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Pourquoi la pénalisation du client de prostituées est une mauvaise idée

Publié le 27 septembre 2013 par Juval @valerieCG

La députée Maud Olivier vient de présenter un rapport où elle préconise la pénalisation du client de prostituées. Je n'entends pas ici qu'on débatte pour la 1250eme fois de l'abolitionnisme ou du non abolitionnisme mais juste de cette proposition de loi. Je vais néanmoins essayer pour celles et ceux qui ne connaissent pas le débat féministe d'expliquer ce que sont les deux positions majoritairement entendues chez les féministe françaises. La position abolitionniste considère que la prostitution est forcément liée au sexisme, au racisme, à la lutte des classes de manière générale ; elle pose donc un problème en tant que telle et n'est pas qu'une conséquence ou un symptôme. Elle doit donc être abolie. La position voulant aligner la travail du sexe sur le régime général du travail considère que la prostitution n'est pas forcément liée au patriarcat (pour faire simple), qu'elle est à la limite un symptôme et qu'elle pourrait exister hors du contexte patriarcal, raciste. A ce titre, elle n'a pas à être abolie.

Avant toute chose ayant lu beaucoup d'âneries autour de la prostitution, je crois qu'il est encore une fois nécessaire de préciser une chose. L'idée courante est de dire que "sans prostituées, les clients violeraient ; la prostitution sert de soupape de sécurité" : très sympa pour eux, ils vont adorer être comparés à des violeurs. La plupart des violeurs sont des hommes parfaitement insérés qui ont une vie familiale et sexuelle normale ; ils ne sont donc pas frustrés sexuellement. J'ai déjà expliqué cela sur 50 article donc vous faites vos recherches tout seuls avant de me demander d'où je sors cela. Mais imaginons un peu la scène ; Machin a soudain une soudaine pulsion sexuelle. Il se dit "oh non alors je ne vais pas violer, je vais prendre ma voiture, faire 15 km et aller voir une prostituée". Il les gère bien dites donc ces pulsions !
On le sait le viol répond avant tout à un besoin de domination et très peu à une envie de sexe (non le sexe n'est pas l'idée de voir quelqu'un qu'on force et qui pleure). A ce compte-là, si vous pensez vraiment qu'il y a un contingent de personnes à sacrifier pour les besoins des violeurs, je propose qu'on mette aussi des enfants (sacro sainte pulsion du  pédocriminel), vos comptes-chèques en livre service (sacro sainte pulsion du vol) et vos organes sexuel à disposition des violeurs. Merci de votre solidarité.
Je rappelle au passage que les prostituées sont elles aussi victimes de viols.
- "rétablissons les maisons closes" : la plupart des syndicats de travailleurs du sexe français ont amplement expliqué pourquoi cette solution ne leur convient pas et s'oriente plus vers une autogestion. Je rappelle que les maisons closes du XIX et début XXeme ont été une horreur absolue.

Donc pour quoi cette idée de la pénalisation du client est mauvaise.

- le manque de moyens policiers :
Imaginons donc que cette loi ait été votée. Il était assez facile pour la police, lorsque le délit du racolage passif existait, de se faire une descente rapide dans le lieu où il y avait beaucoup de prostituées, de coller 50 pv et de repartir. Les prostituées de rue restent dans des endroits précis ; il était donc malheureusement facile de les arrêter. Un client vient uniquement pour pour l'acte prostitutionnel ; il faut donc l'attendre (et donc planquer sans trop de faire repérer). Il faut le prendre sur le fait. Lui coller son pv. La police a clairement autre chose à foutre. On peut en revanche supposer que faire d'une pierre deux coups sera utile ; on colle des pv ET on en profite pour contrôler les papiers des prostituées. Des fois que.
Qu'est ce que cela va faire à terme ? Pardonnez moi la comparaison mais exactement comme les places de parking à Paris. Tu calcules que l'amende que tu te prends tous les 15 jours est un moindre mal. Ca sera ici la même chose ; l'amende sera rentrée dans le prix de la passe (pour les rares qui en recevront une).
Enfin ca c'est dans le cas où la loi serait appliquée.
- Internet. Non on ne va pas créer des écoutes, des planques pour arrêter les mecs qui passent par internet. Au pire si on s'avisait de faire cela la police planquerait devant les domiciles des prostituées ce qui ne ferait que les emmerder elles.

Il faut comprendre une chose : le client peut parfaitement se passer de ce qu'il vient chercher chez une prostituée. La prostituée a besoin d'argent (comme tout le monde). Qui va donc accélérer la transaction pour que le client ne soit pas arrêté ? Qui va donc plus volontiers aller chez lui ou dans un lieu qui n'est pas connu comme lieu de prostitution afin qu'il ne soit pas arrêté ? Qui va donc baisser sa garde et courir plus de risque ? la prostituée. C'est tout le problème. Personnellement je n'en ai rien à taper des clients. Vraiment rien. sauf que dans les faits cette loi va davantage précariser les prostituées.

Evoquons maintenant ce problème de "réseaux", de "traite" et de "contrainte".
Je mets ces termes entre guillemets car je pense qu'il convient de bien définir de quoi on parle. Je vais être très claire, je pense qu'aucun des deux systèmes ne peut régler le problème de la traite. Vous constaterez que je ne fais que poser les problèmes car je n'ai pas de solution (du moins il y en a mais aucun gouvernement ne les appliquera).
Je ne pense pas qu'il soit opportun de séparer les réseaux prostitutionnels des réseaux de manière générale qui font venir des migrants en France.
Il y a 880 000 de personnes en Europe victimes du travail forcé (on y inclut les prostituées : 30%). La France est très mal préparée pour punir ceux qui exploitent des gens ; pire on n'a pas très envie de régler le problème. On les trouve dans la restauration, le textile, la construction par exemple. Je parle bien de travail forcé et pas de travail au noir.
Je cite le rapport de Olivier en ce qui concerne la traite sexuelle : "Si les poursuites sur la base d’une incrimination de proxénétisme sont fréquentes et efficaces, celles sur la base de la traite sont moins mises en œuvre ; les condamnations pour traite sont très peu nombreuses, inférieures à une dizaine chaque année. Les magistrats font état de difficultés à caractériser la traite : difficulté de prouver les faits de recrutement, de transport ou d’hébergement, difficulté de mettre en avant la preuve de la rémunération. Réunir ces éléments de preuve exige une très bonne coopération internationale. Celle-ci est facilitée par le recours à l’incrimination de la traite, qui existe dans la plupart des États, au contraire de celle du proxénétisme, mais elle exige des moyens d’enquête importants de part et d’autre."
moyens importants d'enquête. tout est dit. Pensez-vous vraiment qu'on va mettre en oeuvre des moyens importants pour 880 00 personnes sans papier ? Pour des putes sans papier ? Ne rêvons pas.
Premier problème donc ; cessez de considérer que les migrants sont "des problèmes". Je crois que cela soit mal barré pour l'instant. Se dire que si des gens viennent en Europe ca n'est pas pour le plaisir de vivre dans des bidonvilles et à ne rien faire.

La misère, plus surement que tout proxénète, pousse les gens dans ce qu'on appelle les réseaux. Quand on sait que des gens traversent une partie de l'Afrique (rappelez vous quand Frontex filait du blé et des armes à Kadhafi pour faire notre police notre assassin) gagnent des rafiots de fortunes, se noient pour venir en Europe, on visualise un peu la nécessité vitale qui les y pousse. Les proxénètes n'ont donc que peu à enlever, violer, battre des gens, la misère fait que des gens se jettent dans leurs bras, estimant que cette option leur convient davantage que de rester chez eux. On appelle cela l'agentivité (pour ne pas employer le terme choix). L'agentivité c'est le fait d'exercer sa capacité à agir même si cette capacité n'empêche pas que vous soyez victime par la suite. Ainsi une femme chinoise décide de venir en France se prostituer parce qu'il n'y a pas de  travail chez elle ou que la vie en usine est beaucoup trop insupportable. Cela ne veut pas dire qu'elle ignore forcément ce qui l'attend. Cela ne veut pas dire qu'elle arrive la fleur au fusil. Juste quelle a deux solutions et quelle exerce son agentivité. Nier cela (dire "ok t'as vu les choix, elle n'en avait pas") est dangereux dans la mesure où cela dit que les gens victimes (de pauvreté, de discrimination etc) sont toujours agis et n'agissent jamais. Que pouvons nous à l'heure actuelle proposer à ces gens ? Pouvons nous consciemment leur dire qu'il est mieux de travailler dans une usine en Chine que de se prostituer ici ? Je me souviens d'un témoignage très fort d'une indienne qui avait été mariée de force à 3 frères (pénurie de femmes en Inde, donc on en épouse une à plusieurs) ; elle était fuie et se prostituait avec un proxénète. Personne et surtout pas elle, n'estimait sa situation géniale. Elle disait juste que là elle avait un peu d'argent (zéro avec ses maris), et un peu de liberté. Voilà. ce sont des situations de ce genre qu'on ne peut balayer d'un "elle est esclave sortons là de là" ou "elle est contente laissons là". Nous n'avons pas le pouvoir d'améliorer les situations des salariés chinois (dis je en contemplant mon iphone), nous n'avons pas la possibilité de créer une sécurité sociale dans des pays pauvres. Il me parait donc compliqué de venir leur expliquer qu'ils seront mieux là bas qu'à vendre du cul ici.
Les seules solutions à envisager sont sur le très long terme et impliquent des termes comme "mettre fin à l'exploitation économique en Afrique", mettre fin à la françafrique", "boycotter les produits fabriqués dans des conditions indignes".
Punir les clients oui et ? On proposera quoi aux prostituées étrangères ?

- des papiers à tour de bras :
Vous le savez ou pas mais à l'heure actuelle on donne vaguement des titres de séjour aux prostituées qui balancent leur proxénète. Papiers pour lesquels il y a curieusement toujours des problèmes. On ne peut pas travailler avec. le proxénète n'a pas été condamné donc on ne va finalement pas les donner; la femme est retournée se prostituer, la vilaine. c'est dit ici : "Les associations d’aide aux personnes prostituées, qui présentent fréquemment les dossiers à la préfecture, dénoncent des différences de traitement importantes en matière de délivrance de titres selon les départements. Le préfet dispose en la matière d’un pouvoir discrétionnaire, et ses services apprécient la situation de la personne en fonction d’un faisceau d’indices. L’application de cette disposition législative est complexe pour les services administratifs, à plusieurs égards. Le lien entre déroulement de l’enquête judiciaire et délivrance ou renouvellement du titre oblige les services préfectoraux à interroger le procureur pour savoir si l’enquête progresse et si les responsables du réseau ont été mis en accusation. Il impose aussi d’interroger les services enquêteurs, qui apportent des éléments au dossier et doivent empêcher les détournements de procédure. Des difficultés peuvent intervenir quand les victimes se présentent sans passeport et sans demande de passeport consulaire, ou avec de faux papiers. Enfin, il arrive que le proxénète ne puisse être condamné, ce qui empêche la victime qui a témoigné d’obtenir une carte de résident, puisque cette obtention est liée au prononcé d’une condamnation définitive."
Ollivier propose donc des recommandations un peu étranges de type "prévoir une délivrance de plein droit d’une carte de résident en cas de condamnation de l’auteur de traite ou d’exploitation sexuelle, sans lier cette délivrance à la condamnation définitive." donc on file des papiers en cas de condamnation mais sans lier à la condamnation ? C'est censé dire quoi ? Pense-t-elle vraiment que le gouvernement socialiste va régulariser à tour de bras ? A 6 mois des municipales ?
Je rappelle au passage qu'elle a dit dans son rapport que la traite est difficile à prouver.
Qui plus est comme je l'expliquais, il n'y a pas toujours traite ; par exemple les prostituées chinoises sont peu victimes de traite ; elles ont surtout à rembourser le prix du passage, le logement prêté. Elles sont peu sous la coupe d'un proxénète.  (ici en revanche l'arbitraire policier en action face à elles).

Pour régler le problème du travail forcé (au sens le plus large du terme) les solutions ne seront que sur du très long terme et avec des coopérations entre états, ce qui s'avère difficile pour certains états comme la Chine ou le Nigeria par exemple. On constate que les activités légales (la restauration par exemple) n'échappent pas au travail forcé ; l'alignement sur le régime général ne règlera pas les choses. Mais la pénalisation du client dans le cas de la prostitution ne règlera pas le problème dans la mesure où ce n'est pas le proxénète le problème principal (note ; avant de vous emballer et de me sauter dessus, je ne dis pas qu'il n'en est pas un) mais la pauvreté. Pénaliser le client, en admettant que ca soit le cas, que ca fonctionne, produira une chose ; les prostituées étrangères n'auront pas de revenu. On leur proposera un vague titre de séjour qui expirera au bout de 3 mois puis elles seront expulsées. Personne, jamais, en Europe ne va massivement régulariser des putes. Je le souhaiterai, vous le souhaiteriez mais cela n'arrivera pas. Que faire face à la traite ? Je n'ai pas de solution et je ne suis pas sûre que qui que ce soit en détienne (et surtout soit prêt à les appliquer).


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