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Syrie : Les mots du Pape et ceux, lointains, de Nayirah

Publié le 31 août 2013 par Jcharmelot

Dans la cacophonie qui accompagne les évènements de Syrie, l’audience du Pape François au roi de Jordanie Abdallah est passée relativement inaperçue dans la presse internationale. Le Saint Père a reçu cette semaine au Vatican le souverain hachémite et son épouse Rania. Selon un communiqué du Saint Siège, les deux hommes ont notamment évoqué la situation en Syrie après l’attaque chimique du 21 août prés de Damas, et les menaces d’action militaire occidentale.

La presse du Vatican et celle proche du Saint Siège ont été plus loquaces et ont accordé à cette rencontre l’importance qu’elle mérite. Le Pape est inquiet, à juste titre, pour les deux millions de chrétiens qui vivent en Syrie. Et pour le fragile équilibre communautaire qui prévaut au Liban voisin depuis la fin de la guerre en 1990. Le roi, en dépit de la protection du grand parrain américain, voit d’un mauvais œil les centaines de milliers de réfugiés syriens, irakiens, mais aussi palestiniens, dont l’installation dans son pays remet de plus en plus en cause l’équilibre du royaume. Le journal officiel du Vatican, l’Osservatore Romano, a publié une photo de la rencontre avec comme titre « Le dialogue, unique option ». Même son de cloches de la part de l’Avvenire, le quotidien des évêques italiens. L’agence Fides et le « Cathlic News service » se sont également fait l’écho de l’inquiétude du Pape François qui a interrompu un bref repos estival pour recevoir Abdallah.

Prenant clairement position contre une intervention militaire occidentale, l’Osservatore Romano, dans un éditorial daté de Damas, a rappelé que le Pape avait lancé dès dimanche 25 un appel à la retenue face à une situation pour le moins incertaine. « En ces heures dramatiques qui voient se multiplier les signes d’une possible attaque militaire en Syrie de la part de puissances occidentales et pas seulement », écrit le quotidien du Vatican « les voix de paix et même les rappels au droit international menacent de demeurer vains. Pourtant, c’est précisément en ces heures qu’il serait encore plus nécessaire de mener une réflexion constructive sur l’appel lancé par le Pape François au cours de l’Angelus de dimanche (25) à la communauté internationale afin qu’elle « consacre tout son engagement à aider la bien-aimée nation syrienne à trouver une solution à une guerre qui sème la destruction et la mort ».

« Le point crucial réside dans les présumées preuves de la responsabilité attribuée à (Bachar al) Assad dans l’attaque chimique perpétrée le 21 août », souligne l’organe officiel du Saint Siège. Une interrogation que partagent les chefs des communautés chrétiennes d’Orient, qui se sont mobilisés, à l’unisson du Saint Siège, pour exprimer de façon très nette leur opposition à une intervention armée.

L’archevêque latin Maroun Lahham, auxiliaire du Patriarche de Jérusalem pour la Jordanie, a expliqué sur les ondes de Radio Vatican, qu’il serait bien difficile de trouver quelqu’un au Moyen-Orient assez crédule pour accepter les justifications altruistes ou humanitaires des Américains et des Européens. « Personne ne croit cela ! Ils ne prennent en comptent que leurs propres intérêts économiques et politiques. Nous espérons que les +grands+ de ce monde vont faire la paix plutôt que la guerre », a déclaré le prélat. « Nous ne voulons pas que leur désir de guerre soit mis en œuvre en Syrie. Nous espérons que la voix de la raison  –et pour nous, la voix de la foi–, soit entendue, et qu’une solution politique à la crise soit trouvée. »

La Patriarche latin de Jérusalem Fouad Twal est intervenu lui-même le 29 août. Il a fait publier un communiqué dans lequel il admoneste l’Occident. « Nos amis en Occident et aux Etats-Unis n’ont pas été attaqués par la Syrie. De quelle légitimité peuvent-ils se prévaloir pour attaquer un pays ? Qui les a nommé gendarmes de la démocratie au Moyen-Orient ? » Et d’ajouter : « Pourquoi se lancer dans une guerre alors que les experts des Nations Unies n’ont pas encore publié leurs conclusions définitives sur la nature de l’attaque et sur l’identité précise de ceux qui l’ont perpétrée ? Nous voyons là la même logique que lors de la préparation de la guerre contre l’Irak en 2003. Ne répétez pas la +comédie+ des armes de destruction de masse de l’Irak, dont personne n’a trouvé trace ».

La Patriarche syriaque catholique Youssef III Younan est allé encore plus loin dans un commentaire sur le site terransanta.net. Il a dénoncé « ces puissances qui ont armé les rebelles, ont alimenté la violence, et empoisonné encore davantage les relations entre les sunnites et les chiites. L’Occident pense qu’avec un gouvernement sunnite, la démocratie va remplacer la tyrannie, mais ce n’est qu’une illusion. Imposer un régime par la force, sans se préoccuper des formations laïques en Syrie, va provoquer un conflit bien pire qu’en Irak ».

D’autres, comme le Patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient, Bechara Rahi, sur Radio Vatican, ou le gardien des Lieux Saints de Jérusalem, le frère Pierbattista Pizzaballa, sur le site du Franciscan Media Center, ont exprimé leur refus d’une opération militaire occidentale. Pour finir, le Patriarche chaldéen de Bagdad, Louis Raphael Sako, a lui aussi annoncé « un désastre », dans le cas d’une intervention, qui serait avant tout américaine. « Ce sera comme l’éruption d’un volcan qui emportera l’Irak, le Liban et la Palestine », a-t-il assuré dans un entretien à l’agence Fides. « Dix ans après la mobilisation d’une coalition pour se débarrasser de Saddam Hussein, notre pays est encore la proie des bombes, des problèmes de sécurité, et de la crise économique ».

Ce concert de critiques du Pape et des prélats d’Orient contre une éventuelle action militaire américaine est d’autant plus intéressant qu’il intervient dans un contexte de politique intérieur aux Etats-Unis sans précédent dans l’histoire de ce pays. Jamais, même à l’époque du président John Kennedy, les catholiques romains n’ont été aussi influents dans les cercles du pouvoir à Washington. A l’exception du Président Obama lui-même, un protestant sans affiliation particulière, tous les responsables dans le domaine de la diplomatie ou de la sécurité nationale sont catholiques. Le vice-président, le secrétaire d’Etat, le secrétaire à la Défense, le patron de la CIA, le patron du Conseil de sécurité nationale à la Maison Blanche, le patron de la lutte anti-terroriste, et les principaux généraux du haut état-major. Tous sont catholiques. De même, un quart des membres du Sénat, et près d’un tiers de ceux du Congrès sont également catholiques.

Cette prédominance des catholiques ne sera jamais évoquée comme telle dans un pays dont la Constitution est inspirée par le principe de la séparation de l’Etat et de l’Eglise. Mais elle sert de contexte tacite à la concurrence entre catholiques et protestants qui est un élément de la vie politique des Etats-Unis depuis que le président Jimmy Carter est entré à la Maison Blanche en 1977. Il l’a fait en affirmant sa foi retrouvée –il fut le premier « born again christian » à devenir président— et son appartenance, à l’époque, à la « Southern Baptist convention », la plus puissantes des dénominations protestantes aux Etats-Unis. Deux autres phénomènes ont contribué à l’époque à propulser la religion comme facteur déterminant des relatons internationales : l’élection en 1978 d’un pape polonais Jean-Paul II bien décidé à abattre le communisme et à ramener un catholicisme intransigeant en Pologne ; et, bien sûr, la révolution iranienne de 1979, qui a permis à un guide spirituel chiite, l’Ayatollah Khomeyni, de prendre le pouvoir et de changer totalement les équilibres stratégiques dans le Golfe et au Moyen-Orient. Finalement, après les attentats du 11 septembre 2001, dont les responsables étaient en majorité des wahhabites saoudiens, la dimension religieuse du pouvoir aux Etats-Unis a connu son paroxysme sous les deux mandats de George W. Bush, un « methodist » influencé par les évangéliques. Il a souvent assuré que le Etats-Unis avaient été choisis par Dieu pour jouer un rôle primordial dans le monde.

Le Pape Jean Paul II s’était opposé aux deux guerres contre l’Irak, la première pour chasser Saddam Hussein du Koweit, et la deuxième pour le chasser du pouvoir. Son message central avait toujours été que la « guerre était une défaite pour l’humanité ». En 2003, il a été le leader mondial le plus virulent contre l’aventure militaire entamée par les néoconservateurs américains. Mais déjà en 1990, il avait averti que la guerre contre l’Irak était une mauvaise solution et il avait maintenu son opposition jusqu’au dernier moment. Le 15 janvier 1991, il écrivait à George Bush père : « la guerre ne va pas apporter une solution adéquate aux problèmes internationaux ». « J’espère qu’à travers des efforts de dernière minute la souveraineté du Koweit pourra être rétablie et que l’ordre international qui garantit une coexistence entre les peuples digne de notre nature humaine puisse être rétabli dans le Golfe et au Moyen Orient. »

Dans sa grande sagesse, Jean Paul II avait perçu que l’opération que l’Occident, avec l’aide de certains pays arabes –y compris la Syrie—s’apprêtait à lancer allait déstabiliser pour longtemps la région. Le président Hafez al Assad, aveuglé par sa rivalité avec Saddam Hussein, s’en est rendu compte trop tard et a été humilié lorsque la question de l’occupation du Golan par Israël n’a pas été résolue lors de la Conférence de paix qui a suivi la guerre.

Que les Bush père et fils n’écoutent pas le Pape semble parfaitement logique pour des chrétiens qui ne reconnaissent pas le pouvoir ni spirituel ni temporel du Vatican depuis près de 500 ans. Mais qu’une direction collégiale catholique comme celle des Etats-Unis d’aujourd’hui n’y prête pas plus d’attention est un phénomène très inquiétant. Il confirme que le discours des responsables, des experts, de ceux qui étaient jadis appelés les « clercs », sur la paix et la guerre échappe totalement à la raison. Que les considérations juridiques, morales, religieuses, stratégiques ou politiques ne sont plus de mise. Que l’émotion sert de justification aux petits caporaux qui dirigent la manœuvre, pour le plus grand profit des capitaines d’industrie. Depuis « Tempête du Désert », et la promesse d’un nouvel ordre mondial débarrassé du communisme, la guerre permanente s’est révélée être une bonne affaire. Et la machine économique et financière qui s’est mise en place pour la promouvoir et l’exécuter doit être alimentée. Sans que la voix d’un nouveau Pape, à qui toute une partie de l’humanité a confié son espoir d’un monde plus juste, ne soit écoutée.

Et pourtant. Le 10 octobre 1990, une voix avait été écoutée dans une commission des droits de l’homme affiliée au Congrès américain. C’était celle d’une jeune femme qui faisait le récit déchirant de la sauvagerie des soldats irakiens qui avaient envahi le Koweit. La jeune femme, qui répondait au prénom de Nayirah, expliquait comment elle avait été témoin de la mort de nouveaux nés que les brutes venues de Bagdad sortaient vivants de leurs incubateurs pour les laisser ensuite mourir asphyxiés. Cette histoire a tiré des larmes aux membres du Congrès, et fait la Une de la presse américaine. Elle a été confirmée quelques jours plus tard par la très sérieuse Amnesty International, et les responsables américains s’en sont servis à outrance pour justifier une intervention militaire. Par la suite, les journalistes débarqués au Koweit avec l’armée américaine ont tenté de vérifier ce récit tragique. De retrouver des témoins, des parents, des médecins qui avaient assisté à ces actes barbares. En vain.

Finalement, en janvier 1992, le New York Times publiait une enquête établissant que la jeune femme, dont les mots avaient ému le monde, était la fille de l’ambassadeur koweitien à Washington, Saud ben Nasser al Sabah. Qu’elle n’avait jamais rien vu de ce qu’elle avait raconté. Et que son témoignage avait été organisé par le cabinet de conseil en communication, Hill and  Knowlton, sous contrat avec l’état du Koweit. Amnesty International a publié des excuses, et assuré que ses enquêteurs n’avaient trouvé aucune preuve que les forces irakiennes avaient provoqué la mort de nouveaux nés en les retirant de leurs incubateurs .

« Un minium de travail journalistique d’enquête aurait rendu un grand service à la démocratie », concluait le reporter du New York Times qui avait découvert la vérité. Mais bien sûr il était trop tard.


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