Magazine Humeur

Bonedoù Ruz ha Koc'h Ki Du

Publié le 06 novembre 2013 par Riwal
Bien peu de mes lecteurs prennent la peine de poster des commentaires sur mon blog. Il en est un, cependant, dont les contributions sont régulières. Anonyme, il s'appelle. Ou bien "elle", allez savoir. Dernier commentaire en date, que je vous laisse le soin de savourer en détail, au cul de mon dernier "post": en gros, me demandant, en Breton, si je dors, il me suggère fortement de réagir à la "révolte" bretonne, "revival" auto-proclamé de la "révolte des bonnets rouges" qui secoua la Bretagne dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, plutôt que de m'épuiser à parler du FN, sachant que par ailleurs les masses africaines nous envahissent, ce qui a priori n'a rien à voir, sauf que si, apparemment, pour ce(tte) brave Anonyme. Clamant ma bretonnitude par le titre même de mon blog, me voilà sommé de prendre position. En faveur de ladite révolte, cela va de soi, qui pour Anonyme prend des allures de "dispac'h" (révolution, en Breton), rien que ça. Une sorte de surmoi surgi des brumes cybernétiques m'enjoint donc de rallier la cause des nouveaux "bonnets rouges", à tout le moins d'en parler.Bonedoù Ruz ha Koc'h Ki DuIl se trouve qu'aux dernières nouvelles le gouvernement avait, une fois de plus, reculé devant une fronde anti-fiscale, suspendant la cause apparente - ou, plus exactement, "la goutte d'eau qui avait mis le feu aux poudres" - du courroux breton, à savoir l' "écotaxe" sur la circulation des poids lourds. Fin de l'histoire, "echu an abadenn", plus la peine de s'énerver, fût-on Breton. Las, les "bonnets rouges", ce jour, par la voix du maire de Carhaix, en remettent une louche: il convient que gouvernement supprime définitivement ladite taxe sinon, attention, ça va de nouveau barder dans le Landernau. Bon, là, ça commence à sérieusement me gonfler, cette histoire, il est temps d'en parler.
Pour dire d'abord que, même si l'époque - et son addiction au bruit médiatique plutôt qu'aux questions de fond - s'y prête, goutte d'eau ou pas, il convient de ne pas tout mélanger. Il y a, d'une part, une crise de l'industrie agro-alimentaire en Bretagne. Et, d'autre part, la mise en place en France d'une taxe à vocation écologique d'ores et déjà en place en Allemagne et en Suisse, qui ne s'en portent pas plus mal. D'emblée, on sent bien que le refus de ladite taxe jette un commode écran de fumée sur les causes profondes de la débandade d'un modèle économique qui, malheureusement, concerne 30% de la population active en Bretagne. A cette confusion dans le discours protestataire breton, l'opposition de droite trouve une explication: le gouvernement socialiste, par son "matraquage fiscal", aurait discrédité par avance cette fiscalité a priori judicieuse, puisque décidée par le précédent gouvernement. En substance: les Bretons sont un peu cons et vous leur avez embrouillé l'esprit avec tous vos impôts, maintenant voilà, ils ont le bourrichon tout remonté contre cette taxe qui était vachement bien. Donc si les Bretons n'ont rien compris au film, c'est la faute aux socialistes. Bien géré par un aréopage de génies de l'UMP, ce truc serait passé comme une lettre à la poste, c'est évident. Passons. Toujours est-il que confusion il y a, et qu'elle n'est pas fortuite.Car quelle est cette crise qui jette des milliers de bretons dans la rue, avant d'aller grossir les fichiers de Pôle Emploi? C'est l'effondrement d'un "business model" fondé peu ou prou sur une série de "mono-cultures" généreusement subventionnées par l'Union Européenne, volailles en batterie d'une part, élevage de porcs hors-sol d'autre part, pour prendre deux exemples saillants. Du côté des poulets on subventionne car, au nom d'accords de libre-échange signés plutôt deux fois qu'une par les dirigeants européens - dont, singulièrement, les gouvernants français, de gauche comme de droite - on a mis en concurrence des Bretons, des Brésiliens, que sais-je encore, sur un marché désormais mondial. Or l'Union Européenne entend supprimer la "restitution", subvention destinée à compenser le manque de "compétitivité" des entreprises européennes - comprenez: les salaires à peu près décents - en matière de production de volaille. Cette suppression n'est pas intervenue par surprise, mais toujours est-il que les dirigeants de Tilly-Sabco, acteur majeur du secteur en Bretagne, en ont déduit qu'il ne leur restait qu'à jeter l'éponge, à savoir supprimer 1000 emplois, excusez du peu. Du côté des cochons, depuis quelques temps les entreprises bretonnes souffrent de la concurrence... de l'Allemagne, où leurs compétiteurs emploient sans vergogne des ouvriers bulgares payés des queues de cerises. Subventions ou pas, pas moyen de s'aligner. Et boum, quelques centaines d'autres salariés à la poubelle. Adieu cochons et poulets, veaux et vaches n'ont qu'à bien se tenir, la Bretagne s'effondre.La faute à quoi, la faute à qui? On ne s'attardera pas sur les ravages de la doxa néo-libérale qui sévit "à Bruxelles", doxa compensée, dans une dialectique perverse, par l'intense lobbying de nations défendant leurs "intérêts": pour ce qui nous occupe, la France s'accroche bec et ongles à la sacro-sainte "politique agricole commune", pluie de subventions dont elle est la principale bénéficiaire. Au final, l'absurdité d'un système qui s'emploie à détruire, au nom de la concurrence "libre et non-faussée", les entités économiques dont elle a encouragé l'émergence ("être présent sur le marché mondial") - des mastodontes de la production alimentaire dont la viabilité ne repose, in fine, que sur l'argent public.On relèvera, en revanche, la constance avec laquelle ce "modèle" est défendu par la plupart des élus bretons. Qu'on songe, malgré l'activisme d'une association comme "Eau et Rivières de Bretagne", à l'impunité dont bénéficie l'élevage porcin hors-sol quant à la pollution aux nitrates des nappes phréatiques. Les plages aux algues vertes en sont le symptôme le plus visible, mais n'oublions pas, surtout, que boire de l'eau du robinet qui ne soit pas dûment filtrée relève de l'inconscience, du côté de Saint-Brieuc.On relèvera, en revanche, la gestion à courte-vue de chasseurs de subventions grimés en "entrepreneurs" et leur fuite en avant dans le gigantisme de la mal-bouffe.On relèvera, en revanche, que les centaines de millions d'Euros versés aux éleveurs bretons afin qu'ils puissent faire mu-muse sur le marché mondial ne sont pas disponibles pour aider à développer des PME viables, non-polluantes et potentiellement génératrices d'emploi.
Alors je comprends le désarroi des centaines de salariés éjectés du système comme des malpropres, et pas seulement parce qu'ils sont bretons. Mais, comme les racistes dans le mot de Léopold Sedar  Senghor, je pense qu'ils se trompent de colère. Celle-ci devrait viser leurs élus, leurs patrons, complices d'un système qui les aura broyés. Et non une "écotaxe" qui, pour autant qu'elle voie le jour, serait justement un premier pas, même timide, vers une sortie dudit système.
Et puis qu'on nous lâche la grappe avec la symbolique des "bonnets rouges". Pour mater cette révolte anti-fiscale, Louis XIV rapatria des frontières de l'Est sa soldatesque qui, après avoir ravagé le Palatinat, pendit, brula et viola à tour de bras en Bretagne. A l'époque, même si on n'avait pas encore vu le plus beau, l'"Etat français" ne rigolait pas avec le respect de son autorité. A l'époque, surtout, l'"Etat français" ne faisait pas l'aumône auprès de ses voisins européens pour entretenir l'économie bretonne à coups de subventions. Il leur faisait la guerre, quitte à se ruiner, d'où son besoin en rentrées fiscales.Alors que certains Bretons, bretonnants ou non, arrêtent de se la raconter avec cette "révolte". Loin d'être un "sursaut breton", elle n'est que l'avatar du moment d'un phénomène bien franchouillard, hexagonal en diable: la détestation des impôts que l'on subit et l'adoration de la dépense publique, pourvu qu'on en soit bénéficiaire. Pas étonnant que le Front National apporte son soutien à cette colère si tricolore.
Et si "bonnets rouges" (bonedoù ruz) il doit y avoir, qu'ils s'en prennent à ces industriels qui nous font bouffer de la merde, et polluent les sols avec leur merde. En Breton, le mot "merde" ne vient pas seul, on se doit de préciser qu'il s'agit de "merde de chien noir" (koc'h ki du). Rouge, noir: joli contraste, effet visuel garanti.
A wech all

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Riwal 521 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte