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Poète Sacré Boulot de Sylvain Thévoz et Patrice Duret

Par Alain Bagnoud

Il y a dans le titre de ce recueil fertile, pressant, tenace, une tension qui se retrouve dans tout le recueil. Poète Sacré Boulot, trois mots qui flottent sans ponctuation sur la page de couverture. On dissèque :

Poète, c'est justement le mot sur lequel ont travaillé Sylvain Thévoz et Patrice Duret, choisissant un point de vue décentré et interrogeant d'autres auteurs dans le cours du recueil, créant un petit jeu d'intertextualité qui vaut pour l'interrogation et l'hommage.

Il est de circonstance, dira-t-on, de s'interroger sur la poésie, son rôle, son sens, son (in)utilité, sa fonction ou son histoire. La grande originalité de ce recueil est justement que nos auteurs ont préféré prendre plutôt comme point de départ « le corps émetteur de poésie ».

C'est ce qu'on peut remarquer dans le mot sacré, du titre, qui renvoie à plusieurs sens. Le liturgique, traditionnel : le poète serait conteneur et émetteur de sacré, après avoir reçu l'onction qui lui permet d'arborer sa fonction. Mais sacré peut se lire aussi comme un juron, un synonyme de maudit, avec une nuance admirative. « Poète, maudit métier ! »

Patrice Duret

Quoique ce ne soit pas métier qui ait été choisi ici, mais boulot, d'un niveau de langue plus populaire, en contraste justement avec sacré qui le précède. Quand on utilise boulot, on met l'accent, explique le Cnrtl, sur la régularité et la quantité de travail effectué. Tout le contraire de la notion d'inspiration, en somme, à quoi on a lié souvent la poésie.

Le poète serait donc un travailleur acharné, investi, un peu réprouvé, vaguement admiré ? Regardons de plus près quelques exemples.

On trouve dans les pages de ce livre des références à Antonin Artaud, (« Poète indicible poète poreux... »), André Frenaud (« Poète béance d'une forge... »), Allen Ginsberg (« Poète trop à l'étroit toujours...), Sylvia Plath (« Poète femme chauve »), et bien d'autres : vingt-six en tout, classés de A à Z puisque le recueil se présente comme un abécédaire, confrontant sur la double page une notion et un nom (Absolu pour Artaud, Friable pour Frenaud, Paumes pour Sylvia Plath...).

Sylvain Thévoz

Vingt-six poètes et plus d'hommes que de femmes, c'est ce que constatent les auteurs dans la préface en se demandant pourquoi elles sont moins représentées. (« Poétesse impossible boulot ; poète sacré boulot : un devenir sexiste ? Un livre à écrire peut-être... »)

Bien entendu, s'il y a questions, il ne s'agit pas ici d'un essai qui vise à les résoudre, mais de création qu'elles suscitent, poèmes écrits dans une démarche, expliquent Duret et Thévoz, individuelle et collaborante tout à la fois.

Chacun des deux auteurs a rédigé ses propres textes, qui sont disposés de façon à ce qu'un lecteur puisse en identifier la provenance: ceux de Duret sont imprimés sur les pages paires, ceux de Thévoz sur les pages impaires. Mais avant d'être publiés, ils ont été relus, discutés, dans une collaboration « par porosité et parfois perfusion ».

Si les textes, finalement, gardent la marque de leur auteur, identifiables par deux styles et deux personnalités propres, ce travail en duo donne une force et une légitimité au recueil : il ne s'agit pas d'un poète qui profère son point de vue, mais d'une interrogation créative qui fait écho avec les multiples auteurs cités : « une interpellation de qui fait la poésie et comment ».

Poète Sacré Boulot, Sylvain Thévoz et Patrice Duret, Le Miel de l'Ours


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