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Hommes dans la rue : quand l'administration accélère la chute

Publié le 03 septembre 2013 par Asse @ass69014555

Sylvie Lhoste

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« Il » est sans-abri. Mais ça ne se voit pas. Il est rasé de près, propre sur lui, intelligent, cultivé, drôle. Mais il risque de plonger.

Il y a deux semaines, pendant qu'il était à la douche aux Bains Municipaux, il a laissé sa « demeure » sans surveillance. Lorsqu'il en est revenu, les services de nettoyage avaient mis toutes ses affaires à la benne à ordure sur réquisition de la police.

Pas seulement le carton qui sert d'isolant contre l'humidité du sol, mais la valise toute neuve qu'on lui avait dénichée ! « Il » éprouve une grande tristesse : il pourra à terme trouver un autre duvet et des vêtements. Pas les souvenirs chers que rien ne saurait remplacer...

Deux jours plus tard, on lui vole sa sacoche pendant son sommeil. Plus de téléphone, plus de papiers, et aussi volée la clé d'une cave prêtée pour qu'il y stocke ses affaires de rechange.  « Evidemment pour toucher mon RSA il va falloir que je refasse ma carte de retrait. Pour faire ma déclaration de vol, il me faut justifier de mon identité ( impossible ! je n'ai plus rien du tout). Pour faire un duplicata de ma domiciliation, il me faut au moins la déclaration de perte... Bref le serpent se mord la queue et je ne peux rien faire !!! Plus de cartes pour manger* non plus ».

Il lutte ! On lui donne un téléphone. L'opérateur du donateur ne parvient pas à le desimlocker alors que c'est une obligation contractuelle... « C'est mon lien social... Donc forcémént le truc le plus vital en ce moment... Je venais de recharger 20 euros pour illimité d'un mois... »

Au fil des jours, « Il » ne baisse pourtant pas les bras ! « Heureusement on a retrouvé une photocopie de ma CNI dans mon dossier PSA... Ca a un peu aidé. Il faudra aussi que je fasse un duplicata de ma domiciliation lundi, refaire ma carte vitale, mon passe navigo, le duplicata de mon permis ».

Quand on se fait voler ses affaires, toutes les démarches sont compliquées. Quand on se fait voler ses affaires et qu'on est à la rue tout est TERRIBLEMENT compliqué et le moral en prend un sacré coup. Et quand le moral en prend un sacré coup et qu'on est à la rue, on a envie de hurler !


« Je suis vite submergé par pas grand chose comme tu peux le voir ! Et je suis pas encore allé à La CPAM, ce sera pour demain, là je retourne à mon courrier voir si j'ai reçu le recommandé pour ma carte... »

« Il » se contente (presque) de le faire par écrit...

Oui, ta colère est légitime
Tu es en colère. Très en colère.
Tu cries fort cette colère à qui veut l’entendre, aux gens en qui tu as confiance, aux inconnus. Tu la cries avec des mots durs, des éclats de voix, ton portable fracassé sur le sol, une agitation dans tout ton corps.
Ta colère, elle te fait peur. Parce que tu n’aimes pas être en colère, et tu n’aimes pas l’homme en colère que tu es.
Tu es en colère parce que la vie est injuste. Parce qu’aux Assedics, tu n’as pas pu toucher d’allocations car tu avais des bulletins de salaire, pas les fiches employeurs jaunes. Parce que c’est toujours aux pauvres qu’on prend. Parce que tes médecins te disent jamais la même chose et y’en a toujours un pour dire que l’autre t’a dit n’importe quoi. Parce que vivre avec un RSA à Paris, putain c’est la misère. Parce que là où tu vis, y’a des jeunes qui pissent dans l’ascenseur et qui foutent le bordel au milieu de la nuit. Parce que quand on vit à la rue, on nous refuse une cure car quid de l’après, disent-ils. Parce qu’une autre association croisée sur ta route, encore une, t’a fait une promesse qu’elle est incapable de tenir.
Moi aussi, je suis très en colère.
En colère, parce que ta colère dérange.
On voudrait que ta colère, tu la formules avec des mots polis, que tes gestes soient posés, tes phrases construites, que tu mélanges pas tout, et si tu continues à crier tu sors tout de suite ça suffit oui.
En vrai, on est incapable de l’entendre comme elle sort, ta colère, de manière brute. On voudrait la policer. Et si on pouvait la faire taire complètement, ce serait encore mieux.
Alors voilà, je te le dis, moi je l’aime, ta colère.
D’abord, parce que quand tu es en colère, tu pointes avec justesse et finesse les angles morts de notre société, ses injustices, ses aberrations. Et qu’il faudrait pas qu’on s’y résigne, parce que c’est comme ça la vie et qu’il faut faire avec. Non. C’est injuste, et tu as raison de le répéter.
J’aime ta colère aussi parce qu’elle fait de toi un homme libre, debout. Parce que dans ta colère, je vois l’amour de la justice, la force de l’insoumis, la rage du battant. Et que depuis que je te côtoie, tu m’en donnes un peu, de tout ça.
Alors s’il-te-plait, ne te tais pas.

* Cartes délivrées par les associations pour bénéficier d'un repas dans un service dédié aux sans-abris

Dominique Baudis, Défenseur des droits, dénonce lui aussi ces "violences administratives" dans une interviw donnée au JDD à propos du rapport qu'il a remis le 1er septembre 2013 au président de la République.

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« [L'administration française] est minée par l’incertitude. À travers les réclamations reçues, je me rends compte que nous faisons face à une paupérisation grandissante. 20% des Français terminent le mois dans le rouge à la banque, un enfant sur cinq vit au-dessous du seuil de pauvreté, chaque jour la France compte 1.000 nouveaux chômeurs.

En 2012, les trois quarts des réclamations que nous avons reçues concernent les relations entre les citoyens et l’Administration, principalement dans le domaine de la protection sociale, à Pôle emploi, auprès des caisses d’assurance maladie, de retraite, d’allocations familiales… Pour des familles qui sont sur le fil, le moindre incident provoque une chute dont elles ne se relèvent pas, ne sachant pas à qui s’adresser. J’ai le souvenir de cette grand-mère qui, du jour au lendemain, a perdu tous ses droits, pension de retraite, couverture sociale… parce qu’une dame, née le même jour qu’elle et qui portait les mêmes nom et prénom, était décédée : l’Administration avait confondu les deux identités. Cette femme, seule pour démêler sa situation, sans famille, s’est retrouvée devant un véritable mur. Les plates-formes téléphoniques, les services externalisés, les délégations de service public ont rendu l’Administration encore plus abstraite, plus inaccessible, plus violente.

(...) Nous traitons les demandes qui nous arrivent sans distinction ni priorité. En revanche, nous allons sensibiliser le pouvoir sur un certain nombre de dossiers. La circulaire dite "Roms", qui prévoit, lors du démantèlement de chaque camp, un programme d’évaluation et de scolarisation, était remarquable. Mais dans la pratique, elle n’est que rarement appliquée. Sur le handicap, la loi de 2005, qui prévoyait un moratoire de dix ans pour rendre accessibles à tous les établissements publics, entre en application dans deux ans. Alors que près de 90% du temps imparti est écoulé, moins de 20% des équipements sont adaptés.

En 2015, l’État sera systématiquement condamné lorsqu’un citoyen saisira les tribunaux... »


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