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Le monde entier peut-il tenir dans un sac-à-dos ? - Howard MCCORD - En marchant vers l'extrême (Ring, 2013 - traduit de l'américain par François Hirsch) par Lazare Bruyant

Par Fric Frac Club
Le monde entier peut-il tenir dans un sac-à-dos ? - Howard MCCORD - En marchant vers l'extrême (Ring, 2013 - traduit de l'américain par François Hirsch) par Lazare Bruyant C'est assez marrant de lire ce livre, En marchant vers l'extrême de Howard McCord, juste après La Conjuration de Vasset. Trucs de marcheurs, d'espace, avec des ambiances métaphysiques à gogo. C'est encore plus marrant d'apprécier la mise en perspective à quelques jours de distance. Voir qu'au final le Vasset se révèle être un livre assez irritant parce que presque beau mais profondément vide. Que Marcher vers l'extrême ne fait que, ou presque, parler de vide et que, pourtant, le livre est plein comme un œuf. Marrant.
Mais qui est donc Howard McCord au fait ? Né en 32, il est moyennement connu chez nous pour un bouquin paru chez Gallmeister, L'homme qui marchait sur la lune. Un très beau livre selon mon libraire et d'autres personnes aux goûts sûrs. Contrairement à toute une flopée d'écrivains à moustache qui ont élu domicile dans le Montana pour faire école sans le dire, McCord à poser sa galoche, à moustache elle aussi, dans l'Ohio lointain. Vu d'ici, c'est exactement la même chose. On imagine facilement le quotidien de l'écrivain à l'identique que celui de ces compagnons des Grandes Plaines. Se lever tôt avec une bonne tasse de café jamaïquain, promenade avec le chien, écriture jusqu'à midi, pêche l'après-midi. Quelques vices cachés, comme tout le monde. Sans doute un amour incommensurable pour la bouteille, ou Dieu... ou les deux. McCord aime, c'est sûr, les choses simples. Un match de baseball à la téloche de temps en temps, discuter avec des amis indiens les soirs d'orage. Mais plus que tout, ce qu'aime McCord c'est marcher, écrire et être seul. Le genre de type que l'on croise souvent sur les chemins escarpés de haute montagne. Il est là, posé à la sortie d'un virage barré par un rocher en forme de miche de pain cramée ou suspendu au-dessus d'une crevasse, le regard au loin, rempli d'un contentement serein. On fronçant un peu les yeux on peut voir qu'il essaie de s'inclure pleinement, totalement, dans ce qu'il regarde et faire comme si vous n'étiez pas là. C'est une technique zen de plus en plus inefficace. Du coup McCord a trouvé la parade : il marche dans les déserts. Déserts arctiques, d'Islande ou du Nouveau Mexique... Et parfois il finit aussi dans un bar. Comme tout le monde. Photo : Rocky Schenck
"Je regarde avec mes pieds, marche avec mes yeux"
Ça c'est balèze ! Voilà donc de quoi est capable McCord quand il est seul avec son sac-à-dos. Le vieux briscard prend alors le prétexte de balades dans les endroits les plus reculés de la planète pour tenir séance sur le monde, les hommes... la vie quoi. C'est très beau et on aurait presque envie d'envoyer un exemplaire à Eri De Luca pour qu'il en prenne de la graine. McCord est vif d'esprit mais a la patience de l'expérience. S'il n'était pas né yankee il aurait été indien. Il a le sens du partage, alors il se souvient pour nous d'anecdotes historiques, convoque des fantômes de conquistadores espagnols, de vikings perdus et d'apaches sanguinaires. C'est très beau. Et puis parfois on se marre bien aussi, surtout quand l'immensité autiste du vide lui fait dire deux trois trucs carrément sensass. Il parle de la totalité absolue des pierres ... "Dans le désert, on invente pas de scénario pour les pierres" ... et enchaîne sur l'absurdité sidérante de la propriété personnelle. Des phrases sans queue ni tête, d'une beauté inouïe et qui me donnent envie de le traquer lors de ses futures promenades. Je lui piquerai son paquetage à la première pause pipi. Privé de sac de couchage, de nourriture et de quoi se déshydrater on verra bien comment Proudhon s'en sort en milieu hostile. À un autre moment il est question d'un gâteau d'anniversaire et de la CIA. Plus loin, en lisant les lignes que McCord écrit sur l'Islande (le premier chapitre), on a l'impression d'écouter un narrateur secret qui serait discrètement sorti des Fusils ou de la Tunique de glace de Vollmann pour nous en donner une version apaisée. Enfin, dernière balise, on est à New York. McCord fait la leçon à une bande de yuppies qui assaisonnent leur cognac avec de la liqueur de menthe. Lui, snob, dit ne boire que du Courvoisier pur et laisse entr'apercevoir un hiatus grand comme le Sahara dans son discours. Mais en fait on s'en fout. McCord est un homme après tout, un vrai avec ses contradictions et son désert est un nouveau contrat social passé avec la solitude, un lieu sans loi, ou n'existe que la liberté. Et Dieu d'après lui. Surtout, McCord veut nous parler d'autre chose. Un truc sérieux. Un truc de grandes personnes qui ont bourlingué. Photo : Rocky Schenck
"Il y a dans les paysage autant d'informations que dans les mots"
Une marotte vieille comme les premières légendes. Le cœur intellectuel de McCord se trouve ici ... "Le lien entre la langue et le monde n'est pas logique" ... Notes, réflexions, souvenirs de morts, de randonnées scabreuses, théorèmes alanguis comme par un trop plein de contemplation, En marchant vers l'extrême incarne une sorte d'émerveillement poétique et ontologique proche de Rousseau. Dans la méthode, pas tout à fait dans le propos. C'est un livre pour dire toute la complexité de dire le monde (sic). Ou plus précisément de l'approximation de la langue et de nos systèmes syntaxiques un peu foireux qui nous servent à parler de ce monde. Le texte avance malgré tout, par touches éparses et érudites, porté par d'autres magnifiques phrases grandes comme herbes sauvages... Les mots servent parfois à remplir les blancs comme ils peuvent. Les mots nous transportent plus loin que nos pieds et McCord, sous l'influence d'un cagnard de plomb, l'aurait sans doute dit autrement : "Un pas ici est un pas là-bas, dans la mémoire". Mais comme c'est trop beau.
En définitive En marchant vers l'extrême est un geste poétique et paradoxal, équipé comme un couteau suisse dont on ne saurait que faire de la moitié des options tout en les trouvant foutrement fascinantes. Soyons clairs, il y a cent fois plus de choses dans une virgule de ce livre que dans les 206 pages du Vasset. Mais ça n'engage que moi bien sûr. Photos : Rocky Schenck


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