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Les Damnés: La lignée des Petrova – Chapitre 29

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

Klaus regardait avec une contrarié grandissante la taverne se remplir peu à peu à l’approche de midi. Il s’était refugié là quelques heures plus tôt à la grande surprise du propriétaire du lieu qui ne s’attendait pas à voir débarquer un client, aussi riche soit-il,  dès les premières lueurs de l’aube.  L’homme, encore bouffi de sommeil, avait dû ravaler ses injures  lorsque Klaus, passablement en colère, avait manqué de l’assommer en ouvrant avec fracas la porte d’entrée et était rentré dans la grande salle en le gratifiant d’un regard noir.

Depuis lors, il  jetait à intervalles réguliers un coup d’œil intrigué dans le coin sombre dans lequel ce client aussi discret qu’envahissant s’était installé. Lorsque leurs regards se croisaient, un sourire mielleux, qui laissait paraître une dentition plus que douteuse, se dessinait sur le visage rougeaud et gras du tavernier pour se muer aussitôt en une grimace d’exaspération dès qu’il détournait la tête. Un client qui restait planté là depuis des heures et qui ne consommait pas, c’était horripilant. Il jeta son torchon d’un geste d’impatience par-dessus son épaule et fit volte face si rapidement pour se rendre aux cuisines qu’il manqua de bousculer au passage un autre homme au visage tout aussi taciturne.

En voyant son frère fendre la foule de plus en plus dense et bruyante qui se bousculait pour s’attabler, Klaus cacha mal son exaspération et se redressa vivement sur son siège. Les traits tirés par la fatigue et l’inquiétude, Elijah se laissa tomber sur la chaise face à lui dans un geste las.

- Qu’est-ce que tu fais là ?demanda-t-il d’une voix éteinte.

Klaus se renfrogna encore un peu plus.

- Non, Elijah. La question est plutôt : qu’est-ce que TOI tu as fait pour que cette furie essaie de me transformer en torche vivante, souffla-t-il entre ses dents.

Ce disant, il s’accouda à la table crasseuse en relevant discrètement un pan de sa cape pour laisser apparaître la partie droite de son pourpoint calciné avant de le dissimuler à nouveau aux yeux des clients attablés non loin d’eux. Ces derniers, qui avaient perçu des bribes de leur conversation leur lançaient des coups d’œil suspicieux et interrogateurs que Klaus découragea immédiatement par un regard assassin.

- C’est pas vrai ! se lamenta Elijah en appuyant ses coudes sur la table pour se prendre la tête entre les mains.

Devant l’accablement soudain de son aîné, Klaus ravala la montagne de reproches qu’il avait soigneusement listés depuis que Noura l’avait instamment demandé de quitter sa maison…. En réalité, elle l’en avait carrément éjecté, au sens propre, mais la situation avait été suffisamment humiliante pour ne pas qu’il soit tenté de  s’en plaindre directement à Elijah. Il commençait sérieusement à croire que l’inciter à se nourrir de sang humain n’avait pas  fait partie de ses idées les plus lumineuses. Cela  avait donné à la sorcière une forme éblouissante dont il avait amèrement fait les frais.

- Elle a tué Noah, murmura Elijah d’une voix sourde.

- Je sais. Je t’ai cherché partout hier soir. J’ai vu ce qu’elle en avait laissé.

- Je n’ai pas réussi à lui reprendre le livre.

Klaus leva un sourcil de stupéfaction.

-Ne me dis pas que tu as tenté de la contraindre ? s’étonna-t-il. Après ce que Noah lui a fait, ce n’est pas vraiment malin.

Jamais il ne l’aurait cru capable de s’en prendre à elle de cette manière. Klaus ne sut pas s’il devait s’en réjouir ou pas. Cette tentative malheureuse sonnait le glas d’une relation qu’il réprouvait depuis le début, mais d’un autre côté provoquer Noura n’était pas ce qu’il y avait de plus judicieux à faire surtout en ce moment.

- Nous n’avons pas les fioles de sang non plus. Et même si Neklan revient avec nos frères, nous n’aurons pas celui de Viktor.

- Elle ne fera jamais rien qui puisse te nuire, tenta de se persuader Klaus qui n’était pas du tout convaincu par ses propres propos tant il avait eu du mal à reconnaître dans la sorcière furibonde, la jeune femme désemparée qu’elle était encore deux jours plus tôt.

- Je n’en suis plus aussi sûr…, murmura Elijah, le regard perdu vers la salle maintenant bondée et dans laquelle régnait un brouhaha assourdissant.

- Qu’est-ce qu’on fait ? Je suppose que la tuer ne fait pas partie de tes projets, demanda-t-il avec un pointe de regret.

- J’ai récupéré la dague. Il nous faut trouver Viktor avant qu’il ne se décide à agir.

- Et après ? Qu’est-ce qu’on fait pour le sort ? Si le livre est en sa possession, elle peut le lancer à n’importe quel moment. Et le grimoire où est-il ? Comment fait-on pour le récupérer?

Pressé par son  cadet de trouver des solutions à tous leurs problèmes, Elijah émit un bref grognement d’impatience à moins que ce ne soit d’impuissance. Il avait retourné la question dans tous les sens une bonne partie de la nuit. En vain. La situation semblait inextricable. Il était hors de question de la blesser de quelque façon que ce soit. Il s’en voulait déjà suffisamment de ce qu’il avait tenté de lui faire. Mais il ne pouvait pas non plus la laisser tuer sa famille sans rien faire.

- Peut-être que…

Il hésita avant de poursuivre. Devant son silence prolongé, Klaus l’interrogea du regard et l’incita d’un geste de la main à poursuivre.

-….si tu n’étais plus une menace pour les siens, elle ne s’entêterait plus. Si tu renonçais à lever la malédiction…, hasarda Elijah qui ne savait absolument pas comment son frère allait réagir à cette proposition complètement improvisée.

Il fut surpris par son manque de réaction. Il s’était attendu à ce qu’il se lève d’un bond, indigné par cette idée. Mais il n’en fut rien. En dehors d’une légère crispation de la mâchoire, Klaus resta impassible. Encouragé par cette attitude plus ou moins réceptive, Elijah poursuivit :

- Je sais pourquoi tu veux la briser mais nous serons bientôt réunis et nous n’aurons plus rien à craindre de Viktor. Et  puis, il y a Ivan…. S’il ne te voit plus comme une menace pour sa famille, vous pourriez peut-être…, continua-t-il en ignorant le mouvement de recul que ses propos venaient de provoquer chez son frère.

- Il est humain, je te rappelle, le coupa Klaus visiblement ébranlé par les arguments.

- Raison de plus. Tu n’as plus de temps à perdre.

Klaus pinça les lèvres et concentra son attention sur les fenêtres aux vitres à la netteté plus que contestable pour éviter le regard de plus en plus insistant d’Elijah. Lorsqu’il se leva d’un bond, ce dernier crut un instant avoir été trop loin. Il le regarda avec perplexité se diriger en trombe vers la sortie et quand il en fut presque sur le seuil, il se leva à son tour et lui emboîta rapidement le pas. Il n’eut pas à aller très loin. Il le rejoignit à quelques mètres de là, sur la place du village, alors qu’il entraînait  vigoureusement Ivan par le bras vers une ruelle moins fréquentée. Il  les suivit, scrutant les alentours, espérant secrètement que Noura n’était pas loin.

- Tu n’apprends décidément rien ! Que fais-tu ici, seul, alors que Viktor rode encore dans les parages ! fulmina Klaus en le poussant sans ménagement contre le mur.

Mais devant le visage blême et l’expression paniquée du jeune homme, la colère du vampire l’apaisa aussitôt.

- Qu’est-ce qui se passe Ivan ? demanda Elijah intrigué.

- On a un autre problème…, répondit-il d’une voix étranglée par une angoisse à peine contenue.

~*~

Deux heures plus tôt, Ivan avait profité d’une relative accalmie pour sortir le plus discrètement possible de la maison. Du bureau de son père, lui parvenait encore la voix passablement énervée de Noura, quelques fois entrecoupée par le fracas d’objets qui faisaient les frais de la colère de la jeune femme.   Il entendait également celles beaucoup plus posées de son père et de Maïa qui tentaient vainement de l’apaiser.  Il avait refermé avec d’infinies précautions la porte d’entrée et s’était  dirigé vers l’écurie à grands pas. Il avait sorti son cheval et attendu d’être sur la route pour monter en selle et éperonner vigoureusement l’animal. Il avait parfaitement conscience que si sa tante découvrait, à ce moment là, sa nouvelle fugue, elle allait certainement lui faire payer très cher sa nouvelle imprudence. Mais la scène à laquelle il avait assisté un peu plus tôt ne lui laissait pas le choix. Klaus était horripilant, certes, mais c’était tout de même son vrai père et lui avait sauvé la vie.

Lancé au galop sur la route enneigée, Ivan parvint rapidement au village. Il chevaucha au pas dans les ruelles encore endormies et envahies par la brume matinale. Arrivé sur la place centrale, il descendit de cheval et tacha les rênes à la barrière de bois qui cernait l’entrée de la taverne. Il jeta un dernier coup d’œil sur la place où quelques silhouettes fantomatiques faisaient peu à peu leur apparition avant de s’engouffrer dans les ruelles étroites adjacentes. La lumière blafarde de ce début de journée hivernale peinait à se frayer un chemin entre les encorbellements des maisons séparées par endroit d’à peine deux mètres.

Lorsqu’il arriva devant l’une des rares maisons de pierre de la rue, il émit un temps d’arrêt avant d’oser en franchir le seuil. Le heurtoir trembla légèrement sur son support de fer quand Ivan ouvrit un peu brutalement la lourde porte. Après un dernier regard vers les deux extrémités de la ruelle, le jeune homme entra dans l’antre du sorcier. Extrêmement mal à l’aise et le souffle court, ses yeux balayèrent l’endroit qu’il connaissait bien pour avoir bénéficié, à de nombreuses reprises, de l’  « hospitalité  bienveillante » du sorcier. Un ricanement dédaigneux lui échappa à l’idée de s’être fait berner aussi stupidement par cette crapule, qui avait réussi au fur et à mesure des semaines à le convaincre que sa famille n’acceptait pas sa différence, que son père ne pourrait jamais occulter le fait qu’il ne soit pas vraiment son fils. Sa gorge se noua en repensant à tout ce qu’il avait fait endurer à ce dernier  au cours de ces mois sans aucune autre raison que cette peur irrationnelle d’être rejeté par ceux qu’il aimait. S’il y avait bien une chose qu’il devait à Klaus, c’était bien de lui avoir ouvert les yeux sur ce point. Il lui avait inconsciemment enlevé un poids qui, certains jours, lui avait donné l’impression de manquer d’air. Cette angoisse latente n’avait, certes, pas entièrement disparu mais elle ne le tétanisait plus au point  de repousser toutes les marques d’affection que les siens n’avaient cessé de lui prodiguer malgré toutes ses erreurs.

Il fouilla de fond en comble la maison du sorcier, reversant le contenu de chaque étagère, tâtant chaque renfoncement suspect, retourna chaque meuble. Au bout d’une heure de vaines recherches, il céda au découragement, commença à croire qu’il était vraiment naïf de croire que Noah ait pu dissimuler les fioles de sang dans cette maison. Debout au milieu de la chambre, le jeune homme, les poings sur les hanches, secoua la tête de dépit. Il s’apprêtait à quitter les lieux et à rentrer au plus vite avant que son absence ne soit remarquée, lorsque son regard fut attiré par le plancher d’un coin de la pièce éclairée par le halo de la lampe qu’il avait allumée.

 Il s’approcha, posa un genou à terre et balaya le sol de sa main. Il inspecta, les sourcils froncés, ses doigts maculés de poussière de bois et instinctivement en chercha la provenance. Ses yeux se levèrent vers le plafond. Il attrapa à la hâte un tabouret et grimpa dessus d’un pas leste. Ses mains tâtèrent les planches au dessus de sa tête jusqu’à ce que l’une d’entre elles ne s’enfonce légèrement sur la pression. D’un coup brusque, il la désolidarisa des autres et tâta à l’aveugle l’intérieur de la trappe qui s’était formée. Lorsqu’il effleura de ses doigts ce qui lui semblait être un coffre métallique, un sourire de satisfaction apparut sur ses lèvres. Il se hissa sur la pointe des pieds pour pouvoir s’en saisir et le sortit en poussant une exclamation de victoire qui fut vite étouffée par une voix familière arrivant derrière lui et qui l’apostropha en des termes peu flatteurs :

- Qu’est-ce que tu fais ici, imbécile ?! fulmina Noura dont la colère avait été manifestement ravivée à l’extrême par la nouvelle escapade de son neveu.

Comme un enfant pris en faute, Ivan serra le coffret contre son torse et hésita sur le mensonge qu’il allait bien pouvoir inventer. En voyant le regard noir de sa tante, il finit malgré tout par opter pour la vérité.

- Nous devons tuer Viktor pour sauver Maïa mais je ne veux pas que tu t’en prennes à mon père, bredouilla-t-il.

La colère de Noura retomba d’un coup, elle se raidit comme s’il venait de lui lancer en pleine figure un seau d’eau glacée. Abasourdie par le désarroi soudain qu’elle lisait sur le visage du jeune homme, elle peina reprendre son souffle que la surprise lui avait coupé.

- Je sais tout ce qu’il a fait mais je suis sûr qu’il n’est pas complètement….irrécupérable, tenta-t-il maladroitement de se justifier. S’il n’était qu’un monstre, il ne m’aurait sauvé, Elijah ne le soutiendrait pas de cette manière et ….maman n’aurait pas tenté de le sauver.

Il ravala ses larmes et inspira profondément pour dénouer le nœud qui lui serrait la gorge et présenta le coffret à sa tante.

- Je te le demande Noura : brise le lien qui les unit et laisse-le tranquille tant qu’il ne représente pas une menace pour nous.

Hésitante, la jeune femme regarda, un moment, la boite qu’il lui tendait en se mordillant la lèvre et, d’un geste qui lui coutait énormément, finit par consentir silencieusement en hochant simplement la tête. Elle se saisit du coffret et l’ouvrit doucement pour découvrir les cinq fioles qu’il contenait.

Mais soudain son visage sembla se vider de tout son sang. Blême et tremblante, elle sortit l’une d’entre elles. Elle leva un regard horrifié vers Ivan qui ne pouvait détacher son regard du petit récipient vide mais qui gardait sur ses parois de verre la marque du liquide qu’il avait contenu. Elle tenta de se ressaisir rapidement. Elle se débarrassa du coffret sur le lit et agrippa Ivan par les épaules pour capter son attention qu’il portait toujours sur la boite dont le contenu était éparpillé sur le couvre-lit.

- Ecoute-moi Ivan. Je dois retourner là –bas au plus vite. Reste au village, ne t’aventure pas seul sur la route. Tu m’as bien comprise ? insista-t-elle en le secouant sans doute plus fort qu’elle ne l’aurait voulu.

Il déglutit avec difficulté et acquiesça vigoureusement la tête.

- Fais attention, articula-t-il avec difficulté.

Mais elle avait déjà disparu, se dirigeant aussi vite qu’elle le pouvait vers la chapelle.


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