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Jean-Marie Le Pen, Le Dernier Français

Publié le 20 août 2013 par Roman Bernard
De passage en France pour le mois d'août, je n'ai pas manqué de subir le décalage horaire, ce qui m'a poussé à regarder la télé, chose que je n'avais plus faite depuis le second tour de l'élection présidentielle.

Au hasard du zapping, je suis tombé sur une interview de Jean-Marie sur Public Sénat. Il s'agissait en fait d'une rediffusion de l'édition du 1er mai de « Déshabillons-les ! », présentée par Hélène Risser, dont j'ai appris l'existence à cette occasion. Je n'ai pas réussi à déterminer si elle a des raisons ataviques d'en vouloir à Le Pen pour son fameux « point de détail ». En tout cas, elle a été très pro durant l'interview.


Comme à chaque fois que j'écoute Jean-Marie depuis que je suis la politique (présidentielle 95, j'avais 12 ans), j'ai été frappé par une aisance, une éloquence que ses ennemis de tout bord ont toujours eu du mal à admettre. C'est le problème de l'antifascisme : il faut à la fois avertir de l'imminence du danger fasciste et dépeindre les supposés fascistes comme des incapables. Les sophistes résolvent cette contradiction (qui fait écho à beaucoup d'autres dans le logiciel progressiste) en disant « Oui, il est dangereux par sa connerie ! ». Ce partisanisme m'a toujours énervé, surtout de la part de personnes intelligentes et cultivées. J'ai grandi dans un milieu de profs de fac de gauche où l'on valorisait à raison la « culture » (même si l'on en avait une conception déracinée et désincarnée), et la beauferie de l'homme de droite était l'objet d'une légitime moquerie. Mais pourquoi adresser ce sarcasme à un homme qui, de toute évidence, est non seulement intelligent et cultivé, mais a du talent, du brio, même ?

Pourquoi ne pas avoir reconnu dans Jean-Marie Le Pen un frère en érudition, sinon en idéologie ?

Ce qui pose la question de l'« anomalie Jean-Marie Le Pen » : pourquoi un homme d'une telle valeur a-t-il endossé le costume du « salaud de la République » alors que, s'il avait continué sur sa lancée initiale (député poujadiste sous la IVe République, ce qui n'obérait en rien son avenir), il aurait pu prétendre aux plus hautes fonctions ? Quoi que l'on pense de ses limites, de ses échecs, de ses fautes aussi, Le Pen avait la stature d'un président, plus en tout cas que tous les successeurs de Pompidou à l'Élysée.Les ridicules critiques de la droiteD'aucuns, notamment à droite, ont prétendu que le sauvetage de la Patrie en danger n'était qu'un fonds de commerce pour Le Pen. Mais combien de commerçants accepteraient de risquer la mort pour une carrière moins lucrative que celle des hommes du système ? Il y avait nécessairement de la sincérité dans l'engagement de Jean-Marie, et ce sont ses incontestables qualités intellectuelles et politiques qui rendent cet engagement plus admirable encore. Que des désaxés n'ayant rien à perdre se retrouvent à la marge du système se conçoit, mais un homme qui aurait dû être ministre ? Il y avait là autre choseHonte à ceux qui ont cru pouvoir être « encore plus à droite » que Jean-Marie en l'attaquant depuis le confort de leur clavier ! Je m'inclus dans le lot, ayant été capable de reprocher à Le Pen son « islamophilie » sous prétexte qu'il s'était opposé à la loi contre le voile islamique à l'école et à la publication des caricatures de Mahomet (il avait raison dans les deux cas). C'était parfaitement ridicule de ma part, puisque si les portes de l'Europe n'avaient pas été ouvertes à l'immigration musulmane, ces questions ne se seraient jamais posées. En matière de lutte contre l'islamisation, Le Pen est donc un poil plus crédible qu'un Alain Laurent avec sa « société ouverte » (ouverte comme une plaie... ou un orifice ?).Mon seul mérite a été d'arrêter de bloguer pendant trois ans et de reconsidérer mon obsession de l'islam (mon islamophobie) et ma défense de cette méthode Coué en kit qu'est le libéralisme. D'autres, qui n'ont pas fait cet effort de réflexion, continuent à se croire malins en assimilant la gauche aux nazis.

C'est non seulement faux et sans effet sur l'adversaire, cela renforce en outre le consensus antifasciste en vigueur depuis 1945 en Occident, qui est la cause de l'« effet de cliquet » rendant irréversibles les avancées de la gauche. Reprocher à la gauche d'être nazie, c'est lui donner une victoire idéologique au profit d'une manœuvre tactique qui se solde toujours par un échec. Mais la droite, bien que se prétendant férue d'histoire, n'oublie ni n'apprend rien, si bien qu'elle ne voit pas ses propres défaites.L'impasse du stato-nationalisme

Jean-Marie Le Pen, Le Dernier Français
Aussi brillant et honorable fût-il, Jean-Marie Le Pen est-il au-dessus de toute critique ? Il est de bon ton, chez les néo-réacs comme Renaud Camus, de reprocher à Le Pen ses « plaisanteries sur l'Occupation », mais ce reproche est foncièrement malhonnête. Si l'on se donne la peine d'écouter l'échange sur le « point de détail » dans son intégralité, on voit qu'il s'est agi d'une manipulation et que Le Pen n'a pas tenu les propos qu'on lui prête. Il s'est contenté de parler de la Seconde Guerre Mondiale en son entier.

Le reproche que l'on peut, que l'on doit adresser à Le Pen, qui devint dans les années 1970 le premier politicien nationaliste de premier plan depuis 1945, c'est de ne pas s'être servi de cette autorité pour dépasser le nationalisme hexagonal périmé et construire avec les autres nationalistes européens et nord-américains un nouveau nationalisme, pan-européen, visant à l'établissement d'un État réunissant, de manière décentralisée, tous les fils et filles d'Europe. Le Front national qu'il a fondé et conduit à des résultats inespérés au départ (0,75 % pour Le Pen à la présidentielle de 1974, absent en 1981 pour cause de manque de parrainages, puis 14,38 % en 1988, après les succès des municipales de 1983 et des législatives de 1986) aurait dû servir de socle à ce pan-nationalisme, et il aurait donné à la France, que Le Pen s'était fait fort de défendre, un rôle majeur dans le combat pour la libération européenne.

Il faut noter que Le Pen était sur une position vaguement pan-occidentaliste dans les années 1980, mais de ce que j'ai pu en voir rétrospectivement, elle n'a jamais été articulée de manière assez approfondie. Il ne se serait pas agi de dire d'emblée que la France était morte (même si c'était vrai, et bien antérieur au regroupement familial), ce qui aurait fait fuir ceux des Français qui s'inquiétaient pour l'avenir de leur race et de leur civilisation mais continuaient à formuler cette peur en des termes nationaux obsolètes, mais de dire que la mission de la France en cette fin de XXe siècle était d'assurer le magistère moral et intellectuel de l'affranchissement des Européens. Ce discours n'a jamais été tenu bien clairement, et le Front national est même tombé dans le piège de l'anti-européisme. La Communauté économique européenne, puis l'Union européenne ont été faussement accusées d'asservir les Français, alors que, comme je l'ai démontré sur Alternative Right, les institutions européennes sont contrôlées par les États-membres. Les politiques européennes qui déplaisent à la famille Le Pen sont décidées par les États-nations dont père et fille prétendent, contre les faits, qu'ils sont des remparts contre la dépossession des peuples européens. Ainsi, « Bruxelles » est accusé de maux provenant de Paris, Berlin, Londres et Rome, au lieu d'y voir un outil pouvant autant servir au redressement de l'Europe qu'à sa dévolution comme aujourd'hui. L'incapacité à, ou le refus de dépasser l'illusion nationale fut la faille de Le Pen.

Dans l'émission supra, les journalistes insistent beaucoup sur les divergences entre Jean-Marie et Marine, divergences que reconnaît à demi-mot le premier intéressé. Mais l'évolution du Front national d'un parti nationaliste vers un parti souverainiste était fatale : si la nation n'est pas définie selon des critères biologiques et civilisationnels, elle se réduit, de facto, à l'État. L'État est flexible et peut représenter ce que ceux qui le dirigent veulent qu'il représente. Le Front national a beaucoup insisté sur le danger mortel pour la France que représente l'immigration depuis les années 1970. Cette étroitesse d'esprit fait perdre de vue que c'est l'Europe dans son ensemble qui est concernée (surtout depuis une quinzaine d'années), et que c'est bien la seule immigration extra-européenne qui pose un problème existentiel. On peut se plaindre du comportement méprisant des Hollandais dans les campings de la Drôme, des résidences secondaires possédées par les Anglais dans des coins vides dix mois sur douze comme la Lozère, ou du vacarme fait par les Italiens dès lors qu'ils sont plus de deux au même endroit, mais on est loin du détroussage de cadavres, du proxénétisme de gamines droguées et enlevées à leurs parents, du saccage des villes à chaque fois qu'un criminel se tue en scooter ou de la décapitation de soldats dans la rue. Ajoutons que les quelques désagréments que l'on peut reprocher à nos frères européens sont largement éclipsés par tout ce que la France doit aux Européens qui l'ont enrichie depuis des siècles. Qui peut visiter le Louvre et sérieusement dire qu'il s'agit du seul génie français, et non européen ?

L'immigration est bonne quand elle vient d'Europe, mauvaise quand elle est extra-européenne. Partant, nous sommes d'abord européens, et secondairement français. C'était un discours simple à formuler, mais qui ne l'a jamais été. Il est certain qu'il aurait été difficile de sortir les Français de l'illusion nationale, mais Le Pen avait l'autorité pour le faire, et ne l'a pas fait. Sa fille poursuit sur sa lancée en réduisant encore davantage la nation à l'État et en préférant donc une France créole à une Europe européenne. Il n'y a pas de « rupture » entre la politique du père et la politique de la fille. Celle-ci est la suite logique de celle-là et là encore, seule la gauche l'a compris, bien que pour de mauvaises raisons.

Couler avec le navire ou mettre les radeaux à la mer ?
C'est en regardant, il y a quelques années de cela, des vidéos des années 1980, une époque où je n'étais soit pas encore né soit trop jeune pour les comprendre, que j'ai pris conscience de cette involution du Front national. Et si a posteriori, la posture de Le Pen, bien que très sympathique, ne m'a jamais convaincu plus que cela, c'est parce qu'elle révélait un tempérament de capitaine de navire naufragé chez lui. Au lieu d'inventer une nouvelle mission à la France, une mission dans laquelle il aurait joué un rôle important, il a préféré couler avec son vaisseau. Le Pen a préféré être le dernier Français que le premier Européen de l'Europe libérée. Son histoire personnelle d'orphelin d'un père tué pendant la guerre, de combattant en Algérie (qui était moins une guerre pour la France qu'une guerre pour l'Europe comme l'a compris un autre combattant, Dominique Venner) explique sans doute bien des choses, et c'est pourquoi il ne faut pas accabler outre mesure Jean-Marie Le Pen. Il faut juste que notre génération, qui n'a rien à regretter d'une France dont elle n'a connu que les ruines qu'elle devait payer pour les visiter, tourne la page, et cesse de marcher dans les pas d'hommes qui ne peuvent la mener qu'à sa ruine. Il fait que notre génération fasse définitivement son deuil de la France et se tourne à la fois vers l'avenir et vers le passé, en faisant ré-émerger une Grande Europe que l'émiettement stato-national avait jadis empêché.


Roman Bernard

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