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Là où l’herbe est plus verte

Par Apolline Mariotte @ApollineAM

La brume capricieuse retarde le décollage du coucou qui doit survoler la baie de Galway et nous déposer sur Inis Mór, île de l’archipel irlandais Aran. Les huit passagers scrutent le ciel, tantôt se levant remplis d’espoir, tantôt se rasseyant, résignés, au rythme des annonces du commandant de bord. A quelques minutes d’intervalle, le ciel est bleu et dégagé, puis il s’assombrit jusqu’à nous tomber sur la tête.

Rien n’y fera. Le fog est bien installé aujourd’hui. Nous empruntons un bateau et amarrons une petite heure plus tard sur une côte en dentelle de pierre, comme taillée par des géants. Au loin, une forêt de croix celtiques se dresse, laissant deviner la présence d’un cimetière érigé face à l’océan, battu par les embruns. Existe-t-il plus paisible endroit pour reposer éternellement ?

Au bord des eaux argentées de l’Atlantique nord, dans un étrange mariage d’iode et d’effluves de campagne, dans une alchimie de brume et de lumière, un spectacle de lande parsemée de murets de pierre sèche qui serpentent s’offre aux marcheurs. Sous l’herbe grasse et verte, sous les massifs d’une végétation aux teintes violette, orange et jaune, les pieds foulent un pavement naturel et des paysages indomptés qui racontent l’aube du monde.

Le soir venu, dans la chaleur feutrée d’un pub hors d’âge, dans la chaleur familière de la patrie de Yeats, Wilde, Swift et Beckett, une question revient sur les lèvres des autochtones : what’s the craic ? Le gaélique craic qui désigne la bonne nouvelle, l’événement heureux, la petite histoire chargée d’optimisme. Car, si leur pays ne compte pas autant de roux et de moutons que les clichés l’affirment, les Irlandais n’en font pas mentir un autre. Celui d’être chaleureux, celui de voir toujours le verre à moitié plein et, ils l’ont compris, il ne tient qu’à eux que l’herbe soit plus verte sur leur terre.

Par la fenêtre entrouverte s’échappe le son de la harpe et du fiddle. On aperçoit une route sans lumière luisante d’humidité, on sent une odeur de feu de bois et de tourbe qui flotte. Un petit cheval attentif, les oreilles mobiles, paît dans l’ombre d’un monolithe. La lumière du phare, estompée par la brume, s’étale dans le ciel d’encre comme une aquarelle sur laquelle on aurait passé une main humide.

Arthur resserre ses doigts sur sa chaleureuse et fraîche pinte de Smithwick’s. Il fait plutôt bon pour un 14 août. 


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