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vague d'or

Par Richard Gonzalez

Swakopmund

Swakopmund, août 2003


La barque jaune dansait sur les flots, arrimée à quelques brassées de la crique. Nous avions pris l’habitude de nager jusqu’à elle et de nous installer en son fond, les bras ouverts pour embrasser le soleil qui cuisait nos peaux.

Vous aviez une vingtaine d’années. Nos serviettes sur la plage se touchaient parfois. Un jour de canicule nous avait poussés en même temps jusqu’à cette barque. Nous échangions très peu de mots, moi empêtré dans un anglais scolaire, vous avec cet accent hollandais forcément vélaire. Mais les sourires savaient s’appeler, le vôtre d’un bleu de ciel qui mordait la noirceur à peine masculine de mes quinze ans. Au gré des courants indicibles, nos retrouvailles si loin, si près du monde étaient devenues rituelles. Je guettais votre arrivée sur la plage et aussitôt j’allais m’embarquer. Vous me rejoigniez, parfois très tard et après de longs détours, parce qu’il ne fallait rien laisser deviner de notre secret. Cette connivence quasi muette me fascinait. Le silence clapoté et le confinement du petit bateau attisaient chaque jour un peu plus le trouble de votre présence. Aujourd’hui encore, je pourrais compter les gouttes d’eau qui perlaient sur vos bras veinés de sel. Vos yeux saphir, vos dents régulières et éclatantes entre vos lèvres offertes font toujours tinter mes sirènes. Et c’est la même brûlure encore que celle qui troua ma chair immobile lorsque vous vous laissiez glisser le long de mon ventre. Je ne comprenais pas votre dévotion mutine et appliquée sur ce corps que vous m’aidiez à découvrir, moins encore ces dilacérations soudaines au bout de moi. Mais que faut-il comprendre de ce que l’on aime ? Je ne vous touchais pas, ce plaisir m’effrayait trop. A chaque fois, ma pauvre raison m’ordonnait de vous rayer de mon été au plus vite. Et chaque soir au fond du lit me revenait déjà l’envie de vous retrouver le lendemain. A la même place, sous le même soleil. Je n’espérais rien d’autre que ce soleil à partager, remettant jour après jour ce privilège instable sur le tapis de la complicité passive.

Un jour où la tramontane de l'après quinze août s’était levée, la barque tangua vide dans les vagues. Vous m’aviez peut-être dit au revoir, je n’ai jamais compris les mots qui avaient escorté vos gestes de la veille. Ils sèchent encore sous le vent, comme ces étoiles de mer ornées d’épines que les vagues abandonnent à la fin de l’été.

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(L’air saturé d’humidité des rivages coquets et des forêts de pluie crée des effets d’estompage que renforce la lumière rasante des couchants et des matins. Et je me rêve déjà à Fort Cochin entre deux averses de mousson. Entre deux souvenirs…)


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