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Regard porté sur Carolyn Carlson

Publié le 11 octobre 2013 par Estelle Pinchenzon @on_y_danse

Grande Leçon, donnée par Jean-Christophe Paré, au Centre National de la Danse

Regard porté sur Carolyn Carlson

Jeudi 10 octobre 2013

A peine remise du week-end Danses Partagées, me voilà de retour au CND pour profiter de leurs grandes leçons : des soirées de transmission entre un grand maître et le public. Ce soir, le chorégraphe et directeur de l’Ecole nationale supérieure de danse de Marseille – Jean-Christophe Paré – nous amène quelques années en arrière. En 1978, il interprète pour Carolyn Carlson son solo, Density 21,5, qu’il va danser pendant plus de vingt ans. Il intègre la gestuelle et les vibrations intérieures de la chorégraphe pour les faire siennes. C’est cette Carolyn Carlson de 1978 qu’il nous transmet, emprunte de sa propre subjectivité. Douze élèves du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris sont à ses côtés pour redonner corps à la chorégraphie. 

J’aime ces moments, car nous recevons des paroles profondes sur la manière d’interpréter la danse. Nous entrons en plein dans le corps et l’âme des grands chorégraphes et comprenons ce qui les anime : pourquoi ce geste, comment bien l’exécuter, à quoi penser. C’est comme recevoir des explications sur un tableau. Cela nous révèle d’autant plus la beauté qu’on en perçoit.

Jean-Christophe nous amène dans les fondamentaux du mouvement de Carlson.

Il nous expliquer l’importance du regard : il doit repousser l’espace, ou bien l’absorber, sans aucun doute être en contact avec lui. Lorsqu’on regarde en l’air, il faut s’imaginer repousser le plafond et non être suspendu à lui. Dès qu’il dit « Allez, c’est parti », les élèves mettent en pratique ses conseils. Il leur ajoute au fur et à mesure d’autres éléments : le rôle du front et du sternum, en projection, la marche glissée, toujours en contact avec l’espace, essayer de compresser l’espace temps dans la projection de mouvements. C’est comme si les danseurs apprenaient à déjouer les métriques qui pèsent sur nos corps : le temps et l’espace. 

Carolyn Carlson travaille beaucoup en rupture et arythmie. Cela se ressent dans les directions subites et surprenantes du regard, des mouvements.

Un bras se tend : il ne faut pas penser tracer une ligne mais être la ligne. Augmenter sa présence, y compris (surtout !) dans l’immobilité, et ne pas être un dépôt. Le bras trace un cercle ou un « huit » : aller au delà, à l’horizon du geste.

Jean-Christophe aborde le « slow motion » : réaliser un mouvement au ralenti, sur le bruit de son rythme intérieur. Il s’agit de décomposer l’espace temps et avoir conscience de chaque partie de son corps à chaque instant.

Il transmet également la notion de « décentrement » : un point d’attention qui se déplace dans le corps, avant de conclure « il faudrait 15 jours pour ce sujet là ! ».

Vient la chorégraphie d’un extrait du solo, Density 21,5. A l’époque, Carolyn Carlson s’était inspirée des notes de la flûte d’Edgar Varèse, une flûte dont le précieux métal est d’une densité moléculaire de 21,5….une densité importante, transposable au corps du danseur quand il se met à danser. Ce soir, c’est la flûte de Françoise Ducos qui influence les mouvements des danseurs, guidés conjointement par leur propre musique intérieure. Jean-Christophe Paré les accompagne dans la découverte de l’extrait, leur proposant sans cesse des améliorations pour aller au bout de leurs mouvements. C’est d’une grande maturité de geste et d’esprit. Cette main qui doit tomber telle une feuille morte pendant qu’un pied marque le rythme, l’autre l’arythmie est un des mouvements proposés, révélant combien le travail de Carlson est inspiré de forces subtiles et profondes, proches des lois de la nature.

Elle le dit elle-même dans le film qui nous est ensuite projeté : « C’est quand je danse que je vis le plus, j’atteins un état spirituel proche de Dieu, de l’enfance, en phase avec les forces de l’univers ».

Dans cette courte vidéo datant des années 80s, nous observons Carolyn Carlson en pleine improvisation, en extérieur. Jean-Chirstophe nous laisse l’observer avant de nous repasser l’extrait enrichi de ses commentaires. C’est telle que la découverte d’une oeuvre d’art. Il ouvre notre regard et nous permet de saisir l’immense aura de la chorégraphe. Elle commence son improvisation par un bras qui se lève. Point anodin, nous dit Jean-Christophe. Ce bras symbolise l’ascension.

Un plan la montre tout d’un coup vibrant : cela part de sa main pour se transmettre dans tout son corps. Jean-Christophe nous permet d’établir le lien avec l’arbre derrière, dont les feuilles bruissent de la même façon. Carolyn a capté cet élan, elle l’a intégré dans tout son corps pour ne devenir qu’un avec l’arbre.

Nous sommes suspendus à ses paroles, nous invitant toujours plus dans l’essence de la danse de Carlson. C’est une redécouverte profonde de cette chorégraphe, et la sensation d’avoir touché à l’indicible de la danse, à quelque chose que l’on ressent en dansant sans pouvoir à fond l’exprimer ou encore l’expérimenter. Une nouvelle réponse à l’éternel questionnement « pourquoi je danse ? ».

Un grand merci à Jean-Christophe Paré pour cette transmission pleine d’humanité.

Estelle


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