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Evangeline Masson-Diez raconte « Micha, Elena et les autres »

Publié le 21 octobre 2013 par Asse @ass69014555

masson-evangeline-Micha--elena-et-les-autres.jpgLes Roms effraient autant qu’ils fascinent. On les dit danseurs, musiciens, voleurs ou mendiants  ; on suppose les connaître pour ne pas avoir à les rencontrer. On s’excuse d’être impuissant face à leur insertion en prétextant que le peuple rom est par essence méfiant et replié sur lui-même. Le Rom semble un être à part  ; étrange autant qu’étranger. Trop semblable pour laisser indifférent et trop différent pour être notre semblable.

Après avoir travaillé trois ans à leurs côtés pour défendre leurs droits à vivre dans nos villes, Evangeline Masson partage ces rencontres à travers ces portraits livrés sans faux-semblant ni naïveté. Loin des clichés et des fantasmes, Micha, Elena et les autres. Vies et visages de Roms en France raconte le quotidien de quelques familles au-delà du rapport fugace que nous avons parfois avec elles, au coin de la rue, devant un magasin ou à travers un article de presse. 

Véritable invitation à la rencontre de ces migrants relégués aux marges de nos cités, ce livre donne un visage à ces étrangers afin de nous inciter, tous, à oser la rencontre avec ces migrants, et, ainsi, peut-être changer nos regards.

« Je ne connais pas les Roms, je connais seulement des familles roms. Des familles souvent pauvres, exclues et marginalisées, qui ont tenté une migration de survie, habitées d’une adaptabilité étonnante, d’une volonté infatigable de se battre et d’offrir un meilleur avenir à leurs enfants. »

Préface de François Soulage, président du Secours catholique et ancien conseiller de Michel Rocard.

ISBN : 978-2-35603-006-1

Extraits 

"La fin du bidonville est pour bientôt mais aucune date n’est arrêtée. À croire que les pouvoirs publics n’attendent qu’une chose : que la situation dégénère, que les familles s’éparpillent et que le lopin de terre soit abandonné afin d’éviter une procédure légale, longue et coûteuse. La pression est quotidienne mais beaucoup de familles me disent avoir connu pire sur d’autres sites. Des policiers du commissariat voisin viennent de temps en temps, contrôlent les identités et vérifient l’état des locaux occupés. Régulièrement, un représentant de la Ville, propriétaire du site, passe rappeler l’expulsion prochaine et l’interdiction d’occuper le site. Souvent ces visites sont suivies d’une autre visite : celle d’un homme et d’une traductrice de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui viennent proposer des « aides au retour volontaire » pour la Roumanie. Avec la promesse de toucher 300 euros par adulte et 100 euros par enfant, l’offre est alléchante ; le vieil homme à la montre en or et quelques jeunes mères se laissent séduire, tout en me promettant de revenir vite. Après le départ des représentants de l’Ofii un jeune me dit en rigolant qu’il est ravi de profiter de « cette agence de voyage nationale »."

p. 41

"Pour faciliter le départ des familles, une proposition d’hébergement est émise : quelques mois en centre d’hébergement pour la famille d’Elena, diagnostiquée comme la plus fragile par la ville, un mois en hôtel en banlieue pour les autres. Un seul mois, juste assez pour les mettre à l’abri mais trop peu pour permettre la scolarisation des enfants et la stabilité nécessaire à une insertion. Personne ne peut préciser les adresses, si ce n’est que les familles seront réparties dans plusieurs hôtels éloignés les uns des autres. Les familles savent que là-bas les femmes ne pourront pas cuisiner ni les hommes récupérer des ordures à revendre. Mais aucune date n’est précisée, il s’agit de propositions abstraites et non confirmées. Il faut attendre, encore et toujours. Et vivre avec l’imminence de cette expulsion menaçante et imprécise."

p.46 

Depuis un mois, il a récupéré un chiot qui l’accompagne dans ses journées de mendicité. Il s’est cotisé avec un ami pour l’acheter à un revendeur sous le manteau. Ils se le partagent, chacun ses jours de mendicité avec ce petit compagnon. On lui avait raconté que mendier avec des petits animaux fonctionnait bien. Et c’est vrai. Une vieille femme du quartier qui ne lui a rien donné pendant des semaines lui donne une pièce depuis qu’il a son chien. Elle s’arrête parfois pour gratter la tête de son compagnon et lui déposer une boîte de pâté. La dame qui habite dans l’immeuble haussmannien en face de la boulangerie, au quatrième, donne un euro lorsqu’elle est accompagnée de son fils ; « pour le chien », précise-t-elle clairement à chaque fois. À croire que les riches s’apitoient plus sur un chien que sur un homme."

p.56 

"Il se souvient encore d’avoir déchiffré le panneau : Pierrefitte-sur-Seine. Et là Manuel a vu le bidonville, ce morceau de terre à l’allure de décharge d’où émergeaient quelques caravanes et cabanes. Il a posé son sac et regardé autour de lui, ahuri : la saleté, la boue, la promiscuité malsaine, l’absence d’intimité, le manque d’hygiène, les caravanes insalubres, les baraques construites tels des taudis, l’absence d’eau courante et de toilettes... Il s’est senti mal, dépassé par la situation. Il ne pouvait croire qu’il allait devoir habiter cet endroit. Il a cherché le regard de son père mais ce dernier était déjà loin devant. Il avançait d’un pas décidé et saluait les habitants. Résigné, Manuel a suivi son père à travers les baraques du bidonville. Inquiet, il a essayé d’appréhender du regard l’espace où il allait devoir vivre les prochains mois."

p.73 

"Nous descendons et observons, tout décontenancés cet hôtel coincé dans une zone industrielle, vide, sans âme, où il va falloir s’installer. Les Roms sont loin de la ville ; on leur a fait passé le périphérique et ils vont dorénavant se cacher dans une banlieue proche d'un aéroport. Quatre chambres attendent Micha et sa grande famille. Quatre chambres de trois lits tristes et gris avec pour seul décor un téléviseur. Nous écoutons les consignes de l’hôtelier : pas de visites, pas de cris, pas d’enfants dans les couloirs… Nous sortons, le bruit de l’autoroute nous empêche de parler. Heureusement, car aucun mot n’existe pour se rassurer dans un tel enfer."

p.89

" Daniela sait qu’elle doit beaucoup à Ciprian. C’est grâce à lui qu‘un jour, elle a accepté de quitter le camp où ils vivaient sous tente dans le sud de Paris pour le suivre avec les enfants dans un hôtel de banlieue. Les premiers jours, ils changeaient d’hôtel toutes les semaines au gré des places attribuées par le 115. Ils ont connu des hôtels à Villepinte, à Orly, et plusieurs dans le Val de Marne. Ils ont déménagé en portant leurs maigres affaires. Ciprian s’occupait de tout, de trouver les transports pour se rendre à leur nouvelle destination et s’orienter dans des villes inconnues. Les enfants allaient à l’école autant que possible, quitte à faire plus d’une heure de transport. Depuis deux mois, ils avaient la chance d’avoir un hôtel fixe dans cette ville-dortoir de l’est parisien. Daniela et ses enfants avaient trouvé leurs repères dans ces deux chambres. Elle réapprenait à cuisiner avec des plaques de cuisson, elle avait décoré les lits de couvertures colorées, les enfants regardaient la télévision en français, Denisa avait même accroché son emploi du temps sur le petit placard du coin cuisine."

p.124


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