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Quand le ministère de l’intérieur alimente la culture du viol

Publié le 16 octobre 2013 par Juval @valerieCG

Le ministère de l'Intérieur a publié l'an dernier une page de Conseils aux femmes pour leur sécurité. (merci à la marquise pour l'information).

Je ne sais qui a écrit cette page mais je voudrais tenter d'expliquer en quoi elle est profondément choquante, en quoi elle alimente la culture du viol, les mythes autour du viol et entérine la peur chez les femmes.

Constatons déjà qu'il n'existe aucune page de ce genre à destination des hommes pourtant victimes en 2011 pour 360 000 d'entre eux de violences physiques hors ménage et pour 80 000 de violences sexuelles hors ménage. Il est entendu qu'un homme saura se débrouiller, ne doit de toutes façons pas avoir peur d'être agressé (le viol n'est même pas une possibilité envisageable, cela n'existe pas) et s'il est agressé il saura se défendre. Il existe des pages, oui, donnant des conseils de prudence génériques mais pas une à destination exclusive des hommes.

En revanche les femmes ces êtres fragiles, un peu idiotes, incapables de se prendre en charge, de réfléchir, d'appréhender les risques, il faut bien leur dédier une page spéciale.

Admirons d'ailleurs ce passage dantesque : "Tous les conseils pour protéger votre famille (femmes, enfants) contre les actes malveillants, les renseignements sur les disparitions de personnes et les informations sur les personnes dont le comportement nécessite un traitement particulier."
Que nous dit-il ? Qu'il s'adresse aux hommes qui ont des gens dépendant d'eux (une femme voire plusieurs vu le "s" et des enfants). J'entends quelqu'un au fond murmurer le mot "patriarcat" ; oui c'est la base de la famille patriarcale. On n'entend évidemment pas s'adresser aux femmes qui ont "des maris" et "des enfants". L'homme, par défaut, est le pilier, qui saura lire ces pages pour prendre en charge des personnes dépendantes, des enfants et ... des femmes donc.

Première phrase c'est déjà le choc : la morphologie des femmes. En quoi la morphologie des femmes peut-elle entraîner des agression particulières ? Si vous entendez dire qu'on a des orifices violables, j'ai un scoop les hommes en ont aussi. Si vous entendez dire qu'on a des seins et des hanches qui attirent l’œil et l'agression, je voudrais savoir ce qu'on est censé faire avec cela. Culpabiliser d'en avoir ? Les planquer ? Mon corps, contre lequel je ne peux rien, à moins de tailler dedans, trancher, dissimuler, maigrir, grossir, disparaître (on me dit dans l'oreillette que plein des femmes font cela ? Incroyable) est EN LUI MEME une source d'agression. Je ne sais même pas comment expliquer à quel point cette phrase est d'une violence incroyable, combien on nous renvoie à la gueule que quoi qu'on fasse de toutes façons c'est dans notre nature d'être agressées.

Rappelons que la majeure partie des viols et agressions sexuelle est commise par des gens que l'on connait et non pas par des inconnus (si vous me demandez des sources pour ces affirmations c'est que vous n'avez pas ouvert les liens précédents) ; connaissances qui savent donc très bien que vous êtes seule ou pas dans votre appartement. Il ne sert donc à rien d'aller coller sur sa boîte un pseudo Monsieur Monmari pour éviter le viol.

Elle a lieu, dans leur grande majorité, chez soi ou chez le violeur mais on préfère alimenter des contes pour enfants où le chaperon part chez sa grand-mère où la femme va garer sa bagnole et PAN un violeur lui saute sur le paletot.
S'en suit donc le paragraphe surréaliste sur l'attitude à avoir dans la rue avec la phrase qui ne manque pas de sel "Ne donnez pas l'impression d'avoir peur." On t'abreuve de conseils tétanisants, mais tu ne dois pas avoir peur. Expliquez-moi. On te donne des conseils irréalistes avec une vie professionnelle (et une vie tout court) mais tu es censée ne pas avoir peur.
Alors peut-être que ces conseils vous semblent "de bon sens". Etudions les donc.

"Evitez les lieux déserts, les voies mal éclairées, les endroits sombres où un éventuel agresseur peut se dissimuler. Dans la rue, si vous êtes isolée, marchez toujours d'un pas énergique et assuré." Avec ce conseil là je ne sors plus de chez moi dés qu'il fait nuit. Je ne vais plus travailler puisqu'il fera nuit quand je rentrerais et que je suis obligée de passer par "des voies mal éclairées". Sachant qu'il fera bientôt nuit vers 17h, que le jour se lèvera vers 8 h environ, cela me laisse une petite marge de manœuvre pour circuler et des millions de femmes sont évidemment dans mon cas.
Certains ne manqueront pas de me dire que ce sont des conseils à portée générique qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre ; ok mais alors pourquoi les écrire, qui plus est sur un site ministériel ? Pourquoi ces conseils sont-ils uniquement à destination des femmes ? Les femmes sont déjà élevées dans la peur et doivent déconstruire cela pied à pied ; ce texte ne fait qu'alimenter ces peurs. Il se passe quoi dans la réalité avec ce genre de conseils ? Insidieusement on fait rentrer dans l'esprit de tout le monde qu'une femme qui ne respecte pas ses conseils là cherche un peu la merde qu'elle finira par trouver.
Comme l'a montré Antisexisme, valider et entériner les mythes sur le viol augmente la propension au viol. En clair, plus on véhicule des mythes sur le viol, plus on les renforce, moins un violeur potentiel se sentira coupable de passer à l'acte et plus il passera à l'acte.
Est-ce qu'on est toutes censé faire appel à un homme pour rentrer et sortir de chez nous ? Peut-être peut-on nous coller directement sous tutelle cela sera plus pratique ?

"Votre sac à main est la cible des voleurs". Là on n'est même plus dans l'hypothèse mais dans la certitude. C'est une cible c'est comme cela. Tu as déjà une morphologie à attirer les violeurs, un sexe à attirer les violeurs et tu as en plus un sac. Tu cumules. Et là donc le conseil qui tue "Tenez-le plaqué contre vous et jamais pendant sur votre épaule." Rappelons qu'on vous a auparavant conseillé de "marchez toujours d'un pas énergique et assuré". Je vous propose de tenter une petite expérience et de tenter le pas énergique et assuré en serrant votre sac contre votre cœur. Vous vous sentez entravée ? Vous n'arrivez pas à marcher ? Quelques heures d'apprentissage (vous n'avez que cela à faire de toutes façons) et cela devrait venir tout en faisant attention au sens de circulation. Proposons d'ailleurs aux magazines féminins un partenariat avec le ministère de l'intérieur avec des articles de type "Comment apprendre à tenir son sac contre soi en gardant l'air féminin" "Le pas énergique et assuré, oui mais dans la féminité".

"Dans les parkings, évitez les coins sombres." LE PARKING LE VIOLEUR LE PARKING LE VIOLEUR. Pardon je m'égare. Le parking représente 0.6% des lieux où peut avoir lieu un viol. zero virgule 6 pour cent. Alors comme à chaque fois je sais bien que quelqu'un va venir me dire "oui mais quand même cela n'est pas rien". Reprenons ; la majorité des viols a lieu au domicile de la victime ou du violeur par une connaissance ; on va D'ABORD s'attaquer à ce problème là puisque cela fait 50 ans qu'on alimente les mythes plus divers en inventant des situations qui n'existent pas et qui servent juste à terroriser les femmes et à les empêcher de vivre.

Enfin, last but not least. "Le silence ouvre la voie à la récidive." Non, non, non et non. Ce qui ouvre la voie à la récidive c'est l'acte du violeur, ce qui ouvre la voie à la récidive c'est la culture du viol que ce torchon alimente copieusement, ce qui ouvre la voie à la récidive c'est de faire peser, ne serait-ce qu'une seconde, sur une victime le fait que son violeur puisse recommencer. La victime n'y est pour rien, ni pour son viol, ni pour les éventuelle récidives que son agresseur pourrait commettre.

J'entends d'ici les "mais il faut bien faire de la prévention". Expliquez moi pourquoi cette prévention a toujours pour but de limiter la liberté des femmes, en les empêchant de boire, de sortir, de s'habiller comme elles le souhaitent et maintenant de sortir la nuit ?
Demandez-vous si vous diriez la même chose à un homme. (je vous renvoie aux chiffres des agressions subies par les hommes). Avez-vous déjà vu quelque part qu'on dise à un homme d'éviter les endroits isolés ? Les parkings ? De ne pas rentrer seul ?

Que fait cet article ? Il entérine l'idée qu'on ne peut rien faire contre les agressions sexospécifiques. Elles sont de toutes façons dues à notre morphologie c'est dire. On se rend tous et toutes bien compte que ces conseils, en plus de ne pas tenir compte de la réalité sont inapplicables. On tombe donc en plein culture du viol, à ce niveau là c'est de l'art. On entérine l'idée que le viol est un impondérable (la morphologie contre laquelle on ne peut rien). Il donne des conseils qui n'ont rien à voir avec la réalité mais qui donnent l'impression que le viol nous attend à chaque coin de rue ce qui montre qu'on n'a pas d'autres choix que de faire avec. Il tente de nous instiller une peur paralysante. Et enfin, le pire c'est qu'on ne peut, même si on le voulait, appliquer les conseils qu'il préconise, puisqu'ils sont irrealistes. Ainsi si une femme est agressée/violée dans une des situations  décrites, elle ne manquera évidemment  pas de se sentir coupable. "tu n'a pas d'autre choix que de rentrer par un chemin mal éclairé mais comme on t'a prévenu si tu es violée tu l'auras cherché" ; la boucle est bouclée, le violeur viole et la victime se sent coupable. Nous enseignons en permanence aux femmes la façon de ne pas être violées (en limitant leurs libertés) pour de toutes façons les blâmer d'avoir été violées. Le violeur lui est curieusement toujours très très absent (ou a un tas de bonnes excuses/raisons).

Je vais évidemment faire parvenir ce texte à Valls et Vallaud-Belkacem et je vous conseille de les alerter sur cette page également, de la manière que vous jugerez opportune.


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