvement inhabituel quand l’adversaire exécute surtout des mouvements normaux.

Ce type de mouvement où vous étendez doucement le bras n’aura aucun effet sur quelqu’un pratiquant les arts martiaux véritables. A vrai dire, si l’on n’est pas complètement impliqué dans la frappe on risque sa vie. Il existe toujours des techniques plus avancées, et elles ne peuvent être comprises si l’on reste dans le cadre des mouvements conventionnels. Cependant, pour quelqu’un qui s’est entraîné en comprenant complètement les techniques depuis le début, tout semblera naturel. Cela semblera simplement être le résultat du travail accumulé et de l’implication. Ce sont les katas qui amènent à ce niveau.

Après avoir rencontré Kono Sensei, j’ai moi aussi essayé d’étudier la question du réalisme des techniques de iaï en juillet 1991. Je ne l’ai pas fait comme un kata, mais en adoptant une position debout. Mon adversaire me frappait comme il le souhaitait en garde seigan [sabre pointant vers les yeux de l’adversaire] ou jodan [garde haute] avec un bokken ou un shinaï.

Commençons par ce que j’en ai conclu : je peux vaincre tant que l’adversaire frappe en premier. Avant de l’avoir testé, quand je visualisais mon grand-père en face de moi, je croyais que je ne pourrais pas réagir assez vite. Je pensais que je serais coupé à chaque fois, et que face à un adversaire ayant déjà dégainé, il serait impossible de réagir à temps à son attaque.

Cependant, j’ai compris en faisant cet exercice pourquoi je disposais de beaucoup de temps pour réagir. Cela m’a permis de comprendre une beaucoup de choses. J’étais désormais capable de progresser dans ma pratique. La distance de combat [ma] que je pensais alors nécessaire était ce qu’on appelle « forme furtive » [kiesareta katachi]. J’ai du alors passer à l’étape suivante qui était la distance nukitsuke [fraction de seconde nécessaire pour dégainer et couper].

Quand j’ai pratiqué cela avec mes élèves, la vitesse de l’attaque était inadaptée et je pouvais vaincre facilement. C’était simplement du au fait que j’avais développé une vision de l’intention de l’attaquant. La vision intérieure, selon les mots de Kono Sensei, est une notion technique appelée affinité, ou télépathie, ou mécanisme du cerveau – je ne trouve pas les mots appropriés.

Si vous pouvez comprendre la difficulté technique sous-jacente derrière ce concept et cet acte de dégainer le sabre, je pense que vous pouvez aussi comprendre comment le iaïjutsu peut techniquement faire face au kenjutsu. En un sens, cela peut s’appliquer à n’importe quel sujet, mais je pense que ces techniques de iaï sont souvent prises trop à la légère.

Est-ce que votre grand-père partageait la même conception du kata ?
Kuroda Sensei
: Pas du tout. Il me disait juste d’utiliser le kata de manière correcte. Par exemple, il me disait souvent de baisser mes hanches. Parfois, même quand dans la garde iaigoshi je baissais les hanches si bas que mes genoux touchaient presque le sol, il me disait que mes hanches étaient encore trop hautes. Il me répétait la même chose que ce que mon arrière grand-père Masakuni lui avait dit.

En règle générale, si vous baissez vos hanches vous vous ancrez, mais est-ce vraiment le cas ? Pour ma part, je ne l’ai jamais compris dans ce sens. Si je peux bouger plus vite que mes jeunes élèves qui courent le cent mètres en moins de onze secondes, c’est grâce à la technique que j’ai acquise en travaillant avec les hanches basses.

Cependant, comme à cette époque je n’avais pas développé cette vision intérieure qui permet de voir des techniques indécelables, j’éprouvais une forte admiration pour ce type de forme kata. Cela n’a d’ailleurs pas changé. Quand je me demandais ce que les formes véritables pouvaient être, j’imaginais qu’elles étaient en fait celles qui étaient pratiquées par mon grand-père et mon arrière grand-père dans leur jeunesse quand ils avaient reçu leur menkyo [certificat]. En tout cas, je pense que la raison pour laquelle aujourd’hui je suis ce que je suis, c’est que les kata ont été préservés dans une forme inchangée jusqu’à notre époque.

Est-ce que votre grand-père vous montrait les katas lui-même ?
Kuroda Sensei
: Non. Quand il a commencé à me reprendre après que j’aie commencé à m’entraîner ici sérieusement, mon grand-père était déjà dans ses dernières années aussi il m’a principalement dispensé un enseignement oral. En conséquence, les quelques rares fois où j’ai pu voir ses mouvements ont eu lieu quand il donnait des démonstrations à l’extérieur. Et même cela n’arrivait qu’une fois par an. Mais même si je dis « voir », j’essayais aussi fort que possible de comprendre ses mouvements indécelables que je ne pouvais saisir car je n’avais pas la véritable capacité de voir. J’étais incapable de voir l’essence de ses mouvements même si il me les montrait aussi clairement. J’essayais désespérément de comprendre ses mouvements, ce qui n’aurait pas été difficile si j’avais assimilé les katas. Il n’a même pas attiré mon attention sur le fait que je laissais échapper l’essence des techniques. En d’autres termes, mon grand-père ne voyait pas l’entraînement de la même manière que nous le voyons aujourd’hui. Il ne reconnaissait que les choses qu’il considérait comme visibles.

Pour expliquer cette vitesse, il me disait simplement que le jujutsu était quelque chose de si rapide qu’il était indécelable à l’œil. Je pense que c’est un point de vue assez naturel pour quelqu’un qui a grandi au milieu des arts martiaux depuis la naissance, car chacun ne peut voir que ce que son niveau de perception lui permet de voir.

Tout à l’heure j’ai parlé de mon élève qui trouvait lents les coups des boxeurs professionnels. Il avait la même impression que mon grand-père. Une fois mon grand père, voyant un match de boxe professionnelle, déclara : « Oh, regarde cet idiot qui laisse sa tête en avant en attendant d’être frappé ! » Cette fois-là, je me suis demandé quel niveau de perception il avait atteint pour pouvoir juger quelqu’un qui frappait aussi rapidement.
Maintenant je finis par comprendre ce dont il parlait. Un chronomètre ne peut pas mesurer la vitesse des techniques pour quelqu’un qui est né et a grandi dans un monde où le plus rapide des mouvements est l’absence de mouvement et la vitesse ne peut être mesurée par des instruments. Les techniques, ou plutôt ce qu’on appelle techniques, sont rapides selon des termes absolus ou divins. Ces techniques sont les katas eux-mêmes.

Dans l’exemple du kata de jujutsu que j’ai donné tout à l’heure, l’adversaire attaque en premier au cou. La vitesse de son coup ne peut être perçue par l’œil normal car il est exécuté dans un seul rythme. Je dis « vitesse véritable », mais même quand ce coup est porté relativement lentement, c’est la même chose : c’est de toute façon rapide. Vous avez la sensation que c’est vraiment rapide et c’est une vitesse qui ne peut être esquivée.
Cependant, si vous exécutez ce mouvement avec un corps immobile, le mouvement devient aussi lent que la vitesse à laquelle il est exécuté. Seuls les mouvements qui sont rapides alors que l’on bouge lentement sont les techniques véritables. Sans perception intérieure, il est impossible d’esquiver ce type de technique ou de frapper si l’on exécute vraiment ces mouvements dans un seul rythme.

Si votre adversaire est un artiste martial suffisamment qualifié, que devrez-vous faire pour être capable de l’affronter ? Même si sa manière de bouger semble ordinaire, la seule façon de réagir face à un artiste martial dont les mouvements sont de nature complètement différente, c’est d’apprendre à utiliser votre corps dans la même plan que lui. Le raccourci le plus efficace pour atteindre cela est le kata. Du reste, si nous pouvons aujourd’hui aborder ce monde différent, c’est grâce aux katas qui nous ont été transmis par nos prédécesseurs. Néanmoins, n’y aura pas de conséquence si le kata est détruit. Une technique exécutée par une personne qualifiée, même si le kata a été modifié, pourra être utilisée de manière efficace car c’est la qualité de chaque mouvement isolé qui révèle les capacités de la personne. A l’inverse, même si le kata reste intact, un enseignant ne montrant aucune souplesse d’esprit n’apprendra rien du kata. Ces merveilleux katas ne lui seront d’aucune utilité.

Maintenant, si nous regardons tous les mouvements du kata que j’utilise comme exemple, ils sont si élaborées qu’ils ne semblent pas constituer un kata. Si mon grand père avait transmis ce kata avec ses mouvements spécifiques du corps et avait montré la véritable manière de parer, je ne crois pas que j’aurais distingué la différence de mouvement et de directions entre le bon déplacement et juste « laisser passer ».

[Fin de la partie 1]


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