Magazine Asie

"Les années douces" de Kawakami : savourer la vie à tout âge, sans regret

Par Kaeru @Kaeru

Plusieurs critiques élogieuses m'ont donné envie de découvrir cette auteur japonaise contemporaine et je ne regrette pas ma lecture. Ce roman, à la fois très japonais dans le ton et le sujet, est aussi très universel puisqu'il parle des petites choses qui colorent la normalité et la fadeur du quotidien.

Une rencontre en forme de retrouvailles


Tsukiko a trente-sept. Sa vie s'articule autour d'un travail qui ne la passionne pas. Elle entretient un vide autour d'elle, ses relations humaines sont distantes. Elle semble flotter, juste traverser les jours sans passion, ses émotions éteintes et son regard baissé, elle se drape dans une solitude choisie. Pourtant, derrière cette façade lisse de femme active qui assume seule son existence comme un poids imposé, elle sait se faire plaisir.
Elle sait écouter et choisir ce qui est important. Quand, un soir, elle rencontre dans un petit bistrot, un de ses anciens professeurs de lettre du lycée, le maître, elle se laisse portée comme elle le fait toujours. Entre ce vieux professeur veuf depuis peu et cette femme qui refuse les relations amoureuses sérieuses se tisse un lien fait de conversations anodines mais aussi de leçons d'apprentissage diverses administrées avec sérieux par le maître à son ancienne élève.
Une étrange amitié nait alors avec cet homme malgré la différence d'âge et de positon sociale. Au fil des semaines, elle réalise que son attachement est réel et sincère et elle se surprend à vouloir plus, à ressentir plus. Tsukiko, indolente et passive se révèle doucement, s'affirme.

L'épanouissement dans la lenteur


La narration, du point de vu de Tsukiko, égraine des moments partagés entre les deux personnages : les courses dans un marché couvert, une balade en forêt pour cueillir des champignons, des promenades de fin d’après midi quand la nuit tombe, le passage des saisons avec le hanami... Le dénominateur commun de leur rencontre est souvent un vif intérêt pour la gastronomie et la dégustation de saké. Les plats consommés sont décrits avec une précision chirurgicale et donne l'eau à la bouche. Des plaisirs simples et sensuels partagés entre Tsukiko et le maître qui dépassent et transcendent toute les barrières et réconcilient de leur chamailleries.
La quotidienneté des échanges n'entrainent aucun ennuie pour le lecteur. Petit à petit, on sent l'évolution de la relation, on sent le fortuit glissée vers le volontaire. Ce qui commence comme une amitié de hasard devient un véritable lien dont on prend soin. Quand on sait à quel point il est incongru au Japon pour un homme et un femme d'entretenir une amitié, on a un regard plus attentif sur le roman. La différence d'âge notable est toujours présente, impossible à oublier. Pourtant, à mesure que la tendresse cède le pas face à une attirance bien réelle de Tsukiko pour le vieux professeur, Kawakami réussit à éviter le sordide. Avec poésie, l'auteur nous compte la naissance des émotions et des sentiments chez une femme qui, au départ, est anesthésiée, adaptée au moule social japonais se contenant de miettes de bonheur.

Un roman en forme de poème


Le style de « Les années douces » est simple, épuré est facile. La lecture est aisée, rapide mais cependant toujours avec une poésie latente. Il n'y pas de grande envolée, pas de suspens. Pourtant, une fois commencé, il est difficile de lâcher . Une tranche de vie pas si anodine où la passivité et la souplesse apparente dissimulent une grande force et une grande passion. Un roman qui nous rappelle que derrière une façade de douceur aimable et de retenu polie une femme japonaise vibre, vit et choisit pour elle même contre la facilité et les normes sociale. Le personnage de Tsukiko n'a rien d'incolore, elle a le goût du sel et l’amertume du concombre mariné. A la fois ferme et tendre. Un roman qui nous rappelle aussi de prendre le temps de vie et d'apprécier. La vie est courte et les plaisirs sont éphémères. De ces instants volatils il ne restent que les souvenirs.
Une jolie découverte qui, outre son intérêt littéraire, propose aussi un voyage dans un Japon sensible et plus éloigné des images touristiques traditionnelles.
Enfin, parce qu'il m'est devenu impossible de parler du Japon sans songer à Fukushima, je vous conseille de lire le très beau texte que Kawakami a écrit juste après la triple catastrophe de mars 2011 :
http://www.telerama.fr/livre/japon-les-heures-d-apres-par-hiromi-kawakami-romanciere,67746.phpCopyright : Marianne Ciaudo

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Kaeru 5607 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte