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Style italien, mode d’emploi

Publié le 07 octobre 2013 par Llc

A la recherche du style italien : l’exubérance classique

Quand on pense style italien, on a souvent à l’esprit l’image d’un style coloré, démonstratif, à la limite de l’exubérance et de l’exagération. Ce style, s’il correspond sans conteste à une réalité, n’en demeure pas moins associé (et circonscrit) à l’été ainsi qu’à une certaine catégorie d’individus (grosso modo, la jet-set et toutes celles et ceux qui prétendent lui emboîter le pas). Non qu’il faille se défier (ou rire) de cette façon de s’habiller héritée des années fastes où, la Guerre s’éloignant, tout paraissait possible ; au contraire, plus la morosité s’installe, plus augmente le désir de faire revivre par le vêtement une période considérée par beaucoup comme édénique, celle où, à Saint-Tropez, les « les Italiens » emmenés par Gigi Rizzi semblaient promis à un soleil éternel, sous le regard amusé d’une Brigitte Bardot sous le charme. La flamboyance de certaines mises masque néanmoins des différences profondes, de même qu’un goût plus classique et plus mesuré qui n’est pas forcément exclusif de l’autre. On me dira : « Et la sprezzatura ? » Je répondrai que la sprezzatura (devenue en quelques années la tarte à la crème de l’habillement masculin) est un esprit et ne dépend en rien de tel ou tel choix de vêtement. Mieux, la sprezzatura autorise à la fois que l’on respecte les codes et que l’on s’en libère. Personne n’est inféodé à une mode. Mais plutôt que de continuer à discourir, essayons de voir de quoi il retourne.

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Dans un récent article du Wall Street Journal dont je me permets de reprendre ici quelques éléments, le président et directeur marketing de Saks Fifth Avenue, Ron Frasch, note un changement des habitudes d’achat des Américains caractérisé selon lui par quatre points : l’intérêt des jeunes et des moins jeunes, des initiés comme des non-initiés, pour des costumes originaux et près du corps, la prise en considération de critères jadis négligés comme la couleur et les matières, l’explosion des ventes de chaussures de qualité au-delà des contraintes sociales ou professionnelles, et enfin la montée en puissance des accessoires (cravates, pochettes, foulards, épingles de cravate, etc.). En résumé, il semblerait que l’Américain urbain veuille être reconnu désormais pour sa capacité à se mettre en valeur et à accorder entre elles les différentes pièces de sa tenue. Pour M. Frasch, il ne fait aucun doute que cette transformation nouvelle des mentalités est due à l’influence bénéfique des Italiens. Notons que celle-ci résulte pour une grande part de la (sur-)médiatisation d’événements professionnels comme le Pitti Uomo ou la Fashion Week, qui gauchit fortement notre vision du style italien. Il y a seulement dix ans, combien de photographes faisaient le déplacement à Florence ?

Comment fait l’homme italien pour être si sûr de lui dans ses vêtements près du corps? se demandent les Américains. Ils mettent des costumes serrés expressément faits pour eux, règlent chaque détail (foulard et brillantine compris) comme si leur vie en dépendait et n’hésitent pas à se rendre ainsi au bureau, au besoin sur un Vespa savamment cabossé ou une moto vintage assortie à leur manteau.

« Le style est plus important pour les hommes italiens que pour les hommes de n’importe quel autre pays », souligne M. Frasch. « Ils sont élevés dès leur plus jeune âge à apprécier la qualité et le design. » Leur pays, bien que peu étendu (et, j’ajouterai, pour ainsi dire coupé en deux), dispose à la fois d’une place internationale (Milan), d’une tradition tailleur de qualité à travers cinq grandes villes (Turin, Milan, Rome, Naples et Palerme), et de magasins de vêtements haut de gamme dans presque chacune de ses villes moyennes.

Tom Kalenderian, vice-président exécutif de la mode masculine chez Barney’s, a une formule pour décrire le rôle croissant de l’Italie dans l’élaboration d’un style à l’échelle mondiale : « Paris, dit-il, nous donne des pistes mais l’Italie nous donne de vrais vêtements ».

Avec les Italiens, la couture descend dans la rue et s’y trouve chez elle. L’élégance n’est réservée ni à une élite, ni à un type d’usage particulier. On est élégant, c’est une façon d’être et une façon de se sentir bien. La règle est simple : un Italien ne porte pas ce qui ne lui correspond pas, ce qui ne correspond pas à son mode de vie. D’ailleurs, vous ne verrez jamais, comme en France, un vendeur sorti de nulle part essayer de vous vendre à toute force un costume dont il ignore tout. Et si par hasard vous rencontrez un élégant travaillant dans la mode, tailleur ou non, et que vous vous mettiez à discuter avec lui, il y a de fortes chances qu’il vous conseille, plutôt que de l’imiter, de chercher avant tout à être vous-même.

Glorieuses années 1960

Dolce vita : l’expression est un peu galvaudée ; elle évoque dans l’imaginaire collectif une joie de vivre, une insouciance – réelle ou supposée -, vite balayée en tout cas par la décennie suivante, marquée par les conflits syndicaux, le terrorisme et la montée en puissance de l’individualisme qui culminera, vingt ans plus tard, avec l’arrivée au pouvoir d’un Berlusconi. Avec le recul, la fin des années 1950 et le début des années 1960 apparaissent comme une sorte de festin collectif où la beauté a le premier rôle. Il suffit, pour s’en convaincre, de revoir les images de l’acteur Walter Chiari à Fregene (photo © Reporters Associati), celles du jeune Vittorio Gassman sur son Vespa, et, bien sûr, les clichés de Marcello Mastroianni, au cinéma comme dans sa vie privée.

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A la même époque, ceux que nous appellerions aujourd’hui les beautiful people découvrent grâce aux lignes intercontinentales nouvellement créées les endroits les plus féériques de l’Italie : Portofino, Porto Ercole, Capri, Ischia, et ainsi de suite. L’année dernière est paru un magnifique recueil des photographies consacrées par Slim Aarons aux vacances italiennes de ces enfants gâtés par la vie et admirés (La Dolce Vita, disponible chez Abrams). Parmi eux, des professionnels de la mode, comme Emilio Pucci ou le mannequin Marisa Berenson, des acteurs, comme Kirk Douglas, mais aussi des capitaines d’industrie, dont l’un, au moins (j’ai nommé Gianni Agnelli, grand amateur de yachts et de la Costa Smeralda), va exercer une influence majeure sur le style italien.

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La passion de la couleur

Oui, la couleur est au cœur des préoccupations vestimentaires des Italiens. Mais je ne crois pas que, pour autant, ceux-ci recherchent la couleur pour la couleur. Il s’agit d’associer, d’harmoniser, de construire une image à coups d’improvisations efficaces. Dans un contexte professionnel, les plus classiques s’en remettent à une combinaison éprouvée : costume bleu marine, chemise à fines rayures bleues sur blanc, cravate à dominante de rouge (grenadine de soie, club ou à motifs fins).

Ci-dessous, Nicola et Valentino Ricci, fondateurs de la sartoria Sciamat. Alors que son frère Valentino semble abonné aux couleurs neutres (bleu, gris, beige, marron clair), Nicola Ricci est un inconditionnel des mélanges ardus, dont il use jusqu’à la limite de l’incongruité. Photos, crédits The Journal of Style.

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Le spezzato

A ne pas confondre avec la sprezzatura, le spezzato (littéralement, « coupé en deux ») est l’art d’apparier une veste et un pantalon, qu’il s’agisse d’une veste et d’un chino, d’une veste et d’un jeans ou d’un pantalon et d’une veste de deux costumes différents. En jeu : le juste équilibre des matières et des couleurs, le contraste qui fera mouche et attirera l’attention sur ce que vous souhaitez montrer de vous. La plupart des icônes masculines italiennes font du spezzato sans le savoir depuis leur plus jeune âge.

Les Italiens sont-ils plus tolérants que les anglo-saxons en matière de codes vestimentaires ? Ils sont sans aucun doute plus sensibles à l’esprit de l’élégance qu’à la lettre. Ainsi, il ne leur paraît pas choquant de voir un candidat à l’embauche troquer le traditionnel costume foncé contre une tenue plus sport mais recherchée (veste sur-mesure et cravate). Encore faut-il garder à l’esprit qu’une veste sur-mesure est plus facile à trouver, et, par endroits, moins chère en Italie que partout ailleurs, et que d’autre part, une veste souple offre plus de possibilités d’associations réussies qu’une veste doublée munie d’épaulettes.

Priorité à la veste

L’un des points essentiels permettant de mieux comprendre les différences de style entre Italiens et Américains tient sans aucun doute à la place que les uns et les autres accordent à la veste. Pour les Italiens, la veste constitue une sorte de point focal. Son choix judicieux permet d’affirmer son originalité. Son rôle structurel consiste à affiner la silhouette. Aussi le pantalon se définit-il par rapport à la veste. Il sert en quelque sorte à la « neutraliser ». Pour les Américains, c’est l’inverse. Conformément à l’héritage preppy, le pantalon tient la place centrale. L’attention est attirée sur la partie basse du corps. D’où l’intérêt d’être parfaitement proportionné.

Les trucs des Italiens pour être élégant

Si vous êtes un familier de Milanese Special Selection, vous devez savoir que nous ne sommes pas favorables aux « trucs ». Le seul conseil à donner est d’apprendre à se connaître, d’apprendre à apprécier les proportions, d’apprendre à marier les couleurs (ce qui, on en conviendra, n’est déjà pas rien). Néanmoins, pour ceux qui voudraient quand même des points de repère, en voici dix, dont chacun jugera de l’intérêt à l’aune de ses propres convictions.

Ci-dessous, Marcello Mastroianni et Catherine Deneuve à l’époque du tournage de Liza. Photo © Jean-Claude Deutsch, à vendre sur le site de Paris-Match.

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Les dix trucs italiens à copier chez soi pour être sûr de bien s’habiller

1/ Porter des pantoufles en velours Arfango avec un costume habillé (ou, mieux, avec un smoking)

C’est tout à fait le genre d’idiotie que l’on peut lire dans la presse magazine. A déconseiller absolument, à moins que vous ayez décidé de faire sensation à la Scala, qu’un journaliste vous ait proposé de l’argent pour vous photographier dans cette tenue (et encore, l’argent n’excuse pas tout), ou que vous vous appeliez Lapo Elkann (auquel cas vous serez pris en photo de toute façon).

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2/ Remplacer la traditionnelle cravate par un foulard savamment plié

Pourquoi pas ? Tout dépend. Les Italiens ont été les premiers à nouer en deux fois de grandes écharpes autour de leur cou (le premier nœud protège du froid, le second sert à donner de l’ampleur), et ils sont encore les premiers à réhabiliter le foulard pour homme, en coton, en lin, en soie, en cachemire… Pas question cependant de ressortir des penderies les foulards griffés des années 1980. De même que le blazer à boutons dorés façon amiral en retraite a fait son temps, le XXIe siècle exige un minimum de recherche et d’émancipation.

3/ Porter des mocassins sans chaussettes

Je crains que la mode des mocassins sans chaussettes relève pour la majorité d’entre nous d’une fausse bonne idée, le genre d’invention qui nous entraîne plus du côté de Guillaume Durand que de Gianni Agnelli. Je sais que Fratelli Rossetti a ressorti son modèle Yacht cette année dans une version modernisée. Je sais (parce que je sais lire un communiqué de presse) que Renzo Fratelli a conçu ce modèle dans les années 1970 dans un esprit de liberté pour les hommes. So what ? Pas de dictature du produit.

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Source : Streepeacocks.

Porter des bracelets multicolores

Voir ici.

5/ Porter un blazer croisé sur un jeans blanc étroit

Vous avez peur de ressembler à un personnage de The Love Boat ? Vous avez raison d’avoir peur. Cependant, dès que l’été arrive, le jeans blanc représente une alternative efficace au jeans brut, trop vu, trop épais. De mon point de vue, un chino blanc de bonne coupe remplacera avantageusement le jeans blanc, promis à se démoder plus vite. Par ailleurs, aucune loi ne vous oblige à porter des pantalons courts et étroits si vos mensurations ne s’y prêtent pas. Quant au blazer, mieux vaut le choisir passe-partout, dans un beau bleu universel ou un coloris demi-saison.

Ci-dessous, tout ce qu’il ne faut pas faire. Trop de tout : de carreaux fenêtre, de couleurs voyantes et mal assorties, de bracelets, de bagues, de lunettes, de chapeaux (bien qu’il n’y en ait qu’un) ; le jeans retroussé jure avec la veste, bref : un peu de modestie ferait du bien… Source : Gentleman’s Gazette.

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6/ Porter des car shoes avec un costume en flanelle

A mon sens, porter un costume en flanelle est toujours une bonne idée, même si tout le monde ne peut pas se fournir chez Caraceni comme Gianni Agnelli, déjà cité. Comme le fait de porter des car shoes à la belle saison me paraît être aussi une bonne idée, je ne vois pas quel mal il pourrait y avoir à associer les deux. A condition, bien sûr, de ne pas porter des car shoes avec un costume en flanelle pour porter des car shoes avec un costume en flanelle, et de ne pas mégoter sur lesdites car shoes et ledit costume. Un peu de dignité, que diable !

7/ Posséder au moins une très belle veste sport

C’est la base, ou du moins l’une des bases, si bien que j’aurais peut-être dû commencer par là. Une veste sport, chic et déstructurée, propre à s’apparier avec une multitude de pantalons, et qui, le cas échéant, pourra faire office de blazer (ce qui ne dispense pas de posséder aussi un beau blazer). Il en existe de toutes sortes et à tous les prix. Ci-dessous, des modèles de la marque Boglioli.

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8/ Porter des derbys à double boucle

Il faut rendre à César ce qui appartient à César, et à Lino Ieluzzi (qui ne porte rien d’autre) le succès du derby à double boucle. Si vous choisissez ce modèle, n’oubliez pas qu’il participe d’une certaine nonchalance étudiée. La seconde boucle ne se ferme pas.

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9/ Opter pour les rayures

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les costumes à rayures ne sont pas réservés aux traders de la City pressés de dépenser leur bonus dans un uniforme aussi onéreux qu’ostentatoire. Les Italiens les affectionnent aussi, et ils aiment tout particulièrement les rayures larges.

Ci-dessous, Leonardo Genova. Le chef de l’équipe développement de produit d’Isaia, qui dessine en outre les tissus de la marque, n’a peur de rien. Excellent choix pour tout créateur de mode désireux de se retrouver en bonne place dans les magazines, exécrable dans tous les autres cas. Par comparaison, le second ensemble (Attolini) apparaît presque sage…

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10/ S’occuper les mains avec un sac ou un accessoire en cuir

La cigarette, c’est fini ! Pour vous donner une contenance, il existe beaucoup plus élégant – et moins dangereux pour la santé ! Le tote bag, la serviette, le porte-documents, le portfolio, et j’en passe. Un bel accessoire en cuir est aussi précieux à un Italien qu’une montre suisse, et il permet en outre de se singulariser. Nous vous en dirons plus prochainement sur la maroquinerie italienne.

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© Kelly Miller.


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