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“No pain No gain” de Michael Bay

Publié le 19 septembre 2013 par Boustoune

On lui faisait confiance pour trousser des films d’action spectaculaires dopés à la testostérone (Rock, Bad Boys I et II), des grand shows patriotiques (Pearl Harbor, Armageddon) ou des blockbusters boursoufflés (les Transformers), mais on n’aurait jamais pensé que Michael Bay pourrait signer un brûlot politique.
Pourtant, c’est bien ce qu’est son nouveau long-métrage, No pain No gain : Une satire au vitriol de la société américaine, un jeu de massacre jubilatoire qui met à mal le fameux “Rêve Américain” et critique les dérives du système capitaliste outre-Atlantique. Hé oui, tout cela dans le même film, derrière l’apparence inoffensive d’une comédie noire mâtinée de thriller.

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Le scénario s’inspire d’un fait divers réel  – les actes crapuleux de ce qu’on a appelé le  “gang du Sun Gym”. Heureusement que cela nous est précisé dès le départ, parce que sans cela, on n’aurait jamais cru à cette improbable histoire, dont les protagonistes sont tous confits dans leur crétinerie et leur naïveté.
Sans doute les auteurs ont-ils un peu exagéré quelques traits de caractère, ou arrangé quelques situations pour les besoins du film, mais la trame reste malgré tout assez proche des faits réels, édifiants.
On suit le parcours criminel de trois losers, Daniel Lugo (Mark Wahllberg), Adrian Doorbal (Anthony Mackie) et Paul Doyle (Dwayne Johnson)(1). Un beau jour, ces trois employés du Sun Gym, une salle de fitness branchée de Miami, décident de prendre leur vie en main et de tout faire pour s’élever socialement.
Ils en ont plus que marre de s’occuper des fesses flasques et des abdominaux abominables de tous ces clients friqués qui les regardent avec mépris. Ras-le-bol de se sculpter quotidiennement des corps de rêve dans l’effort et la souffrance (et une bonne dose d’anabolisants) pour être finalement snobés par les femmes, plus promptes à accepter les avances de tocards pleins aux as. Eux aussi veulent leur part du gâteau. Eux aussi veulent accéder à cet univers de luxe et de volupté…
Pour ce faire, Lugo échafaude un plan génial – de son point de vue… Pour devenir riche, le trio n’a qu’à kidnapper un de ses richissimes clients, Victor Kershaw (Tony Shalhoub)(2), lui extorquer par la force le cession de tous ses biens immobiliers et bancaires et le relâcher dans la nature. Hop! Ni vu ni connu…

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Mais pour réussir un coup aussi audacieux, il faut beaucoup de sang-froid, de maîtrise, d’intelligence… Des qualités qui ne sont pas le point fort de ces apprentis gangsters. Entre Lugo, le mégalomane, dont le volume du cerveau est inversement proportionnel à celui de ses pectoraux, Doorball, qui se débat avec des problèmes d’érection dûs aux anabolisants, Doyle, la montagne de muscles qui a trouvé l’illumination divine et Sorina (Bar Paly), une stripteaseuse engagée pour l’occasion, le Q.I. moyen de cette fine équipe ne dépasse guère celui d’une huître. Et niveau courage et maîtrise de soi, ce n’est pas ça non plus…  Evidemment, les choses ne vont pas tout à fait se passer comme prévu… Sans trop dévoiler les péripéties qui émaillent le film, on peut même dire qu’elles vont finir par déraper sérieusement.

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Ce qui n’est pas le cas du film, fort heureusement.
A travers cette affaire farfelue, les auteurs dressent le portrait d’une Amérique en pleine déliquescence, obsédée par la réussite individuelle, privilégiant le paraître plutôt que l’être et la magouille plutôt que l’honnêteté.
Tous les personnages du film sont motivés par le même but : devenir semblables à ces gravures de mode qui représentent l’idéal américain, qui incarnent ce fameux “Rêve Américain”. Kershaw et les autres millionnaires qui fréquentent la salle de fitness sont riches à millions, mais sont complexés par leur physique. Lugo et sa bande de culturistes ont le physique, mais il leur manque la fortune –et aussi l’intelligence… Doorbal rêve de mariage et de pavillon de banlieue pour devenir “comme tout le monde”.

C’est pour obtenir ce qui manque à leurs existences que le trio de bodybuilders se décide à passer à l’action. Puisqu’on est aux Etats-Unis, le pays de la Liberté, tout est possible. Il leur suffit d’aller chercher la fortune là où elle est. Si on pouvait oublier le côté profondément crapuleux de leur démarche, on pourrait être admiratifs devant l’opiniâtreté de Lugo, sa foi en sa réussite, son volontarisme. Il monte son affaire comme une véritable petite entreprise, recrutant du personnel en fonction de qualités précises, de tâches précises à accomplir, investissant dans du matériel – des tenues de ninja – et un local – un entrepôt de sex toys – et échafaudant des plans assez risibles. Et le plus beau de l’histoire, c’est que la combine finit par fonctionner! Ah! Que le système américain est bien fait!

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Seulement voilà, en devenant égaux, en pouvoir et en richesses, aux golden boys de Wall Street, nos truands vont être frappés par le même mal que ces derniers. Ils vont devenir trop gourmands et chercher à grappiller encore plus de richesses, au risque de se faire pincer et de tout perdre. Finalement, leur attitude illustre assez bien les dérives du système capitaliste ultralibéral. Les plus riches cherchent à devenir encore plus riches et plus puissants et leur argent, dissimulé dans des paradis fiscaux, n’est pas réinjecté dans l’économie de leur pays d’origine… Et tous les moyens sont bons pour faire fortune, même si cela implique d’écraser les autres au passage…

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Au passage, le cinéaste et ses scénaristes, Christopher Markus et Stephen McFeely, donnent un coup de griffe à la religion, qui sert de caution morale à des individus siphonnés – pervers sexuels ou brutes toxicomanes – mais aussi aux nouveaux prophètes qui s’enrichissent sur le dos des petites gens avec leurs méthodes de développement personnel. Ils s’amusent à caricaturer la société de consommation, entre les rêves de tondeuse à gazon de Lugo et les déboires du trio avec un outillage “Made in China”…
Le jeu de massacre n’épargne pas grand monde. Tous les protagonistes sont d’insupportables crétins. Victimes et bourreaux, tous dans le même sac. Lugo est un pauvre type qui se croit tellement plus malin que les autres, qui a tellement confiance en lui qu’il en devient vulnérable. Doorball le suit comme un toutou, incapable de penser à autre chose qu’à sa virilité défaillante et à ses fantasmes sexuels. Doyle est un illuminé partagé entre son passé violent et sa foi chrétienne nouvelle, ce qui le rend instable et imprévisible. Le patron de la salle de fitness est un homme d’affaires sans scrupules, facilement corruptible. Et Kershaw est un type odieux, qui martyrise son personnel et planque son argent aux Bahamas. Quant aux personnages féminins, ce sont de vraies cruches…

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Le seul personnage positif et à peu près sain d’esprit, c’est le détective privé Ed Du Bois. Un type qui a les pieds sur terre, qui sait faire la distinction entre le Bien et le Mal. Michael Bay a eu la bonne idée de confier le rôle à Ed Harris. Comme d’habitude, le comédien est impeccable. Le stoïcisme et la sérénité incarnés, il pose son regard bleu-acier sur toute cette galerie de cinglés qui jouent aux apprentis gangsters en semblant constamment se demander comment le monde a pu tomber aussi bas. Il y a quelque chose, dans sa prestance, dans son attitude, qui évoque les figures mythiques du western hollywoodien, entre Gary Cooper et Kirk Douglas. Un cowboy fatigué, qui porte tout seul les dernières valeurs de l’Amérique des pionniers. Une espèce en voie de disparition…

Ses camarades de jeu ne sont pas mauvais non plus, loin de là, même s’ils semblent parfois forcer un peu le côté comique de leurs personnages.
Ce qui est assez cocasse, c’est que les deux personnages principaux, qui veulent changer le cours de leur vie et passer dans la classe sociale supérieure sont incarnés par des acteurs qui ont eux aussi eu une autre vie avant de faire carrière dans le cinéma, et ont eu du mal à se débarrasser de leurs images respectives : Mark Wahlberg a été chanteur dans un boys band, Dwayne Johnson a été catcheur, connu sous le pseudonyme de “The Rock”. Le besoin d’être appréciés à leur juste valeur, ils connaissent! Aussi, ils prennent beaucoup de plaisir à jouer ces losers magnifiques – ou pathétiques, selon les points de vue.

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Michael Bay  lui-même a longtemps essayé de se frayer un chemin parmi l’élite des cinéastes hollywoodiens. Il y a un peu de Daniel Lugo en lui. Il a mis la même énergie, la même volonté, le même enthousiasme bourrin, avec des films truffés de scènes plus spectaculaires les unes que les autres (Bad Boy II  ou Transformers, pour ne citer qu’eux…) et si cette débauche d’efforts a séduit le grand public, les critiques n’ont pas forcément suivi.
Là, même si son style est encore encombré d’effets superflus – quelques mouvements de caméra aussi fous et ostentatoires que ses protagonistes – il n’est pas loin de toucher au but. No pain No gain est assurément son meilleur film. On l’encourage vivement à persévérer dans cette voie plutôt que dans les blockbusters lourdingues et sans âme (3).

(1) : Le personnages est fictif. Il est en fait la combinaison de trois membres du gang du Sun Gym : Carl Weekes, Jorge Delgado and Mario Sanchez. Il fautr préciser que le film prend quelques libertés avec l’affaire dont il s’inspire, même si quelques-uns des détails les plus croustillants sont très proches de la réalité…
(2) :  Le nom de la victime a été changé. La cible des ravisseurs s’appelait Marc Schiller. C’était un homme d’affaires d’origine argentine et non colombienne, comme dans le film.
(3) : Raté… Il prépare Transformers 4

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No Pain No Gain
No pain No gain
Pain & gain

Réalisateur : Michael Bay
Avec : Mark Wahlberg, Dwayne Johnson, Anthony Mackie, Ed Harris, Tony Shalhoum, Rebel Wilson
Origine : Etats-Unis
Genre : Association de malfaiteurs
Durée : 2h09
Date de sortie France : 11/09/2013
Note pour ce film :●●●●●
Contrepoint critique : Les Inrockuptibles

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