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Siba - En "Avante"

Publié le 11 septembre 2013 par Boebis @bonjoursamba

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Mais Um Disos, le label londonien, déjà derrière l'exportation de Lucas Santtana et du Graveola e o Lixo Polifônico lance dans nos contrées Avante de Siba, un an et demi après sa sortie remarquée au Brésil. Une bonne occasion de revenir sur ce formidable album.

Avante ("en avant") réprésente une nouvelle métamorphose pour Siba, un nouveau saut comme l'indique le morceau emblématique du disque Preparando o salto. Mais pas le premier, tant la carrière de Siba qui s'étale déjà sur deux décennie est marquée par ces changements de direction.

Le premier saut de Siba fut de sortir du microcosme de la fac de musique versé dans le rock pour se lancer à corps perdu dans les musiques locales, à l'époque snobées par la jeunesse de Recife (maracatu de baque solto, côco de roda, ciranda, frevo, cantoria...). Il s'initie à la rabeca, une sorte de violon populaire d'apparence assez rustique et fonde Mestre Ambrósio qui allait devenir un des piliers du mangue-beat naissant. Un mouvement de réappropriation des rythmes du Pernambuco avec le son et l'urgence du rock. Une scène qui plaça cet Etat au coeur de la musique indépendante brésilienne pour ne plus jamais le quitter. Les meilleurs musiciens pernambucanos actuels en sont encore les héritiers. La plupart sont même issus de groupes directement rattachés au mangue-beat: Alessandra Leao (ex-Comadre Fulozinha), Otto (ex-Mundo Livre SA), Lirinha (ex-Cordel do Fogo Encantado) ou le Nação Zumbi, toujours en activité.

Mestre Ambrósio avait un son moins électrique que les autres groupes phares du mangue-beat, Nação Zumbi et Mundo Livre SA. Pour cette raison, il est considéré comme le plus traditionnel de cette scène. Ce n'est qu'un témoignage du préjugé persistant qui associe instruments amplifiés, platines ou pédales d'effets à la modernité et les instruments acoustiques à la tradition. Alors que tous s'inscrivent dans une tradition, à charge pour chaque musicien de dialoguer avec son époque.

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Le deuxième saut de Siba a été de quitter Mestre Ambrósio pour s'installer à Nazaré da Mata, une petite ville de province, mais capitale culturelle du maracatu. Ce qui devait être une parenthèse de six mois dura plus de dix ans, le temps de fonder avec des musiciens "amateurs" locaux, coupeurs de cannes à sucre, le Fuloresta do Samba. Un groupe avec lequel Siba démontra en deux albums la puissance poétique et la modernité du maracatu de baque solto, qui n'est ni un genre folklorique figé, ni une musique simpliste qui n'aurait droit de cité qu'à l'époque du carnaval. C'est à cette époque et avec la même ambition artistique que Siba produit les albums de maîtres de samba de côco, ciranda et maracatu restés à l'écart de l'industrie phonographique, réunis au sein de la collection Poetas Da Mata Norte (João Limoeiro, Ze de Teté, João Paulo e Barachinha...).En 2009, Siba lance un album en duo avec Roberto Corrêa où, sans abandonner la rabeca, il revisite les violas caipira et dinamica, ces sortes de guitares très typiques du Nordeste.

C'est vers cette époque que Siba connait une profonde crise existentielle qui aboutit à une reconstruction personnelle - et donc artistique - dont Avante est à la fois le sujet et le fruit. Si son installation à Nazaré da Mata avait accompagné son désir de se vouer au maracatu, son retour en 2011 à São Paulo où il avait déjà vécu 6 ans, prolonge sa recherche d'un nouveau son, d'une nouvelle identité: "Pour faire le saut d'Avante, j'ai dû réunir un peu de toutes ces choses que j'ai été. Des moments distincts de ma vie. Me raconter à nouveau ma propre histoire personnelle, celle que nous construisons jour après jour, que nous collectons, rejetons, oublions, recréons et même inventons. Sans plan, ou n'importe lequel, mais lequel ? Musical, poétique, géographique, littéraire, mystique, rationnel ? (...) là pour la première fois j'ai pensé que je devais réapprendre à écrire et à chanter pour rendre compte de la complexité de ma vie personnelle, avant que je ne perde la voix".

Siba se met "la tête sous la guillotine". Il se met à "rejouer de la guitare, faire un projet électrique dont certains diront qu'il s'agit d'une reniement du passé. Il y a une partie de mon public qui me voit comme un défenseur des racines de la culture populaire et de l'identité du Pernambuco et du Brésil. Mais qu'est ce que je peux faire ? Le risque n'est pas forcément de se nier, mais je crois que l'artiste doit savoir où est l'endroit où il prend des risques, et d'y aller, où que ce soit.

Siba, désormais père et jeune quadragénaire réempoigne la guitare électrique dont il jouait déjà occasionnelement avec Mestre Ambrósio. Il renoue avec sa passion adolescente pour Jimi Hendrix, Jimmy Page et Lemmy. Il approfondit son goût pour la musique africaine moderne, celle des grands orchestres des années 60-70 où la guitare électrique était reine, celle du Bembeya Jazz, du Star Number One de Dakar, du Super Rail Band. Et surtout celle de l'OK Jazz, le plus grand groupe africain moderne mené par le guitariste de génie Franco dont le travail de transformation de la musique cubaine par la guitare électrique sert d'inspiration à Siba, tout comme celle des Congolais contemporains de Konono n°1 et du Kasai Allstars. Une référence africaine de plus en plus prégnante ces dernières années, et qui le rapproche de Kiko Dinucci ou Rodrigo Caçapa, qui signe certains arrangements de l'album.

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Siba puise dans ces diverses sources musicales pour se créer son propre son qui est comme chez tout véritable artiste, différent de la somme de ses inspirations. Un nouveau son, et donc un nouveau groupe, composé outre de sa guitare électrique, de batterie, clavier et vibraphone et d'un tuba en guise de basse, comme dans le maracatu. Un genre que Siba ne renie d'ailleurs jamais, tout comme la poésie des cantorias da viola qui restent très présents dans la versification, la construction harmonique des mélodies, les rythmes et les arrangements tout en contrepoints plus qu'en accords plaqués. Le son doit aussi à l'influence du producteur de l'album Fernando Catatau du Cidadão instigado, musicien clé de la scène indé brésilienne. On note aussi la présence sur un titre de Lirinha, autre grand poète-musicien du Pernambuco dont le premier album solo, Lira sorti en 2011, a une démarche assez similaire à celle de Siba.

Il ne faut pas comprendre le son d'Avante comme la modernisation de rythmes traditionnels du Pernambuco par un instrument ou un style, le rock qui serait lui moderne. Siba s'intèresse aux racines mais jamais de manière traditionnaliste. "J'ai toujours essayé d'expliquer la tradition comme le lignage de quelquechose qui s'est construit avec le temps. Pas comme une chose à défendre ou qui représente un drapeau de je ne sais quoi, qu'il soit politique, nationaliste ou régional. La tradition est une chose qu'un groupe de personnes a cultivé pendant un moment, et de là est apparu une diversité. Dans ce sens, le rock'n' roll est autant une tradition que le maracatu."

L'album est comme à l'habitude de Siba, porté par ses superbes paroles qui évoquent toutes la perte de sens, l'errance, la reconstruction portées par des métaphores puissantes, sons sens de la rime et chantées avec sa voix fébrile et intense de chanteur de maracatu. Quand on demande à Siba s'il a "effectué le saut" évoqué dans Preparando o Salto, répond: "Le saut n'a pas besoin d'être fait. Et toi seulement peut le faire, je crois. Ce n'est pas justement sauter, mais avoir le courage de préparer le saut. Ça a plus à voir avec le bord du précipice qu'avoir le saut lui même. A chaque minute tu sautes. Le saut est dans la tête".

Mais Um Discos qui fait les choses bien devrait fournir en ligne une traduction, en anglais des paroles.

Avante sort le 30 septembre 2013. Siba sera en concert le 22 octobre 2013 à la Bellevilloise (Paris).

 *Citations et informations tirées des interviews de Siba données à Ultrapop,  Bol Carnaval et Cenario novo.


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