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L'implicite en classe de FLE

Par Alaindependant

Le sujet que nous avons choisi de développer ici se centre sur l'étude de l'implicite en classe de FLE, ce qui implique une double approche.

Tout d'abord, partons du fait que notre langue est étudiée en partie par des personnes qui ne la connaissent pas ou très peu (nous parlerons d' apprenants par la suite) ; leur connaissance de la langue se limite donc à une approche purement linguistique et explicite. Or, si l'on se base sur les travaux de Robert Galisson, la langue, parlée ou écrite, est par définition " chargée " culturellement parce qu'elle reflète la société qui l'utilise, ses valeurs et ses croyances. Ceci est particulièrement visible lors de l'utilisation des culturèmes par les natifs. De fait, chaque communauté possède les siens en propre ; ils représentent leur façon de vivre, leur façon de penser et surtout leur façon de percevoir le monde. Tout cet implicite culturel sous-jacent pose problème dans la communication interculturelle : comment se comprendre sans références communes ?

Poursuivons avec la constatation suivante : toute langue, quelle qu'elle soit, possède une part de non-dit. Ce versant particulier du langage se contente de suggérer les choses à travers des phrases qu'il ne suffit pas d'analyser textuellement pour en saisir le sens. La difficulté est grande pour un non-natif : non seulement il doit apprendre à déceler l'implicite, car il fait partie intégrante de la langue, mais idéalement il devrait savoir l'utiliser de lui-même par la suite (pour les raisons que nous donnons plus loin).

L'implicite en classe de FLE est un sujet vaste et demande une réflexion plus approfondie que celle présentée dans les pages suivantes. De ce fait, il nous a semblé préférable de le restreindre à un certain type d'implicite profondément ancré dans la société humaine, à savoir l'humour et l'ironie. Notre hypothèse est la suivante : comprendre l'humour et l'ironie d'une situation revient à saisir le mode de fonctionnement de la société et à augmenter les chances d'en faire partie à travers une complicité partagée.

Notre travail se donne pour objectif de justifier notre hypothèse à travers la lecture de livres théoriques, articles et mémoires. Nous commencerons par évoquer quelques constats qui permettront de faire un état des choses avant d'entrer dans le vif du sujet. Nous poursuivrons en explicitant les buts d'un tel enseignement et nous terminerons par une partie plus pratique, centrée sur la classe de FLE.

ui est virtuellement contenu dans une proposition, un fait, sans être formellement exprimé, et peut en être tiré par déduction, induction " ; " ce qui est sous-entendu, non formulé, présupposé ". Dans un premier temps, retenons de cette définition que l'implicite se présente comme un contenu non exprimé, suggéré. Il va de soi que ce concept présente d'autres implications que nous interrogerons dans la suite du travail. Pour l'instant, gardons ceci en tête et attelons-nous à divers constats en lien avec notre sujet.

L'implicite se signale par son omniprésence dans notre vie quotidienne : en effet, à un moment donné, nous usons tous du suggéré, que ce soit dans notre discours ou dans notre comportement. Prenons appui sur cette remarque pour signaler que nous nous exprimons de manière indirecte aussi bien avec notre voix qu'avec notre corps ; les spécialistes du domaine ont appelé cela le " langage silencieux ". Pour illustrer le concept, choisissons une situation parlante, parmi les plus fréquentes : le comportement d'un individu lorsqu'il sent que son " territoire " est menacé d'une manière ou d'une autre. Il a été prouvé qu'inconsciemment, chacun d'entre nous protège son espace en reculant quand notre interlocuteur est trop près ou quand il essaye de nous toucher (ce qui semble être le cas dans les pays du Maghreb). Nous pourrions augmenter le nombre d'exemples en parlant de la conception du temps, des gestes et de bien d'autres choses, mais il n'entre pas dans notre propos de définir de manière détaillée toutes les attitudes que suscite le comportement implicite non verbal.

Rejoignons le cadre de notre travail en passant dès à présent à l'autre type d'implicite : l'implicite verbal. Problématisons quelque peu la notion en nous posant la question suivante : pourquoi recourir à l'implicite ? Pourquoi transmettre un message de manière détournée et indirecte, alors qu'il est si simple de poser les choses clairement et explicitement ? Les mêmes spécialistes auxquels nous avons déjà fait allusion fournissent une triple réponse : tout d'abord, il arrive que l'individu ait recours à l'implicite pour ménager autrui ; il suggère l'information de manière à éviter les réactions de rejet (c'est ce que l'on appelle la loi de convenance). L'individu peut également y avoir recours par volonté de manipulation : le locuteur prend le pouvoir sur autrui en pouvant dégager sa responsabilité à tout moment en prétendant n'avoir " rien dit de tel ". Enfin, l'individu peut se servir de l'implicite pour ironiser ou faire de l'humour. Ce dernier cas de figure fait l'objet d'une analyse plus approfondie.

" Décoder " la société dans laquelle on vit suppose s'approcher des autres, leur parler, partager leur quotidien. Entamer toutes ces démarches est souvent difficile pour un apprenant ; en effet, oser aller vers les autres, c'est obligatoirement s'exposer, prendre des risques. Pour illustrer ce concept, recourons à l'exemple bien connu qu'est la peur de l'erreur. Particulièrement tenace, notamment chez les Asiatiques, elle musèle beaucoup d'apprenants, car ils évitent de parler lorsqu'ils ne sont pas sûrs à cent pour cent de la justesse de ce qu'ils avancent.

L'humour et l'ironie, nous l'avons dit dans l'introduction, ont pour particularité d'être culturellement spécifiques à une société donnée : bien que l'humour soit universel, les moyens mis en œuvre pour le développer et le comprendre varient selon les communautés (sans compter le fait que l'humour développé par une certaine culture risque de ne pas plaire à une autre).

Ainsi, la première raison pour laquelle il est très intéressant d'étudier ce domaine en classe de FLE relève de la logique pure : dans le but de connaitre la culture du pays d'accueil. Puisque l'humour varie d'une société à l'autre, c'est l'occasion pour les apprenants d'en apprendre plus sur les us et coutumes, les traditions, les croyances et les valeurs propres à une société. Avant d'aller plus avant, nous tenons à insérer dans notre démonstration une réflexion de Robert Galisson qui nous a semblé bien à propos : selon lui, les apprenants aspirent à connaitre la culture du pays qui les accueille afin de comprendre les autres et d'être compris d'eux (ce qui rejoint parfaitement notre propos). Il continue en affirmant que l'enseignement de la culture agit comme une sorte de clé de compréhension de la société dans laquelle vivent les apprenants et non comme le " moyen idéal " de se faire passer pour des natifs. Ces derniers veulent rester eux-mêmes tout en comprenant la société de leur pays d'accueil. Dans cette optique, il milite pour un enseignement de la culture comportementale, liée à la vie quotidienne plutôt qu'une culture encyclopédique qui ne leur apprendrait rien sur la vie en société. De fait, quoi de plus naturel et de plus évocateur que l'humour ?

Un modèle culturel est un ensemble structuré de conduites qui s'imposent à l'intérieur d'un groupe social déterminé et qui sont dotées d'une certaine permanence. Il peut être explicite et faire l'objet de sanctions comme pour le Code de la route qui représente le modèle de la conduite automobile ; il peut aussi être largement implicite comme la politesse qui constitue un modèle des relations sociales .

Ainsi, l'objectif d'un cours de FLE qui travaille sur l'humour et l'ironie est double : connaitre l'Autre et se connaitre soi-même à travers les autres.

Au-delà du contenu culturel que nous venons d'évoquer et de toutes les implications que nous avons mentionnées, l'apprenant qui maitrise progressivement l'implicite de la langue cible dans sa vie quotidienne développe une véritable compétence langagière dans le sens où il peut désormais se servir de la langue comme un natif, c'est-à-dire non seulement comme moyen de communication, mais également comme outil ou arme (dans une volonté de manipulation, par exemple).

En nous inspirant de lectures spécialisées, nous avons discerné deux grandes étapes dans l'apprentissage de l'implicite. Dans un premier temps, l'apprenant se doit de déchiffrer la langue cible afin de pouvoir différencier une phrase humoristique d'une phrase normale, ce qui présuppose l'acquisition d'une certaine compétence. En effet, " l'extraction d'un contenu implicite exige du décodeur un surplus de travail interprétatif " : ce qui semble si simple aux yeux des natifs l'est beaucoup moins pour des personnes qui ne savent pas reconnaitre un ton placide, une voix traînante, des gestes particuliers... bref, tout ce qui indique à un locuteur averti qu'il se trouve face à un énoncé humoristique ou ironique. Dans un second temps, l'apprenant réinvestit ses nouvelles connaissances en les appliquant à la société qui l'entoure.

Si la première partie de l'apprentissage demande un " simple " travail de déchiffrage (pratiqué régulièrement, il n'est pas insurmontable), la seconde partie est beaucoup plus complexe. Nous l'avons vu, un cours de FLE qui porte sur l'implicite dépasse l'étude stricte de la langue en versant dans le domaine culturel. Étant donné que la matière dépend du contexte, des individus en présence et de la société, le cours se doit de répondre à des questions du type : quand peut-on utiliser l'humour ? Dans quelles situations ? Avec qui ? Le même humour se pratique-t-il avec tout le monde ?, etc.

Selon une enquête menée par une étudiante dans le cadre de son mémoire, une grande majorité d'apprenants nouvellement arrivés dans leur pays d'accueil ne se sentent pas vraiment concernés par l'apprentissage de l'humour. Ils trouvent cela difficile et avouent que leur préoccupation principale consiste à se faire comprendre, sans plus. En privilégiant une utilisation communicative de la langue, ils délaissent quelque peu son utilisation ludique, bien qu'elle véhicule un contenu culturel important. Cependant, tous manifestent l'envie de comprendre l'humour, les traits d'esprit et autres manifestations amusantes parce qu'elles les tiennent éloignés des autres si elles ne sont pas intégrées. Nous retrouvons la même pensée dans d'autres ouvrages :

L'étude de l'implicite est à envisager à un stade avancé de l'apprentissage en raison des deux motifs cités ci-dessus : parce qu'il faut du temps pour maitriser la langue et pour trouver le courage de parler aux autres.

b) L'apprentissage de l'humour : exemples à traiter en classe de FLE

Dans le but de rendre ces théories plus concrètes, nous avons décidé d'inclure dans notre travail un exemple de séquence pédagogique issu d'un article traitant de l'apprentissage de l'humour en FLE. L'idée de base consiste à partir d'une pratique humoristique bien connue dans notre culture (les histoires drôles imprimées sur le papier des bonbons Carambar) et d'imaginer comment la travailler en classe de français langue seconde. L'objectif poursuivi est double : définir les compétences que l'apprenant doit mobiliser pour comprendre l'histoire, mais également déterminer en quoi cela l'aidera à en apprendre plus sur la culture de son pays d'accueil.

À côté de l'apprentissage purement linguistique de la langue, enseigner l'humour en classe de FLE permet aux apprenants de se familiariser à l'écoute de sujets brefs se renouvelant sans cesse. En effet, à force d'entendre ou de lire des blagues, ils développent une flexibilité dans l'audition, sans compter le fait qu'ils se familiarisent de plus en plus à l'humour de leur pays d'accueil. Chaque histoire drôle est suivie de préférence par une discussion où l'apprenant doit expliquer ce qu'il a compris. Cet exercice est très important parce qu'il va au-delà de la simple reformulation : il s'agit non seulement de raconter l'histoire, mais également d'énoncer le contenu implicite qu'elle véhicule.

Enfin, expliciter une histoire drôle en classe de FLE représente aussi pour l'apprenant une occasion à saisir : elle consiste à déterminer les ressemblances et les différences culturelles qui existent entre sa culture d'origine et son pays d'accueil.

Proposons à présent un exemple concret de blague que l'on retrouve dans les Carambar : " Monsieur et Madame Dénoir ont une fille. DAISY. " En classe, l'enseignant a l'opportunité de la travailler de diverses manières, c'est-à-dire d'aborder des points tant linguistiques que culturels (d'où la richesse d'un enseignement basé sur l'humour et l'ironie). Par exemple, les apprenants doivent cerner le processus de lecture de la blague. Dans notre cas, il s'agit de lire à haute voix et sans opérer de pause afin de trouver le syntagme " des idées noires ". Le professeur peut travailler le fonctionnement des liaisons en français (" ont un fils ") ou encore les règles de prononciation des " e " muets (" fille ").

c) Enseigner l'humour en classe de FLE à travers les culturèmes

Dans l'introduction de notre travail, nous avons signalé que la langue est un objet imprégné de culture. Cette dernière n'est pas répartie de manière uniforme dans tous les mots : certains d'entre eux sont davantage chargés culturellement, ce sont les culturèmes. Robert Galisson, grand inventeur du concept, affirme que des contenus de culture spécifiques se déposent dans certains mots en particulier, ajoutant une signification nouvelle à la définition de départ. Ainsi, lorsqu'une personne dit à une autre, un vendredi 1 er avril : " aujourd'hui, c'est vraiment le jour du poisson ", il faudra déduire l'idée du poisson d'avril et le fait que les catholiques ne mangent pas de viande le vendredi.

L'auteur va plus loin en proposant une typologie des culturèmes en trois catégories (nous les présentons brièvement). Tout d'abord, il affirme qu'une partie de ces mots chargés culturellement proviennent de jugements véhiculés par des locutions figurées. Le bestiaire culturel, spécifique à chaque langue, offre de bons exemples : " sale comme un cochon ", " fort comme un bœuf ", etc. Ensuite, il cite les culturèmes résultant de l'association d'un lieu à un produit : " la moutarde de Dijon ", " le bleu d'Auvergne ", " les bêtises de Cambrai ", etc. Enfin, il termine en citant des exemples de culturèmes issus de diverses coutumes : Noël évoque le sapin, la Toussaint évoque le cimetière, l'anniversaire évoque le gâteau, etc.

Dès lors, interrogeons-nous : pourquoi utiliser les culturèmes en classe de FLE et comment les travailler ? Au-delà du fait qu'ils sont représentatifs de la société qui les emploie, Robert Galisson est convaincu que ces mots peuvent servir de " monnaie d'échange interculturelle " parce qu'ils ont la faculté d'éclairer deux cultures. Pour justifier son raisonnement, il utilise l'exemple suivant : le mot " pintade " se réfère à la paresse en Côte d'Ivoire (parce que cet oiseau ne couve pas ses œufs), alors qu'en France, il symbolise plutôt le concept de borné, obtus (parce qu'elle a une petite tête). Dans d'autres cas, il arrive que ce soit le même trait qui donne lieu à deux interprétations différentes.

Notre travail, rappelons-le, s'était donné pour buts de prouver qu'il n'estpas vain d'étudier l'implicite du langage en classe de FLE et de donner des pistes concrètes. Pour ce faire, nous avons élaboré une réflexion en plusieurs points : après avoir confirmé la présence (voire l'omniprésence) de l'implicite dans toute interaction linguistique, nous avons mis l'accent sur la difficulté d'un tel apprentissage dans la perspective d'interactions interculturelles.

Par la suite, nous avons mis en évidence les raisons d'être d'un tel enseignement : tout d'abord, nous avons évoqué le côté interculturel en concluant sur le fait qu'étudier l'humour et l'ironie permettait de connaitre l'Autre et soi-même à travers les autres. Ensuite, nous avons mis au jour la compétence linguistique résultant d'une maitrise de l'implicite.

En donnant des exemples d'analyse concrets, la troisième partie incarnait le côté plus pratique de notre travail : à partir des blagues de Carambar, nous avons mis en évidence les nombreuses possibilités d'exploitations prouvant par là la richesse d'un tel enseignement. Nous avons terminé la réflexion en définissant les culturèmes et en justifiant leur utilisation en classe de FLE.

Au terme de ce travail, nous avons prouvé que l'implicite (et l'humour en particulier) avait toute sa place en classe de FLE, car il éclairait les apprenants sur la société qui les entoure tant au niveau linguistique que culturel. En tant que sujet hautement chargé culturellement, nous concluons sur l'idée que l'implicite est la voie idéale pour tout apprenant qui désire en apprendre davantage sur la société du pays qui l'accueille. Par là même, il devrait occuper une place prépondérante dans la matière des cours de FLE.

Blondel Alain e.a., Que voulez-vous dire ? Compétences culturelles et stratégies didactiques, Bruxelles, Duculot, 1998 (Stratégies).

Blondel Alain e.a., Que voulez-vous dire ? Compétences culturelles et stratégies didactiques (fiches pédagogiques), Bruxelles, Duculot, 1998 (Stratégies).

Collès Luc, Interculturel : des questions vives pour le temps présent, Belgique, E.M.E., 2006 (Discours et Méthodes)

Collès Luc, , in C. BEMPORAD et TH. JEANNERET, Du discours usuel au discours littéraire : à la découverte de l'implicite en classe de FLE Lectures littéraires et appropriation des langues étrangères, Etude de Lettres, vol.4, 2007, pp.53-69.

Gachet Sylvie, " Humour et apprentissage interculturel en classe de FLE ", dans Diversités culturelles et apprentissage du français. Approche interculturelle et problématiques linguistiques, sous la directiond'Olivier Bertrand, Palaiseau, éditions de l'école Polytechnique, Octobre 2005, p. 79 à 88.

Galisson Robert, De la langue à la culture des mots, Paris, CLE, 1991 (Didactique des Langues étrangères).

Kerbrat-Orecchioni Catherine, L'implicite, Paris, Armand Collin, 1986 (Linguistique).


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