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James Turrell, quand la lumière devient matière

Par Jsbg @JSBGblog

James Turrell, quand la lumière devient matière

Il y a des œuvres aisément « bankable »  ou « marketable », Jeff Koons, Keith Haring ou Roy Liechtenstein, par exemple, et notamment parce que la référence à la culture populaire est accessible à tous, sans besoin de connaissances historiques ou techniques préalables. Et il y a des œuvres qui fascinent, malgré une peut-être profonde incompréhension de la démarche artistique qui la sous-tend, mais dont l’expérience vous laisse une trace indélébile dans la mémoire, dans la rétine, et l’œuvre de James Turrell est de celles-là.

D’abord, idéalement, il faut du temps pour observer ses œuvres, pour ne pas dire les vivre, les voir changer au gré des minutes, au gré de la lumière du jour – et dans notre société contemporaine, allez-y pour caser dix heures à regarder un plafond changer de couleur et luminosité au gré de la journée ! Mais vous savez ce qu’on dit, le temps c’est du luxe. D’autre part, il est encore mieux de les voir en solitaire…alors non seulement ce n’est pas très convivial, mais pour avoir la paix dans un musée tel que le Guggenheim ou le Los Angeles County Museum of Art, qui lui dédie une importante rétrospective jusqu’au 6 avril 2014, même vous lever aux aurores ne vous servira pas à grand chose !  Ceci étant dit, que la difficulté ne vous détourne pas de cette œuvre fascinante, méditative, de cette plongée dans le monde de la couleur devenue espace palpable et de cette incroyable découverte (ou re-découverte), que l’homme a le pouvoir de jouer et créer sa propre réalité, sa propre « vision des choses »… Yes, you can !

Dans les années 1960, la couleur s’est non seulement libérée de sa soumission à la forme (en particulier avec la révolution de l’expressionnisme abstrait dans les années 1940), mais encore de la palette du peintre; elle devient espace haptique – c’est-à-dire qui englobe le toucher et la perception du corps dans l’environnement. Avec James Turrell, elle ne se contente pas de sculpter ou d’habiter l’espace, comme chez Dan Flavin (dont les premières œuvres aux tubes fluorescents remontent au début des années 1960), elle devient le lieu lui-même.

En 1965, James Turrel (*1943) obtient ses premiers diplômes en psychologie et mathématiques, puis il complète cette formation par des diplômes en art. Il participe en 1968 au programme « Art and Technology », mis en place par le Los Angeles County Museum of Art et collabore à des recherches avec un scientifique de la NASA, Edward Wortz.

James Turrell, quand la lumière devient matière

Turrell revendique pour sa démarche la double appartenance à la culture scientifique et technique, et à la culture atlantique et pacifique.

De la tradition quaker dans laquelle il a été élevé, il conserve cette idées que l’expérience mystique – dans son œuvre, l’expérience de la lumière – est une réalité physique pour chacun d’entre nous.

L’aventure commence au feu Mendota Hotel, Ocean Park, Pasadena, où l’artiste installe son premier studio. Il couvre les fenêtres, plâtre les murs, il y crée en sorte sa cave de Platon. C’est ici qu’il expérimentera ses premières projections, dont l’iconique « Afrum » (1966), ou les « Shallow Spaces Constuctions » (espaces peu profonds), le premier étant « Ronin » (1969) et dont témoignent les photographies « Mendota Stoppages » (1969-74).

À cette époque, dans les années 1970, la Californie est encore une région isolée du reste de l’Amérique. James Turrell incarne un nouveau courant artistique, dit « Light and Space », qualifié de courant luministe ou de minimalisme californien, qui deviendra internationalement reconnu, grâce au soutien inconditionnel du comte Panza di Biumo (sa villa, Villa Menafoglio Litta Panza di Biumo à Varese aujourd’hui musée vaut la visite). L’appropriation et la transformation de la lumière naturelle, particulièrement intense, dans cette région des États-Unis, fonde la démarche de l’artiste.

 Un lieu privilégié pour découvrir l’œuvre de James Turrell est le musée James Turrell à Bodega de Colomé en Argentine, construit au cœur du vignoble de Donald Hess. Le musée a été construit par l’homme d’affaires sur les plans de James Turrell pour héberger sa collection de neuf installations permanentes ainsi que des dessins et estampes, représentant quelque cinq décennies de la carrière de Turrell, des années 1960 à aujourd’hui. Pour ce musée, Turrell a conçu deux installations particulières, dont l’impressionnant « Skyspace » intitulé « Unseen Blue » (2009).

Les « Skyspaces »,  sont une ouverture dans le toit d’un édifice, au travers de laquelle Turrell fait entrer la lumière. La couleur à l’intérieur change au fur et à mesure que change la lumière à l’extérieur, ce qui fait que l’heure de prédilection pour vivre un « Skyspace », est au lever ou à la tombée du jour. Si le ciel reste à cette immaîtrisable distance, Turrell nous donne cependant l’impression dans ses « Skyspaces », de pouvoir le toucher, l’habiter. Cette illusion qui n’en est pas tout à fait une, à la fois présente et dissoluble par le regard du spectateur est une caractéristique importante de l’œuvre de l’artiste dès ses premiers « Projection Pieces ».  Dans la récente installation conçue par l’artiste pour le Salomon R. Guggenheim Museum de New York,  «Aten Reign», lumière naturelle et lumière artificielle s’allient : à chaque niveau de la pyramide montant jusqu’au sommet du musée, une circonférence de LED, incluant diverses couleurs (variations des couleurs primaires) permet une régie très personnelle et à la fois technique de l’espace d’entrée du musée. On peut reprocher à l’installation d’être plus un exercice de style qu’une œuvre idéale et absolue, comme d’autres pièces de Turrell qui me paraissent plus abouties, mais elle offre une certaine vision technique de cet univers qui lui est propre :

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Son œuvre absolue, sur laquelle il travaille depuis plus de 40 ans, le « Roden Crater » –  site qu’il achète en 1979 – est en fait constituée de deux cratères, une éruption ayant eu lieu à l’intérieur d’un ancien cratère, dans le désert de l’Arizona. Il s’agit en somme d’une sorte de « camera obscura » architecturale, à travers laquelle le visiteur peut observer dans son propre espace plusieurs types de lumières, celle du soleil comme celle de la lune, voire la lumière d’une étoile lointaine hors du système solaire.

Et pour le dernier mot, laissons la parole à l’artiste : « I used to suspect my career was going nowhere. I now realize when you find yourself in the middle of nowhere you’re probably near my art. » (Je pensais que ma carrière n’allait nulle part. Je réalise maintenant que lorsque vous vous trouvez au milieu de nulle part, c’est probablement là que vous êtes le plus proche de mon art).

 - Carole Haensler Huguet

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Informations pratiques:

James Turrell. A Retrospective

26 mai 2013 – 6 avril 2014

Los Angeles County Museum of Art

5905 Wilshire Blvd.
Los Angeles CA 90036

www.lacma.org

James Turrell Museum at the Bodega de Colomé

Hess Family Latin America

Ruta 53 Km. 20, 4419 Molinos, Prov. Salta, Argentina

www.bodegacolome.com

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Photos :

Ci-dessus: installation view of ‘Ronin,’ 1968, at the Stedelijk Museum, Amsterdam. (© James Turrell/Photo courtesy the Stedelijk

Ci-dessous: installation view of ‘Afrum I (White),’ 1967, at the Guggenheim in 2004. (© James Turrell/Photo by David Heald/Solomon R. Guggenheim Foundation, New York

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