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De l'indécence dans le football

Publié le 31 août 2013 par Vindex @BloggActualite
De l'indécence dans le football
« Ces chiffres ne sont pas impressionnants, ils sont indécents. Le sport ce n'est pas payé 15 millions d'euros un joueur fut-il remarquable. Le sport c'est une activité que les jeunes, les adolescents, les adultes doivent pouvoir pratiquer. Quand on voit les moyens limités, hélas limités, consacrés à eux, on se demande si vraiment ceux qui acceptent de telles rémunérations ont gardé ne serait-ce que du sens commun ».
Jérôme Cahuzac, ministre du budget, 19 juillet 2012
L'histoire est parfois d'une ironie jouissive. Ces propos outranciers de démagogie relatifs au salaire du joueur du Paris Saint-Germain Zlatan Ibrahimovic ont été tenus le 19 juillet 2012, sur l'antenne d'Europe 1, par Monsieur Jérôme Cahuzac – qui aurait mieux fait de se réjouir de la capacité fiscale d'un tel salaire – alors ministre du budget. Le même Jérôme Cahuzac qui, ministre du budget, « a été démissionné » de son poste pour avoir caché sa fortune en Suisse (enfin, pour avoir menti sur ce sujet surtout) sans comprendre à quel point sa situation était indécente.
Cette déclaration, aussi stupide soit-elle replacée dans son contexte, est un bon exemple du sentiment qui semble prendre de plus en plus de place dans la société, le football n'est plus qu'une question d'argent. Ils n'ont pas tort ces gens au fond, dans le football l'argent est roi...comme partout ailleurs. Mais là où beaucoup de gens se trompent, c'est sur l'indécence, sur l'ignominie de ce flot continu et outrancier d'argent. Les chiffres choquent évidemment mais uniquement parce qu'ils ne sont pas expliqués. Pour la majeure partie des gens, dépenser 100 millions d'euros pour recruter un joueur de foot revient à jeter de l'argent par les fenêtres. Mais c'est faux. Les médias, les politiques aussi sont complices de cette incompréhension. Je trouve plus indécent qu'un Président de la République augmente son salaire de 170 % en temps de crise plutôt qu'un joueur de foot payé 15 millions par an. Et ce pour la simple raison que les logiques sont différentes. Dans le premier cas, le bénéfice est personnel. Dans le second, le joueur est l'acteur majeur d'une économie qui s'écroulerait sans lui. Il faut bien comprendre que si un club est prêt à dépenser une fortune pour s'offrir et payer un joueur, c'est qu'il en retire un bénéfice plus important.
Un investissement rentable à moyen terme
Le football est un marché, les clubs des entreprises. Et les entreprises ne cherchent qu'à faire du bénéfice. Prenons l'exemple d'un joueur comme David Beckham. La star anglaise est plus qu'un joueur de football. L'ex-directeur sportif du Paris Saint-Germain, Leonardo n'hésitait d'ailleurs pas à le concéder. « C'est plus qu'un joueur de football, c'est une marque, une pop-star » disait-il à propos de l'anglais. Une marque qui vaut beaucoup d'argent et qui en rapporte encore plus. Entre 2003 et 2007, le Spice Boy acheté 35 millions d'euros par le Real Madrid a rapporté à ce dernier près de 440 millions d'euros (soit 12 fois le prix de son transfert). Arrivé au Paris Saint-Germain libre, l'anglais a rapporté au club de la capitale pas moins de 6 millions d'euros (sur lesquels il a touché 20 %) juste grâce à la vente de maillots. Et ce en 6 mois.
Le cas de Cristiano Ronaldo, acheté 94 millions d'euros par le Real Madrid à Manchester United, suit la même logique financière. L'investissement conséquent qui a été fait par le Real Madrid pour s'offrir celui qui est pour l'heure le plus gros transfert de l'histoire du football (en attendant l'officialisation du transfert de Gareth Bale) a été rentabilisé. En effet, entre cession d'une partie des droits à son image par le joueur au club (50 % des droits à l'image du contrat de 5 millions d'euros du joueur avec Armani reviennent au club par exemple), vente de maillots (on estime à plus d'un million de maillots de Cristiano Ronaldo vendus chaque année), augmentation des prix et des ventes de billets (le PSG est par exemple passé de 9 000 abonnés à 31 000 cette année), revalorisation de la marque Real Madrid et augmentation des droits télés... . La manne financière est énorme et l'investissement sans doute rentabilisé plus que largement.
L'achat des joueurs est donc un investissement. Mais la question qui subsiste est la suivante : comment est déterminé le coût de cet investissement ? Comment est déterminé le prix d'un joueur ?
La valeur d'un joueur n'est pas déterminé par son talent
« Aujourd'hui, c'est plus le salaire que le prix du transfert qui reflète le talent d'un joueur ».
Vincent Chaudel, consultant chez Kurt SalmonLe Figaro.fr, 16 juillet 2013.
La valeur d'un joueur n'est pas déterminé par son niveau. Le meilleur exemple est celui du suédois Zlatan Ibrahimovic. Le meilleur buteur du dernier exercice (30 buts en marchant) a été acheté 20 millions d'euros seulement par le PSG au Milan AC. Cela signifie-t-il alors qu'il est moins bon que Yoann Gourcuff (OL) acheté 22 millions ? Évidemment, non. Alors, que se cache t-il sous le prix du transfert d'un joueur si ce n'est pas uniquement son talent ?
Plusieurs composantes entrent en compte dans la valeur d'un joueur dont trois « principales »  que sont :
  • son âge
  • sa situation contractuelle
  • son statut international

L'âge d'abord. C'est ce qui explique qu'un joueur de classe mondiale comme l'est Zlatan Ibrahimovic ait coûté aussi peu cher au PSG en rapport aux transferts concernant d'autres joueurs moins importants. Âgé de 31 ans au moment de son recrutement, le suédois n'a coûté que 20 millions d'euros au PSG comme nous l'avons rappelé précédemment. Cela s'explique par l’espérance de revente du joueur. En effet, plus le joueur est âgé plus il est proche de la retraite et plus la revente du joueur est compromise. Et sa valeur baisse donc logiquement.
La situation contractuelle du joueur est également fortement prise en compte dans la valeur d'achat d'un joueur. En effet, acheter un joueur c'est racheter un contrat et les droits qui y sont attachés. Plus la durée du contrat est élevée, plus la valeur du joueur sera forte. C'est pourquoi notamment de nombreux clubs prolongent régulièrement les contrats de leurs meilleurs joueurs d'une année ou deux quand bien même ces derniers sont loin d'arriver à leurs termes. C'est ce qu'on appelle « blinder un joueur ». De la même façon, le feuilleton « Gomis » qui a secoué l'Olympique Lyonnais cet été est représentatif du rôle du contrat dans la valeur d'un joueur. Le club aimerait vendre le joueur avant que son contrat n'arrive à son terme (à la fin de cette année) afin de récupérer une somme d'argent sur le transfert plutôt que rien du tout si le joueur venait à partir libre. Si le joueur veut rester alors qu'il fasse l'effort de prolonger. L'enjeu de la valeur du joueur est ici prépondérant si bien qu'à défaut de prolongation de l'international français, le club cherchera à forcer le joueur à ne pas respecter son contrat et à partir donc. Le contrat est donc un outil de fixation de la valeur marchande d'un joueur plutôt qu'un engagement respecté, si bien qu'aujourd'hui, les contrats des joueurs ne vont que très rarement jusqu'à leur terme. Dans le football, les contrats n'ont pas vocation à être respectés.
Enfin, dernière composante importante dans la valeur marchande d'un joueur, le statut international. Sa prise en compte dans le prix du transfert peut poser divers problèmes notamment lorsque ledit agent est à la fois celui du sélectionneur et de certains joueurs de l'équipe nationale. La présélection du joueur français de l'Olympique lyonnais Yoann Gourcuff pour l'Euro 2012 par le sélectionneur Laurent Blanc a mis en exergue ce problème. En effet, le bilan en club du joueur était à l'époque qualifié « d'indéfendable » par le sélectionneur lui-même qu'il l'avait pourtant présélectionné. Or, les deux hommes avaient le même agent, Jean-Pierre Bernès. De fait, la présélection du milieu de terrain par Laurent Blanc a laissé sous-tendre l'idée que leur agent commun exigeait du sélectionneur que son joueur soit sélectionné afin que soit redoré son image et revalorisé sa valeur marchande. L'idée d'un conflit d'intérêt a donc rapidement fait son chemin.
Sans dire que la valeur sportive d'un joueur n'est pas prise en compte dans sa valeur marchande (ce qui serait faux), elle n'est pas la seule composante et pas la plus importante des composantes du prix du transfert. Je suis plutôt d'accord avec Vincent Chaudel que j'ai cité plus haut. La valeur sportive d'un joueur se mesure aujourd'hui à son salaire. Les meilleurs joueurs sont les mieux payés, enfin en principe. En effet, tous ces éléments tendent aujourd'hui à être remis en cause avec l'arrivée de milliardaires à la tête des clubs.
En effet, avec l'arrivée de milliardaires Russes ou venant du Moyen-Orient, les considérations classiques tenant à la valeur marchande d'un joueur tendent à exploser. En effet, la concurrence s'étant accrue et ses investisseurs disposant de moyens financiers illimités, ces derniers n'hésitent pas à surpayer les joueurs pour attirer les meilleurs d'entre-eux et construire une équipe et une marque de renom. Or, de meilleurs joueurs attireront plus de sponsors, de spectateurs et feront vendre plus de maillots. La logique n'est plus tellement donc au rachat d'un contrat, au rachat de droits mais on prend aujourd'hui beaucoup plus en considération le retour sur investissement. C'est aujourd'hui ce qui occupe la place la plus importante dans la détermination du prix du joueur. Face à des prix toujours plus élevés et des clubs riches toujours plus forts et plus riches, l'UEFA et l'Union européenne se sont emparés du problème de la financiarisation du football.
Des transferts bientôt limités ?
Le problème du coût élevé des transferts préoccupent les instances du football et de l'Union européenne si bien que tous essaient de chercher à encadrer ces transferts au coût « indécent ».
Il y a onze ans déjà, la Commission européenne, l'UEFA et la FIFA avaient passé un accord politique informel avec plusieurs objectifs dont on constate aujourd'hui qu'ils n'ont jamais été atteints et qui sont :
  • mettre fin aux indemnités de transferts exorbitantes
  • assurer un minimum de stabilité contractuelle
  • développer une solidarité financière entre les petits clubs et les plus grands afin de rétablir une certaine équité sportive au sein des compétitions.

Mais en onze ans, rien n'a vraiment changé. Gareth Bale est sur le point d'être transféré de Tottenham au Real Madrid pour près de 100 millions d'euros, des joueurs comme le jeune Florian Thauvin (LOSC) souhaitent quitter leur club avant même d'avoir joué leur premier match avec celui avec lequel ils viennent de s'engager et les clubs les plus riches remportent toujours toutes les compétitions qu'elles soient nationales ou internationales.
Face à cela, plusieurs solutions sont proposés. Le fair play financier d'abord. Lancé en grande pompe par l'UEFA, le fair play financier consiste en une règle simple : les clubs ne pourront pas dépenser plus que ce qu'ils ne gagnent. Si en soi cela semble être un grand pas vers l'équilibre budgétaire des clubs, le fair play financier ne devrait pas permettre malgré tout de rétablir l'équité sportive ni même permettre d'effacer les dettes des clubs. En effet, des clubs très riches comme le PSG ont dores et déjà trouvé un moyen de contourner ce fair play financier en se faisant financer très largement par un sponsor – quatari notamment – sans dire qui du sponsor ou des quataris investit réellement dans le club. Quant à l'équité sportive, il va de soi que les grands clubs auront toujours des recettes plus importantes que les petits moins attractifs et que par conséquent, ils auront toujours des moyens plus élevés. De fait, et pour d'autres raisons également que nous n'envisagerons pas aujourd'hui, le fair play financier se révèle être un outil incertain.
Aujourd'hui, seuls les clubs allemands comme par exemple le Bayern de Munich et le club anglais d'Arsenal semblent être en mesure de respecter le fair play financier et ce car leurs finances sont saines. Dès le mercato de cet été, le club londonien s'est attaché à ne pas dépenser plus ce qu'il n'a gagné, soit une enveloppe d'environ 80 millions. Ces clubs aux finances saines semblent être en avance par rapport à leurs adversaires européens toujours plus endettés. Il est vrai que dans le cas d'Arsenal, la politique du club qui passe notamment par le recrutement de jeunes joueurs en devenir n'a pour l'heure pas conduit à un succès sportif probant mais l'instauration du fair play financier laisse quelques espoirs aux supporters. D'autant que l'exemple du Bayern Munich, champion d'Europe en titre, tend à montrer que des finances saines ne sont pas incompatibles avec un succès sportif ni même un bon recrutement comme l'a démontré entre autres la signature du milieu offensif international allemand du Borrussia Dortmund Mario Götze pour 37 millions d'euros.
Pour un éclairage rapide et clair sur le fair play financier => http://video.eurosport.fr/football/90-secondes-pour-comprendre/2013-2014/90-secondes-pour-comprendre.-le-fair-play-financier_vid289195/video.shtml
Enfin, autre solution envisagée cette fois par l'Union européenne, la mise en place d'une taxe sur les transferts. Cette taxe consisterait en une redevance prélevée sur les indemnités de transferts dépassant un certain montant qui serait ensuite redistribuée entre les clubs riches et les clubs les plus démunis dans le but de rétablir une certaine équité sportive. Il faut tout de fois prendre garde à ce que cette taxe n'ai pas pour effet pervers de refroidir les investisseurs et faire disparaître ceux qui ont déjà investi, comme ce fut le cas, pour des raisons différentes, au club russe de l'Anzhi Makhachkala qui aujourd'hui a dû se séparer de ses meilleurs joueurs (Willian et Eto'O à Chelsea par exemple). De la même façon, l'indemnité de formation qui veut qu'un club qui achète un joueur âgé de moins de 23 ans reverse une indemnité au club formateur devrait être revue à la hausse afin de récompenser financièrement les clubs formateurs qui voient régulièrement leurs meilleurs talents quitter leur club ou s'exiler dans les championnats étrangers.
Dans ce contexte, l'Angleterre – qui fait partie des championnats les plus endettés d'Europe – semble avoir trouvé une solution satisfaisante au rétablissement d'une certaine équité sportive. En effet, la redistribution des droits télévisuels a eu pour conséquence cette année entre autres de permettre aux clubs les moins riches de Premier League de recruter plus ou mieux. A tel point que Wigan, dernier de Premier League l'année passée, a gagné plus d'argent (47 millions d'euros) en droits télés l'année dernière que l'OL (43,8 millions d'euros), le PSG (43,2 millions d'euros) ou encore l'OM (39,5 millions d'euros). De fait, des clubs moyens du championnat d'Angleterre comme Newcastle ont ainsi peu de difficultés à recruter les meilleurs joueurs français de notre championnat. Frédéric Antonetti, l'ancien entraîneur du Stade Rennais avait d'ailleurs pointé ce problème du doigt lors d'une conférence de presse lorsque Yann M'Vila, l'un des cadres de son équipe à l'époque, était pressenti pour partir à QPR, alors dernier de Premier League, qui a notamment accueilli le joueur international français de l'Olympique de Marseille, Loïc Rémy. Ce phénomène est d'autant plus inquiétant pour notre championnat que la renégociation à la hausse des droits télés de la Premier League ne devrait que l'accentuer.
La Major League Soccer (championnat américain de football) est également un modèle économique à suivre. En effet, le championnat dans lequel évolue désormais Thierry Henry (meilleur buteur de l'histoire de l'Equipe de France et d'Arsenal) s'est fortement inspiré de la NBA. Ainsi, en MLS, les salaires de tous les joueurs sont encadrés, plafonnés. Le salaire minimum est de 33 000 euros, le salaire maximum de 265 000 euros par an. Très loin donc des 15 millions d'Ibrahimovic au PSG ou des 20 millions annuel de Samuel Eto'O à l'Anzhi Makhachkala. Toutefois, pour attirer des grands joueurs, la MLS a prévu la possibilité pour les clubs de dépasser le plafond maximum pour trois joueurs, dits « désignés ». C'est notamment ce qui a permis à l'équipe des Los Angeles Galaxy de recruter David Beckham ou encore aux New York Red Bulls de s'offrir Thierry Henry. Autre grand avantage de la MLS, la certitude pour les joueurs de toucher leur salaire. Les joueurs sont en effet la propriété de la ligue et non pas des clubs. En ce sens, c'est à la ligue que revient la charge de verser aux joueurs leur salaire. Cette dernière offre donc aux clubs une enveloppe à partager entre les joueurs.
Le problème qui gangrène le football n'est donc pas tellement celui des transferts indécents puisque ces derniers sont bien souvent rentabilisés (notamment lorsqu'il s'agit de grands joueurs). Le problème se situe en amont de tout cela, au niveau de l'endettement des clubs. Ce n'est donc pas tant qu'on dépense autant d'argent qui doit être indécent, mais c'est que l'on dépense de l'argent que l'on n'a pas. La nuance est assez importante pour la souligner et pour que l'on y soit attaché. Michel Platini l'a d'ailleurs rappelée très récemment lorsque son avis lui a été demandé sur le montant du transfert de Gareth Bale (100 millions d'euros). Le Président de l'UEFA a alors confessé qu'il n'était pas choqué par le montant mais qu'il était important que le club qui dépense une telle somme ait cet argent.
Sources :
Le Figaro
LeMonde
Bakchich Info
Maxifoot
Maxifoot
L'expansion
France TV info
Anthony Martin

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