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Protéger sa mère

Publié le 09 octobre 2013 par Raymond Viger

Francyne allait vérifier que son père n’avait pas mis ses menaces à exécution, à savoir tuer sa mère avec un couteau. «Vous allez retrouver votre mère morte dans un coin, c’était sa phrase.» Francyne essaie de replonger dans ses souvenirs d’enfance. Elle y parvient difficilement. «J’ai été suivie longtemps en thérapie. Je racontais mon histoire comme si ce n’était pas la mienne, comme si ça ne me faisait rien.»

Menaces de mort

Francyne ne se souvient pas quand les menaces de mort à l’endroit de sa mère ont commencées. Elle voyait son père rarement, souvent absent pour son travail de chauffeur de taxi. Mais quand il était à la maison, tout le monde filait doux. «Il était fou sur les bords. Il avait des problèmes de santé mentale. Il se levait, criait, lançait des chaises. Le midi, quand je venais manger de l’école, il me chatouillait jusqu’à m’en faire pleurer. Je lui disais d’arrêter. Ma mère lui disait une fois mais pas plus. Elle en avait peur.»

À l’école, Francyne éprouvait du mal à chasser de son esprit les menaces de son père. Elle avait peur de rentrer et de voir sa mère morte. Pour étudier, elle se levait très tôt, avant ses deux frères et sa mère, pour être seule et en paix. À 60 ans, elle a perdu des bouts de sa vie. Son histoire sort par petites bouchées. Elle se souvient qu’à 13 ans, sa mère les a emmenés, ses frères et elle, consulter un médecin. «Il lui a dit de se séparer de mon père au plus vite parce qu’on aurait des séquelles sinon. Il nous a prescrit des médicaments pour les nerfs.»

Peu après cette visite, son père passe à l’acte. Avec un couteau dans les mains, il s’est approché de sa femme dans l’intention de la tuer. C’est son frère aîné qui s’est interposé. «J’ai toujours cette image dans la tête, devant le frigo, dans un coin.» Cet événement, Francyne ne l’a pas oublié. Près de 50 ans plus tard, ce film est ancré dans son cerveau qui lui, a perdu une partie de sa mémoire.

Dépression et thérapies

Sa mère s’est séparée, emmenant ses enfants avec elle. Francyne n’a personne à qui se confier. À l’école, elle est renfermée, elle s’isole dans un coin. Elle n’a pas d’amis. Francyne commence à consulter un psychiatre. Ce ne sera pas le dernier. «J’ai suivi des thérapies, j’ai fait au moins quatre dépressions. Puis j’ai été diagnostiquée bipolaire il y a trois ans.»

Suite à la séparation, son père passe la chercher à l’école pour passer du temps avec elle. «Il me disait que ma mère était folle. Je disais non, elle ne l’est pas. Je me mettais à pleurer.» En parlant avec sa mère, Francyne apprend que son père, quand il rentrait de travailler, allait la visiter dans sa chambre et la faisait pleurer. «Ma mère a tout le temps pensé qu’il abusait de moi parce que je pleurais longtemps. Elle n’osait pas venir voir ce qui se passait, elle avait trop peur. Je n’ai jamais su si c’était vrai. J’avais peur de le savoir.» Francyne demande à sa mère de cesser d’aborder le sujet. «C’est fatiguant, toujours se poser la question. Ça m’aurait fait quoi, de l’apprendre? Si c’est arrivé, on ne peut rien y changer.»

Francyne préfère ne pas savoir. Elle se dit que sa vie sexuelle s’en serait ressentie, si c’était vrai. Mariée pendant 19 ans et ayant eu une demi-douzaine de petits amis dans sa vie, elle ne se sent pas troublée.

Métamorphose

Francyne ne sait pas trop comment elle s’est métamorphosée, passant d’une enfant timide et sérieuse à une adulte ricaneuse. «Ma psychologue me disait que je gardais toute ma colère et ma rage en dedans. J’en avais, mais pas contre mon père. J’ai appris qu’il a été battu à coups de tisonnier, quand il était jeune. Je comprends que ça dû le marquer. J’étais plus fâchée contre ma mère. d’avoir parlé des attouchements possibles de mon père.»

Elle est sortie de sa coquille graduellement, sans s’en rendre compte. «Avant, je m’écrasais quand on haussait le ton. Je pleurais. Aujourd’hui, je suis capable de dire non, de mettre mes limites. J’aime jouer des tours, j’ai du plaisir. Des fois, je suis bébé. Ma belle-sœur me l’a déjà dit: faudrait que tu changes, tu n’es pas mature… Mais j’aime ça! Tu vas me prendre comme je suis. J’étais fière de moi quand je lui ai répondu. Avant, je n’aurais pas été capable, je n’aurais rien dit.»

Francyne n’a plus peur de s’affirmer. Il y a quatre ans, elle s’est mariée avec une ancienne collègue de travail. «Son mari avait le cancer, je l’ai rencontré à trois reprises. Elle m’invitait à jouer à des jeux de société, lui n’en avait pas la force. On avait du fun. Ça s’est développé en amour. Ce n’est pas sexuel, on ne fait rien. On se donne de l’affection, on se tient la main en dormant.»

Francyne ne s’en fait plus avec la vie. Mais à tous les 6 mois, elle rencontre un psychologue pour faire le suivi de ses dépressions et de sa bipolarité. Elle aimerait bien se souvenir davantage de son passé. «Mais je vis au jour le jour. Je suis heureuse comme ça. J’aime faire des blagues, agacer. Je me sens aimée.»

Francyne ne se souvient plus de son passé. Elle ne rumine pas ses vieux démons. Peut-être ses souvenirs lui apprendraient-ils la source de ses dépressions. Mais elle a appris à tourner la page en se sentant légère comme une enfant.

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