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Conference de sorj chalandon

Par Geybuss

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En septembre dernier, Sorj Chalandon est venu à Rennes présenter son dernier roman : Le quatrième mur

La conférence, qui se tenait aux Champs Libres, était captivante et bouleversante à la fois. Le public ne bougeait plus, l'émotion était palpable, dans dans le regard et la voix de l'auteur, que dans la salle où régnait un silence inhabituel. Personne n'osait même tousser.

Voici quelques extraits de cette conférence d'après mes petites notes.

Je rappelle que dans cette catégorie "conférence et rencontre d'auteur", je ne suis que spectatrice. L'interview n'est pas de moi, elle est le travail d'un journaliste littéraire. Je reprécise cela car il semble qu'il y ait quelque confusion chez vous lecteurs !

 Le journaliste : "Le quatrième mur", pour un romancier, quel est-il ?

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 SJ : Pour un romancier, je n'en sais rien. Mais dans ce livre, il est triple. Je mets la guerre du Liban en scène et Georges va mettre en scène Antigone. Donc il y a déjà un 4ème mur. George est mon deuxième prénom, donc le lien n'est pas long à faire... George va prélever un acteur dans chaque camp. Il y a un 4ème mur qui sépare la guerre et la paix, puis celui qui sépare les acteurs et le public.

C'est l'histoire d'un emmuré, puisqu'il n'y a ni porte ni fenêtre.

Je suis sali par la guerre, qui m'a sali et blessé pendant 20 ans. Même si je suis sans blessure apparente, j'ai laissé des lambeaux de moi partout. Un journaliste doit dire ce qu'il voit. Il ne doit pas pleurer mais recueillir les larmes des autres. J'ai recueilli pendant des années avec effroi. Il fallait que cette effroi sorte et que je donne.

Dans mon journal, il y a deux colonnes : Ce que l'on me dit / ce que je vois et ressens. 

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 ...SJ : Ce n'est pas un roman à suspens. L'important n'est pas la réussite, mais le test, l'essai jusqu'au bout.

Un journaliste n'est pas un sujet. Je ne me mettrai jamais en scène en tant que journaliste dans un roman. J'ai envie d'être quelqu'un d'autre. Je prends un homme en paix, qui n'a rien à faire dans la guerre. Je ne voulais pas être dans l'autofiction, j'aurais trouvé cela obscène. Georges me ressemble, mais il n'est pas moi. Je voulais que Georges soit en désarroi. Devant la barbarie, il n'y a pas de place pour les larmes. Quand avec mes compères journalistes on est arrivés à Chatila, les mots tremblaient sous les stylos mais il fallait être concis, précis. J'aurais aimé être aveugle, j'avais deux yeux de trop. Dans chaque homme, il y a un bourreau et une victime. Qui fait-on taire en premier ?

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Le journaliste : Y a-t-il une différence d'écriture entre le journaliste et le romancier ?

SJ : Je ne voulais pas que l'auteur Sorj Chalandon puise dans les écrits journalistiques du journaliste Chalandon. Et pourtant, j'ai retrouvé des phrases identiques ou presque. Le journaliste et l'auteur ont trouvé les mêmes mots. Quand on est journaliste, il ne faut pas rajouter du mot, il ne faut pas jouer avec les mots.

Georges décide de retourner à la guerre et d'y rester. J'ai deux filles, je ne pouvais pas repartir à la guerre.

On imagine pas le nombre de gens qui rentrent de la guerre et se taisent... Je porte ce livre depuis longtemps. Il aurait dû être mon 3ème roman. J'ai écrit "Le petit bonzi" qui m'a fait continuer. La trahison de l'Irlandais m'a obligé à écrire "Mon traitre" et "Retour à Killybegs". J'en ai fini avec l'Irlande au niveau littéraire, car personellement, je n'en n'aurai jamais fini avec l'Irlande. Et j'espère qu'avec "Le quatrième mur", j'en aurai fini avec la guerre. Je n'écrirai plus sur la guerre.

 

Je viens d'un monde où l'on a cru que l'on pourrait changer les choses. Georges ne connait que les violentes bagarres étudiantes et il se retrouve dans une guerre à laquelle il ne connaît rien. Moi, en 73, pour "changer" les choses, je suis entré à Libé. Pour Georges, c'est avec le théâtre qu'il veut changer les choses. Il veut que les mots du théâtre classique pénètre une population qui était écartée de cette joie.

La première chose que l'on brûle dans une dictature, ce sont les livres puis les armes. Les livres sont des armes. Sans rendre compte serait un progrès immense mais pas trop urgent !

Comme Antigone va devoir jouer son rôle jusqu'au bout, Georges va aussi aller jusqu'au bout. Il ne comprend rien à la situation mais ce n'est pas grave. C'est l'histoire d'un petit français qui arrive dans un pays en guerre et qui va devoir apprendre pour survivre.  

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SJ : Georges va être obligé de trahir Antigone et Anouilh. Il doit barrer plein de petites choses pour que tout le monde puisse entrer en scène malgré croyances et traditions. Il ajoute des contradictions pour que tout le monde accepte de jouer. A chaque fois, Georges est en plein coeur des communautés. Il ne juge pas. Qui est l'ennemi ?  Son problème n'est pas de savoir qui il préfère... il veut juste que les gens arrêtent de faire la guerre pendant 1h50.

Quand on est journaliste, on rend compte et on se tait. Il y a le journaliste du savoir et du regard. Je suis un journaliste du regard. J'aime apprendre, être surpris, bousculé sur le terrain...

Les chants et les rires de l'assassin qui part ou qui revient d'un massacre sont très violents, brutaux. On peut être poête et tueur. Quand on rentre en paix, on sait qu'on n'est pas que poête, mais aussi tueur - pas que tueur, mais aussi poête.

"Il faut croire, il faut aller au bout, c'est quand tu baisses les bras que tu n'es pas digne", c'est ce que je veux dire dans ce roman. J'espère qu'il n'est pas un requiem pour la guerre. Ce n'est pas un livre d'actualité, car j'ai fait parler des choses que je croyais muette à tout jamais. Hélas, non, l'actualité montre que non...

Même dans les pires situations, il y a toujours une petite place pour la poésie, le théâtre. Il reste encore une place. J'ai pleuré de faire partie de cette humanité là. Je revendique le droit de pleurer les blessures des autres. J'ai confié à Georges la tâche d'aller où je me suis arrêté. Avec lui, je veux voir ce qui me serait arrivé si j'avais continué...

Je voulais me débarasser des fantômes, mais je les ai convoqué. Je ne suis pas appaisé. J'ai un sac de pierre sur le dos, et je suis en train de le partager avec vous. La part de vécu est immense dans ce livre, mais c'est bien plus que ça. Je ne veux pas partager ma douleur, mais l'universel. Je n'ai pas envie qu'on oublie. Certes, on ne peut pas vivre qu'avec des morts, mais je vis avec un cortège. Il n'y a pas de visage de monstre. Le pire assassin de guerre, c'est celui dont on vient de tuer la femme et l'enfant.

Celui qu'il faut combattre est en nous, et c'est ce qui est le plus inquiétant.

Bon, pour détendre l'atmosphère, voici quelques photos qui complètent ma collection de photos d'effets de mains d'auteurs !

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