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[Critique] NO COUNTRY FOR OLD MEN – NON, CE PAYS N’EST PAS POUR LE VIEIL HOMME

Par Onrembobine @OnRembobinefr
[Critique] NO COUNTRY FOR OLD MEN – NON, CE PAYS N’EST PAS POUR LE VIEIL HOMME

Titre original : No Country for Old Men

Note:

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Origine : Etats-Unis
Réalisateur : Joel Ethan, Ethan Coen
Distribution : Tommy Lee Jones, Josh Brolin, Javier Bardem, Woody Harrelson, Kelly MacDonald, Garret Dillahunt,  Tedd Harper, Stephen Root…
Genre : Policier/Western/Drame/Adaptation
Date de sortie : 23 janvier 2008

Le Pitch :
Texas, 1980. Alors qu’il chasse près de la frontière mexicaine, Llewellyn Moss tombe par hasard sur les lieux d’un crime sanglant. Un deal de drogue a mal tourné, et tout le monde est mort, même le chien. Parmi les cadavres, il découvre dans une camionnette abandonnée chargée d’héroïne, une valise garnie de deux millions de dollars. Il s’empare du magot, et sans le savoir, déclenche une réaction en chaîne d’un violence inouï. Le tueur psychopathe Anton Chigurh se lance à sa poursuite, tuant comme il respire, sans se presser, le collant patiemment au train comme l’ombre d’un cauchemar. Pendant ce temps, le shérif Ed Tom Bell tente de les rattraper et de s’interposer dans ce jeu du chat et de la souris, mais c’est un homme vieillissant et désabusé. Sa retraite approche, et il est perdu dans un monde de violence qu’il ne comprend pas…

La Critique :
Ce qui met les Frères Coen à l’écart non seulement des autres piliers du cinéma indépendant, mais aussi de presque tous les cinéastes américains modernes est (excepté l’incroyable surplus et consistance de leur talent) le fait qu’ils sont, indubitablement, des cinéastes américains. Dans une ère de mondialisation où toute la notion d’un cinéma « national » s’efface de pays en pays; où les décors de Toronto, Manhattan et Prague se remplacent systématiquement les uns les autres sur la base que hé, c’est pas grave, les centre-villes se ressemblent tous ; Joel et Ethan Coen se distinguent de la meute en focalisant une grande partie de leur attention et de leur affection sur l’atmosphère et l’ambiance propres à leur terre natale.

C’est ce fondement « domestique » qui est responsable de leur popularité fréquemment mainstream : des ouvrages décalés, non conventionnels, étranges et même aussi sombres que les leurs ne trouvent pas une grande portée en dehors du monde art-et-essai, mais quand ils se déroulent dans des décors familiers réalisés avec une authenticité qui n’a pas de précédent, tout à coup c’est moins impénétrable que prévu. Après des tentatives enrageantes de faire fonctionner leurs idiosyncrasies obstinées à l’intérieur des paramètres gênants de comédies hollywoodiennes enchaînées à leurs studios première-classe comme Ladykillers et Intolérable Cruauté, les Coen retournent enfin à leurs origines, infusant leur adaptation sidérante de No Country For Old Men avec le même soin méticuleux (et les paysages desséchés) qu’à leur début en 1984, avec Blood Simple.

Très fidèle au roman de Cormac McCarthy, le film comprend beaucoup des mêmes sombres péripéties et cette même ambiguïté anti-catharsis que certains trouveraient aliénante dans les sources impétueusement européennes dans lesquelles elles apparaissent souvent, mais il offre la fiabilité du véritable contexte d’une Amérique sud-occidentale comme point d’entrée reconnaissable. Il y a probablement plus de séquences insoutenables de suspense et d’humour macabre qu’on a l’habitude d’en supporter, mais il y a aussi quelque-chose de nouveau à l’œuvre ici. Pour la première fois, on dirait que les Frères Coen cherchent à faire autre chose que se marrer un bon coup.

Le film s’ouvre avec la voix plate et confiante de Tommy Lee Jones. Il décrit le sort d’un jeune tueur qu’il a jadis envoyé à la chaise électrique. L’ado avait tué sa copine de quatorze ans. Les journaux parlent d’un crime passionnel, « mais il m’a dit qu’il n’y avait rien de passionnel là-dedans. Il m’a dit qu’aussi loin qu’il pouvait se souvenir, il avait toujours voulu tuer quelqu’un et que si on le relâchait, il remettrait ça. Il savait qu’il irait en enfer. Il y serait dans un quart-d’heure, il a dit. »

L’impact de ces mots résonne mieux en anglais, mais c’est une narration qui mérite d’être écoutée encore et encore. Jones énonce les paroles avec une précision vocale et une émotion contenue qui sont extraordinaires, et donnent le ton à un film qui regarde un homme complètement mauvais avec émerveillement, comme étonné qu’une créature aussi impitoyable puisse exister.

Pour une œuvre qui est comparée autant à un western moderne, à un polar ou à un thriller de poursuite, il est fascinant que No Country For Old Men se révèle plus comme un film de monstre qu’autre chose…quoique le personnage déchaîné, soit presque extraterrestre, mais pourtant techniquement humain. Cet homme étrange s’appelle Anton Chigurh, un tueur psychopathe qui fait son devoir avec un pistolet à air-comprimé, un fusil à pompe silencieux et une coupe de cheveux effrayante à la Sire Lancelot qui apparaît plus comme un défi qu’un look stylé. Dans ce rôle incroyable, Javier Bardem joue l’un des méchants les plus terrifiants du cinéma, et pèse sur le métrage comme une incarnation surnaturelle du bourdonnement inévitable de la mort.

Chigurh n’est qu’un fil de l’intrigue torsadée. Ed Tom Bell, le shérif interprété par Jones, en est un autre. Le troisième suit Llewellyn Moss (Josh Brolin), un monsieur-tout-le-monde débrouillard qui prend la décision plutôt imprudente de s’enfuir avec une valise remplie d’argent qu’il a récupérée dans le désert. Un trafic de drogue a mal tourné, et maintenant plusieurs personnages intéressés aimeraient bien qu’on leur rende ces deux millions de dollars.

Nous sommes en 1980, et le Far Ouest c’est plus qu’il était. Après chaque massacre effrayant, le shérif fatigué de Jones arrive invariablement sur les lieux du crime avec un jour de retard et un dollar de moins, examinant les dégâts et comptant les vies ruinées. Jones et son visage magnifiquement buriné est un trésor international, mais jamais on ne l’aura vu utilisé aussi efficacement à l’écran qu’ici, son élocution soutenue devenant de plus en plus étranglée alors qu’il succombe à ses propres doutes. La lueur dans les yeux de Jones s’éteint progressivement alors que l’histoire se poursuit, et le film est hanté par sa résignation abattue.

Les Coen ont cacheté le langage non ponctué de McCarthy dans le rythme de leurs dialogues loufoques et saccadés, et la photographie écorchée de Roger Deakins capture les paysages vastes et rudes sans aucun indice de romantisme façon la carte postale. Leurs scènes sont impeccablement construites, bâties sur la logique implacable que chaque personnage sait que l’autre n’est pas loin. Le film est tellement leste et économe qu’il n’y a même pas de musique ou de bande-son traditionnelle : juste de longs silences et des effets sonores sur-amplifiés ; un téléphone qui sonne devient un sinistre présage.

Le grand final de No Country For Old Men est initialement déroutant et laissera les nouveaux-venus perplexes. Une simple saga violente au sujet de deux hombres durs-à-cuire. Cette histoire d’une simple valise pleine d’argent, convoitée par tous les pauvres clampins qui ont la malchance de tomber dessus devient soudainement quelque chose de bien plus délicat, contemplatif et tristement mythique. Ces derniers moments sont d’un silence assourdissant, chuchotant une nouvelle grâce et la maturité de ces deux réalisateurs diaboliquement talentueux. La résonance émotionnelle leur va bien. Qui l’aurait cru ?

@ Daniel Rawnsley

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Crédits photos : Paramount Pictures France


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