« Un homme d’embrouilles »

Prononcées à intervalles réguliers, les petites phrases ont pour but de maintenir l’image médiatique d’un acteur public. Rabâchées par les différents médias, elles réactualisent la relation de l’émetteur avec les citoyens auditeurs et entretiennent sa réputation. Elles contribuent à la spectacularisation de la vie publique. La petite phrase est guettée, attendue, reprise dans l’hypothèse où elle deviendrait une réplique culte. Chacune d'elle vient grossir les épaulettes du costard médiatique de celui qui la prononce. On attend la suivante avec goumandise en espérant qu'elle sera  d'une meilleure cuvée. 

On savait Jean-Luc Mélenchon habile à manier le verbe et les tropes à usage de ces petites phrases à cibles uniques et à forte capacité de dévastation. Faisant allusion à la fonction précédente du Président et à sa pratique réputée de la synthèse, le leader du Front de Gauche a estimé que François Hollande « n'est pas un homme de synthèse, c'est un homme d'embrouilles ». La philippique est destinée à faire mouche. Dans le contexte des prochaines échéances électorales, Jean-Luc Mélenchon se voit en chef d’orchestre de la recomposition de la Gauche. Le seul nom du Président excite chez lui les plus violentes colères. Jean-Luc Mélenchon excelle dans le registre du courroux.

« Embrouille » fait partie des mots à large spectre d’emplois. Ses usages sont multiples et qualifient les situations les plus anodines et les plus dramatiques. Ce terme s'est imposé pour désigner sans nuance toute situation de conflit. Moqueries entre deux élèves de 5^ème ? Embrouille ! Bagarre à la sortie d’une boîte de nuit ? Embrouille ! Clash entre deux automobilistes au tempérament sanguin ? Embrouille !  Imbroglio juridique dans un dossier sensible ? Embrouille ! Dispute de fin de banquet entre deux beaux-frères ? Embrouille ! Colère des urgentistes en face à face avec des politiques ? Grande embrouille ! (http://sante2020.blog.lemonde.fr/2013/07/11/urgences-et-politique-la-grande-embrouille/). Produit frelaté ? Embrouille avec un vendeur ! Cafouillages au sein du gouvernement ? Embrouille entre deux ministres  ! Altercation entre deux joueurs à l’issue d’un match de foot ? Embrouille ! Règlement de compte entre deux dealers ? Embrouille ! Affaire foireuse ? Ça sent l’embrouille ! Rivalité amoureuse ? Belle embrouille ! « Le réveillon finit dans le sang titre » titre le Bien Public à la rubrique des faits divers. Embrouille ! Chico Buarque, écrivain et musicien brésilien, a fait de ce mot le titre d’un de ses romans les plus connus (1992) dans lequel il tient la main du lecteur pour lui montrer combien la langue est importante. Ce récit, accueilli comme une révélation, en a embrouillé plus d’un ! François l'Embrouille est un humoriste belge, connu pour ses nombreuses caméras cachées, spécialisé dans le piège tendu à des personnalités du show-biz.

On s’embrouille donc facilement à vouloir trouver un synonyme à ce terme aux connotations multiples. « Embrouille » est le couteau suisse du vocabulaire de la situation qui part en vrille. L’excès d’usages nuit au sens. Que veut dire exactement Jean-Luc Mélenchon qui nous a habitués à plus de précision dans ses diatribes ? Il laisse à chacun la possibilité de se faire une idée de la capacité d’embrouillage qu’il prête au Président. C’est sans doute cela le plus important pour l’orateur. Le méli-mélo sémantique ne profite cependant pas au débat. Certes Jean-Luc Mélenchon a fait le buz mais sa saillie ne dit rien des embrouilles qu’il attribue au Président. Les auditeurs pressés y verront un sac d’embrouilles dont il faut se débarrasser au plus vite. Dans la poubelle la plus proche.