Magazine Culture

Impressions d'Ambronay (IV) : Madrigaux de la Renaissance par l'Ensemble Epsilon

Publié le 29 septembre 2013 par Jeanchristophepucek

 

Ensemble Epsilon Ambronay 2013

L'ultime chronique des concerts entendus durant l'édition 2013 du Festival d'Ambronay va nous reconduire vers ce qui constitue une des missions importantes de cette manifestation depuis déjà quelques d'années, la découverte et la promotion de jeunes talents prometteurs.

 

Les réseaux sociaux n'étant heureusement pas que, même s'ils le sont hélas majoritairement, des cloaques moulinant la vacuité égocentrique de notre époque détraquée, c'est grâce à l'un deux que j'ai découvert l'existence de l'Ensemble Epsilon, formé à Lyon en 2009 pour défendre principalement la musique vocale de la Renaissance. Une vidéo de présentation accrocheuse et des échos favorables de concerts m'ont rapidement donné l'envie d'entendre à mon tour en direct des musiciens dont les capacités me semblaient en adéquation avec l'exigence artistique qu'ils affichent, tant il est vrai que le programme qu'ils proposaient dans le cadre de leur résidence à Ambronay était tout bonnement, en termes de répertoire, un des plus ambitieux du festival, avec la recréation d'extraits du Ballet royal de la nuit (1653) orchestrée par Correspondances.

Malgré l'acoustique définitivement trop sèche de la salle Monteverdi, le voyage que nous ont proposé les chanteurs réunis autour de Maud Hamon-Loisance, dont la douceur presque raphaélesque est l'écrin d'une autorité et d'une précision dans la direction frappantes, a été une vraie réussite. Le choix d’œuvres proposé, intelligemment illustré par de courts monologues ou scénettes visant à en donner l'essentiel de la teneur, mettait principalement en valeur deux compositeurs aujourd'hui assez largement méconnus, les florentins Francesco Corteccia, compositeur attaché à la cour du duc Cosme de Médicis dont il s'intitule maestro di cappella, et Francesco de Layolle qui s'installa à Lyon en 1521 et y fit paraître, en et autour de 1540, deux livres de Canzoni qui sont, en fait, des recueils de madrigaux. Comme souvent, il est beaucoup question, dans ces pièces, des différents états amoureux où l'on frémit (Aprimi, amor, le labbia, Layolle), se réjouit (Viva fiamma felice, Corteccia), se souvient (Quand'io ero giovinetto, Gabrieli) et surtout se lamente, le propre des amants madrigalesques étant d'être toujours extrêmement malheureux (Lasso la dolce vista, Layolle, Cosi estrema la doglia, Festa). Mais ces musiques savent aussi se tourner vers le ciel, qu'il s'agisse de louer l'astrologie (Stolt' è colui, Corteccia) ou, bien sûr, Dieu, comme dans le magnifique Pianget'egri mortali d'Adrian Willaert, méditation sur les blessures du Christ en croix au dolorisme tout empreint des effusions de la devotio moderna.

Composé de très belles individualités soudées par un véritable travail d'ensemble, Epsilon, outre une grande fluidité et une parfaite justesse vocales, a séduit par sa prestation très maîtrisée et équilibrée, aussi soucieuse de produire une sonorité séduisante que d'apporter aux madrigaux leur juste poids expressif. Les chanteurs savent faire passer avec beaucoup de finesse, ici un brin d'humour, là un sanglot retenu, sans jamais forcer le trait ou mettre en péril les architectures polyphoniques soigneusement pensées par les compositeurs. Les voix sont bien timbrées, avec des couleurs qui se fondent sans perdre pour autant en individualité, les différents pupitres s'écoutent et dialoguent avec naturel et complicité ; tous ont des choses à se dire et à nous conter et, pour peu que l'on accepte de consentir le petit effort de concentration nécessaire pour aborder ce répertoire, on se laisse entraîner et on les suit avec un infini plaisir dans les différentes étapes de cette Carte du Tendre du XVIe siècle. Notons, pour finir, la simplicité raffinée avec laquelle ces musiques pourtant savamment élaborées sont servies, cette absence d'afféterie et de tapage n'étant pas sans rappeler La Venexiana de la grande époque. On a hâte maintenant qu'Epsilon enregistre son premier disque afin qu'un nombre encore plus large d'auditeurs puisse goûter ses lectures déjà marquées du sceau d'un indéniable talent.

 

C'est donc sur une belle impression que s'est refermé mon passage au Festival d'Ambronay, deux jours riches en émotions et en promesses qui démontrent bien la vitalité qui anime la monde de la musique ancienne et baroque quand il oublie de céder aux sirènes de la rentabilité à tout prix. Au moment de boucler ces lignes, j'ai une pensée pour Alain Brunet qui peut être fier du travail accompli durant toutes ces années à la tête de cette manifestation et auquel nombre de mélomanes, mais aussi d'artistes, sont et seront durablement reconnaissants.

 

Festival d'Ambronay 2013 La machine à rêves
Festival d'Ambronay, 15 septembre 2013

 

Madrigaux de la Renaissance : Œuvres de Francesco de Layolle (1492-c.1540), Francesco Corteccia (1502-1571), Giovanni Gabrieli (c.1554/7-1612), Costanzo Festa (c.1485/90-1545), Matteo Rampollini (1497-c.1553), Adrian Willaert (c.1490-1562)

 

Ensemble Epsilon :
Magali Pérol-Dumora, soprano
Gabriel Jublin, contre-ténor
Julien Drevet-Santique, ténor
Romain Bockler, baryton
Anass Ismat, baryton-basse
Maud Hamon-Loisance, soprano & direction artistique

 

Accompagnement musical :

 

1. Francesco de Layolle, Lasso la dolce vista

 

2. Francesco Corteccia, Chi ne la tolt' oymè

 

Crédits photographiques :

Le cliché utilisé dans cette chronique est de Bertrand Pichène © CCR Ambronay

 

Remerciements :

 

À Véronique Furlan (Accent Tonique) pour la qualité de son accueil et de son écoute.

 

Au Festival d'Ambronay et, en particulier, à ses bénévoles, avec une pensée pour Luce, Bernard et les équipes de restauration.

 

À John Dauvin (La Boîte à Dif') et à l'Ensemble Epsilon pour l'autorisation d'utiliser les extraits musicaux figurant dans cette chronique.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Jeanchristophepucek 43597 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine