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Pour qui est-ce que j'écris ?

Par Eguillot

La question "pour qui est-ce que j'écris" peut supposer deux niveaux de réponse. L'un purement marketing, qui varie selon les livres. La trilogie Ardalia s'adresse par exemple à un public "de 12 à 112 ans." L'autre niveau est plus intime, et il est en lien avec la motivation profonde derrière l'écriture.

La question "pour qui est-ce que j'écris" se rapproche ainsi de l'autre interrogation, "pourquoi est-ce que j'écris". A partir du moment où la quête du succès est tout de même extrêmement évasive dans ce domaine, une carrière dans l'écriture se rapproche évidemment bien plus d'un art de vivre, ou d'un sacerdoce. Il me paraît donc établi qu'à partir du moment où l'on veut s'inscrire dans la durée, on écrit d'abord et avant tout pour soi.

J'écris ainsi pour expérimenter, vivre des choses différentes, me surprendre, m'émouvoir, rendre hommage à des oeuvres formidables qui m'ont marqué, trouver mon propre chemin, mon style, bâtir et faire oeuvre, mais aussi, bien sûr, faire partager toute cela. Sans cette notion de partage, ma prose aurait toutes les chances d'être stérile. En ce sens, j'ai à l'esprit en écrivant ma Lectrice Idéale, qui se trouve être ma femme.

J'essaye de ne pas fonctionner avec des règles trop astreignantes, mais l'une des choses qui pour moi demeure fondamentale est de ne pas insulter l'intelligence du lecteur. Je veux du solide, ou au moins une apparence de solidité. Pour cela, je travaille sur la cohérence par rapport au réel, le bon sens, et sur la cohérence interne, c'est à dire, sur la logique du fonctionnement de l'univers et de l'histoire et sur l'homogénéité de la personnalité des personnages.

Il est possible que ce grand principe m'ait empêché par le passé de "me lâcher" complètement, mais je l'assume. Et si l'on y réfléchit, même un univers totalement déjanté comme celui du Disque Monde de Terry Pratchett, s'il se transformait l'espace de deux ou trois chapitres en livre sérieux du style Germinal, trahirait tout à la fois ses lecteurs et sa cohésion interne.

En d'autres termes, le fait de respecter l'intelligence du lecteur n'est pas une entrave au degré de fantaisie d'un univers, à partir du moment où les règles sont posées dès le départ et où le pacte tacite s'est effectué entre l'auteur et le lecteur. Il est vrai que la cohérence par rapport au réel ne peut plus être assumée dans un univers déjanté, mais il faut alors assumer l'inverse, c'est à dire l'incohérence par rapport au réel.

Il ne faut pas oublier, non plus, que le réel se montre parfois autrement facétieux, imprévisible ou irréaliste que dans la fiction. Par exemple, si l'on m'avait dit il y a quelques semaines qu'il y aurait un rapprochement entre les Etats-Unis et l'Iran, je n'y aurais pas cru. Mais c'est aussi parce que je ne suis pas un spécialiste des affaires internationales : il y avait une probabilité que ce rapprochement s'opère, puisque le président iranien actuel est plus modéré que les précédents.

La surprise, le côté irréaliste, improbable, vient de l'ignorance d'un grand nombre de paramètres, dans la vraie vie. Un trop grand nombre de paramètres pour qu'un seul individu les intègre tous. Et dans les romans, si le romancier est le guide, c'est bien parce que le lecteur doit être guidé pour aller au-delà de son ignorance, ou en tout cas au bout du chemin. D'où les effets à ménager, les vérités à cacher, y compris en ce qui concerne la personnalité ou le passé, les allégeances, les antagonismes ou les déchirures de certains personnages.

Après, il y a différentes écoles, entre ceux qui planifient tout à l'avance et ceux qui se laissent entièrement guider par leurs personnages. J'oscille entre les deux, je dois dire. Il est très important de se laisser de la liberté et de la marge de manoeuvre si l'on veut se surprendre, pour surprendre les autres.


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