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Couacs

Publié le 12 septembre 2013 par Rolandlabregere

Quoi qu’on dise, le mot sonne bien, cadenassé aux extrémités par deux consonnes occlusives. Rien ne prédestinait cette onomatopée à s’imposer par la grâce des médias en hommage aux loupés de la communication du gouvernement. Elle s’est mise à plaire au fur et à mesure que s’amoncelaient les petits écarts entre ce que j’ai voulu dire, ce que j’ai dit, ce que vous avez compris et finalement ce que je suis obligé de répéter.

 Les couacs publics ont une chronologie. Jean-Marc Ayrault en a lui-même relancé l’usage qui avait démarré dans le tintamarre contradictoire des annonces du changement dès les premières semaines de la présidence Hollande.  Le 30 octobre 2012, encore baigné de l’innocence fragile des débutants, le premier ministre se laisse aller jusqu’à dire dans un entretien avec les lecteurs du Parisien que les 35 heures ne constituaient pas un « un sujet tabou ». La droite se sent transportée sur l’île de la tentation. Eric Ciotti en profite pour entrer en guéguerre alors que Jean–François Coppé fait une sortie remarquée et s’offre benoîtement aux micros et caméras qui piétinent salle des Quatre-Colonnes. Christian Jacob, président du groupe UMP, affectionne les formules qui accumulent les heures de vol et estime alors qu’il «  n'y a plus de pilote dans l'avion ! ».

La faculté majeure d’un couac est d’être soluble dans l’oubli. La mémoire à immédiate ne retient que le dernier. Ce serait une question rouge foncé que de mettre un ami au défi de citer dans l’ordre d’apparition médiatique les couacs des membres du gouvernement. Facile à prononcer, apte à porter la risée là où ça gratte, ce mot mis en vogue s’impose comme synonyme universel des soubresauts de l’action publique. Il remplace à la fois les désaccords parfaits, les faux-pas trébuchants, les fausses notes pointées, les différends mordants, les évictions surprises, les contradictions définitives, les agacements tranquilles, les bévues mal-vues appelant recadrages, mises au point, mises au pas, rappels à la règle, démentis, précisions, désaveux.

Comme l’enfer, le couac, c’est les autres. En s’imposant comme le couteau suisse du hargneux, la dénonciation du couac est devenue en quelques semaines l’outil principal de la critique, de l’ironie, du dénigrement, de l’anathème et du sarcasme. Si au moins, les thuriféraires et théoriciens du message couaqué prenaient acte avec raison des risques de toute prise de parole, ils seraient amenés à se taire ou à dire le moins. Mais, tout à leur impatience de traquer le couac dans le discours adverse, ils en oublient leur propre médiocrité langagière. Le couac, cela est bien justement les autres. Le couac permet de rire des autres à bon compte. Les autres qui se donnent en spectacle et que, par « leurs bêtises jalouses », Arthur Rimbaud voyait comme « Des rentiers à lorgnons [qui] soulignent tous les couacs ». (A la musique, 1870).


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