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Une soirée chez La Taglioni

Publié le 24 août 2013 par Oliaiklod @Olia_i_Klod

Vers la fin de l’année 1865, Catherine Moussine-Pouchkine, princesse Troubetzkoi est à Venise, et décide de s’y installer définitivement. Un soir, elle est invitée à la Ca’ d’Oro par la ballerine Maria Taglioni.

La ballerine Maria Taglioni vers 1865

Catherine raconte quelques moments de cette soirée dans son journal.

La princesse russe a cinquante ans, cette année-là. La danseuse en a déjà douze de plus et s’est vu offrir le palais depuis une vingtaine d’années.

Nous vous laissons découvrir ce texte (en français dans son journal) et son savoureux franc parler.

"Ce soir, je suis allée, à quelques minutes de chez moi, chez cette almée italienne qui s’est fait payer un palais par mon cousin Aleksandre.

La porte d’eau sur le grand canal n’était même pas ouverte, et il fallait emprunter la minuscule calle, sans lumière, sur la droite de la maison, puis rentrer par la corte.

Depuis l’accident dramatique, survenu à ce jeune danseur qu’elle avait pris en protection, elle vient à Venise de moins en moins souvent*. Elle partage son temps entre Londres, Paris, et sa nouvelle coqueluche, une villa sur les rives du lago di Como. J’espère simplement qu’elle ne se hasardera pas à des restaurations comme celle entreprise ici. Avec l’argent de mon cousin, qu’elle a dépensé comme un fleuve, elle a pris le plus effroyable des architectes, un certain Meduna, qui a exécuté, il n’est point d’autre mot, toutes les lubies de la baladine vieillissante. Disparu l’escalier gothique, envolé le puits qui a fait le bonheur des antiquaires, partis les marbres et les sculptures, afin de faire plus moderne.

Cette femme possède un goût plus que douteux, elle a, en [18]48, préféré les autrichiens aux révolutionnaires vénitiens, préférant s’allier aux puissants que de prendre le parti de sa propre Patrie.

Être la plus grande étoile de la danse en Europe ne vous donne visiblement pas tous les dons.

Même a son âge, la Taglioni possède une cour assidue, et est encore capable de séduire de nombreux vénitiens qui lui pardonnent tous les outrages fait à Venise.Certains espèrent peut-être en ses dons d’entremetteuse.

Elle est encore féminine, il est vrai, ses membres aux articulations nerveuses et fines restent vigoureux. Mais la lourdeur de ses hanches dénoncent une certaine paresse et les flétrissures de sa peau trahissent déjà l’infamie de son âge. Le temps, pour elle, d’être une maîtresse agréable appartient bel et bien au passé. "

* Catherine Troubetzkoy fait probablement allusion à Emma Livry, appelé le Papillon, brulé vif lors d’un terrible accident, survenu en 1863, où son costume a pris feu à cause de l’éclairage de scène primitif utilisant encore des lampes à gaz au lieu de l’électricité.

EUGÈNE CICERI (1813-1890)  Maquette de décor pour « Robert le Diable », de Meyerbeer, 1831. Il s'agit du « Ballet des Nonnes », où figurait pour la première fois la danseuse Marie Taglioni.


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