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La question du développement de Casablanca (2/3)

Publié le 02 novembre 2013 par Massolia


Rachid Haouch, architecte-urbaniste et paysagiste dplg tire la sonnette d’alarme.

Contribution en trois parties dédiée à la thématique de Casablanca. Découvrir les autres parties ici

3/ Casablanca est une ville qui a perdu son système de parcs.

A l’instar de Paris, Bruxelles, New York ou Philadelphie…, Casablanca était bâtie autour d’un système de parcs.En effet, sous les directives du paysagiste Jean Claude Nicolas Forestier, lui-même influencé par le paysagiste Américain Olmstead, celui qui a réalisé Central Parc de New York, l’architecte-urbaniste Prost a réalisé son plan d’urbanisme suivant deux axes importants : le boulevard périphérique qui allait de la mer à la mer et qui est devenu aujourd’hui, le Bd Zerktouni, Le Bd de la résistance et le Bd Emile Zola.
Cependant, à l’instar de Barcelone ou de Paris, imaginons un instant sous ce grand boulevard un tunnel à deux fois deux voies où on roulerait à 80km/h avec des bretelles d’accès en surface,comme c’était le cas du tunnel sous l’esplanade de la mosquée Hassan II, afin de résoudre le problème des bouchons d’aujourd’hui dus au fait de ville semi-radio concentrique.
Un tunnel donc, qui coûterait seulement 5 milliards de dirhams sur 5 ans et qui serait financé par la mise en hauteur des bâtiments, ce qui a été à l’œuvre à Barcelone.
L’effet d’entonnoir de la ville de Prost crée des effets d’étranglement et ce, quel que soit le système multimodal mis en place.
A titre d’exemple, il passe de 100 000 à 150 000 véhicules par jour sur la place des Twin.Et par ailleurs, plus de 50% des déplacements à Casablanca se font à pied, mais les trottoirs qui les supportent n’ont pas de statut juridique et ils sont impraticables pour les personnes à mobilité réduite.
Cependant, on a densifié les quartiers Maarif, Racine et Gautier, etc., en transformant des villas en immeubles sans changer les emprises des voiries, ce qui a pour conséquence de multiplier par vingt le parc automobile du centre contemporain.

Et l’autre boulevard, dont il est question, plus urbain cette fois, c’est le Bd Moulay Youssef, c’est un système de parcs qui allait de la mer à la mer et qui est formé de places, de placettes, de jardins et de parcs le long du boulevard.Pour retrouver ce système, il faut revoir l’aménagement de ce boulevard et le relier de part et d’autre au parc de la ligue arabe, à l’esplanade de la Mosquée et à la corniche. Ce qui donnerait aux Casablancais un poumon vert d’une consistance de plus de 50 ha. Malheureusement, aujourd’hui, on y a parsemé à outrance des panneaux publicitaires de 3x4m, ainsi que dans tous les boulevards historiques sans penser un instant à la pollution visuelle et au saccage de l’espace publique que cela engendre.

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’on n’a plus construit aucun parc à Casablanca depuis plus de 70 ans.Et, le ratio en m² des surfaces de verdure par habitant est de 0.5m², ce qui est vingt fois moins que la normeOMS qui exige 10m² en milieu urbain et 25m² en périphérie urbaine. On n’a réalisé entre autres que 15% de surfaces vertes inscrites sur le plan d’aménagement de Pinceau. Et on est en train de refaire la même chose sur les futurs plans d’aménagement car ces surfaces sont inscrites sur des parcelles privatives difficilement expropriables.
Et tant qu’on n’aura pas une loi régissant le droit de préemption urbain, une DPU qui obligerait la collectivité locale à acquérir un terrain en premier au nom de l’intérêt général pour y bâtir un équipement, on subira toujours la dictature de la promotion immobilière et ce sont les Casablancais qui souffriront plus encore. Par cette loi, la ville de Paris a atteint un ratio de 20m²/habitant de surfaces vertes en 20ans.

Aujourd’hui, la pollution à Casablanca dépasse au quotidien de 3 à 4 fois les alertes des normes CEE, il y a aussi plus de 25% d’asthmatiques dans cette ville.

Et si on plantait des arbres ?

Un arbre de 30ans et de 10m d’envergure avec un feuillage épais dépollue 2 tonnes de poussières par an et rejette 700 litres d’eau par jour sur une portée de 16ha, c’est ce qui a été retenu pour définir la norme de l’OMS dont rêvent les Casablancais.

4/ Casablanca est une ville qui a perdu sa trame semi radio concentrique.

Le plan d’urbanisme des années cinquante de l’architecte-urbaniste Ecochard a eu raison de cette trame.Pour faire face à la démographie galopante, il a créé une nouvelle trame urbaine régulière contradictoire de la première, qui a tiré Casablanca vers Mohammedia, ce qui a créé un urbanisme lamellaire et des coupures de la mer par la voie ferrée et l’autoroute.Cette nouvelle trame, issue du zoning urbain de la séparation des fonctions entre l’habitat, le logement et les loisirs a vu naître de nouveaux quartiers populaires qui ont eu du mal à rivaliser avec les quartiers de Prost. Et, au lieu de rattacher cette partie de la ville à la mer, une deux fois deux voies, spéciale poids lourds, de 4m de dénivellation vient d’y être édifier pour relier les ports secs entre eux et qu’on peut admirer depuis de le train. Ainsi, on vient définitivement de couper l’Est de la ville de Casablanca de son ancrage historique en bord de mer.
Peut-on imaginer un jour envoyer se promener et flâner, les habitants d’Anfa sur Sidi Moumen ou les voir habiter ce type de quartier ?Cette ségrégation spatiale aura du mal à s’estomper en fonction du temps.Il faut, sérieusement et d’urgence penser à inverser cette tendance.
Aujourd’hui, les habitants de ces quartiers ne se disent pas Casablancais, on parle « d’OuladLhay » et ceux qui habitent au-delà de l’autoroute ne savent pas qu’ils sont dans la ville de Casablanca.Cette coupure est en cours de renforcement par le triplement des voies de l’autoroute. Au lieu de créer un éco boulevard inter quartiers qui supprimerait ces coupures et qui créerait des liaisons, on a préféré accentuer encore l’isolement de ces quartiers.
Par ailleurs, le nouveau tramway a multiplié par 3 les bouchons sur Casablanca.
En effet, la ville subit à longueur de journée l’effet d’entonnoir vers son centre-ville contemporain duMaarif et du triangle d’or suite à sa trame semi radio concentrique.
Cette ligne du tramway est perpendiculaire aux principales artères comme au niveau de Zerktouni et Hassan II, Abdelmoumen et Ghandi, etc.Avec en prime abord des stations non couplées aux stationnements et aux bus, cette ligne a créé un effet pervers contre le système multimodal qu’elle est censée engendrer avec les autres moyens de déplacement.
Le tramway est par définition un facteur de développement, il suppose la restructuration des quartiers traversés et leur mise en valeur. Mais on a préféré la réaliser de façade à façade tout en laissant le tramway traverser des quartiers défavorisés et des bidonvilles, ce qui fait qu’on jongle entre modernité et bétonville.
Des études d’impacts auraient pu révéler que le fait de supprimer des voies comme celle du boulevard Mohammed V aurait un impact sur l’ensemble de la circulation et que le fait d’avoir conçu une seule voie montante et une voie descendante de part et d’autre de la ligne stoppe l’ensemble de la circulation automobile en cas d’accident, on aurait dû retenir la leçon du tunnel existant sur Zerktouni…
Il faut un minimum de 5 lignes inscrites dans la trame urbaine pour être efficace.
Et, le futur métro aérien sera difficile à concrétiser. D’abord ce système est abandonné par les pays avancés car trop bruyant et inesthétique. Imaginons un pont longitudinal où il faut monter les voyageurs pour les faire descendre ensuite. Il aura pour autre effet néfaste la destruction de l’échelle architecture des boulevards qu’il traverse. Un méga tunnel serait plus efficace et permettra de créer un système de parcs en surface.
Par ailleurs, cette trame urbaine semi radio concentrique autour de la médina ne possède pas de centre-ville au sens géométrique du terme, un axe comme le Boulevard Mohmmed V ne peut créer de centralité réelle.
Donc Casablanca ne possède pas de centre-ville, seul l’avènement des Twin et le triangle d’or : Zerktouni – Massira – Anfa ont créé fatalement une centralité matérielle qui représente plus de 30% de la richesse commerciale du Maroc, et dont le boulevard Massira englobe à lui seul 30% de celle de la ville.

Rachid Haouch


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