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Souveraineté(s): le peuple, c'est la gauche!

Publié le 08 novembre 2013 par Jean-Emmanuel Ducoin
Ne nous laissons plus voler par le Front nationaliste les concepts de nation et de souveraineté. Car qu'on soit de droite ou de gauche, la définition n'est pas la même...

Souveraineté(s): le peuple, c'est la gauche!

La bataille de Valmy.

Paresse. Ainsi vivons-nous le temps des manipulations, doublé d’une immense fatigue collective. Il ne se passe plus 
un jour sans que l’odieuse litanie du Front nationaliste de Fifille-la-voilà nous soit déversée par les médias dominants, 
tous complices actifs ou passifs, assez complaisants en tous les cas pour qu’une odeur de décadence philosophique finisse par nous piquer les narines. Trop de raisons président à ce qu’il faut bien appeler désormais une «contamination des esprits». De 
la novlangue aux dérives idéologiques banalisées, tant de digues ont été rompues ces dernières années que toute résolution 
de chemin arrière nécessitera un temps-long, douloureux 
et expiatoire : il est plus difficile de reconstruire une porte que 
de l’enfoncer. L’affaire est sérieuse. Il suffit de se promener 
en France pour prendre la mesure d’une véritable libération de la parole xénophobe et nihiliste (les deux s’accommodent bien) comme manifestation compulsive d’une forme nouvelle de désillusion sociale et politique. Chaque événement d’actualité nous y ramène invariablement, à la fois par paresse intellectuelle et laxisme théorique, mais aussi par soumission 
à la communication politique imposée par la médiacratie 
des éditocrates, jamais les derniers pour rabâcher les banalités d’usage. L’extrême droite laissée en héritage par Papa-nous-voilà aurait «changé» jusqu’à devenir «fréquentable». Mieux, le FN aurait tous les traits d’un «parti comme les autres». Cruelle vérité: la soi-disant transgression de Fifille-la-voilà nourrit autant les médias en quête d’audience que le mal lui-même.
Nation. À ce propos. L’importance de vos réactions 
à la suite du bloc-notes du 18 octobre dernier, déjà consacré à la menace du Front nationaliste, et l’ampleur de vos interrogations autour de la question «de la nation» évoquée ce jour-là méritent un match retour (et probablement plus dans les semaines qui viennent). À vos yeux, non seulement reparler de la nation n’est pas un sujet tabou, mais il serait même redevenu primordial, comme s’il fallait compenser subitement des années de non-dits à l’intérieur même de la gauche-de-transformation. À une condition bien sûr: se (re)mettre d’accord sur la notion même de nation. 

Une précision de sens la plus exacte possible valant mieux qu’une incompréhension, rappelons d’abord massivement que la nation vue depuis la gauche signifie «souveraineté», et que cette souveraineté vue depuis cette même gauche signifie «souveraineté du peuple», notre boussole depuis la Révolution. En ce lieu de la souveraineté comme concept républicain fondamental, qui pourtant donne naissance à toutes les confusions «nationalistes», il est donc aisé d’expliquer en quoi un souverainisme de gauche se distingue d’un souverainisme de droite. Répétez-le autour de vous: le souverainisme de droite, c’est la souveraineté nationale ; le souverainisme de gauche, c’est la souveraineté du peuple, autrement dit «l’association aussi large que possible de tous les intéressés à la prise des décisions qui les intéressent», comme l’expliquait Frédéric Lordon dans un long texte, admirable, publié en juillet 2013 dans le Monde diplomatique. L’économiste poursuivait par ces mots: «Le souverainisme de droite n’est donc rien d’autre que le désir d’une restauration des moyens de gouverner mais exclusivement rendus à des gouvernants qualifiés en lesquels “la nation” est invitée à reconnaître – et à s’abandonner. Le souverainisme de gauche est l’autre nom de la démocratie – mais enfin comprise en un sens tant soit peu exigeant.»  
Idées. Nous le savons. Par peur d’être mal interprété, voire carrément d’être accusé de collusion – idée ignoble au demeurant –, nous avons sans doute trop laissé de côté quelques idées simples par temps de crise. Car tout de même ! Est-ce parce que Fifille-la-voilà pille outrageusement et, hélas, adroitement certains thèmes de gauche – elle cite Jaurès 
et la France industrielle d’après-guerre, bientôt ce sera Marx! –, pour mieux semer la confusion et la désillusion, qu’il nous faudrait abandonner ces idées? Pour les inventeurs que nous sommes du «produisons français» et de toutes les solidarités internationalistes, la crainte suggérée du «repli national» 
est aussi absurde et paralysante qu’elle est grotesque 
et scandaleuse! Sinon, il nous faudrait aussi abandonner 
la critique de la déréglementation financière mondiale au prétexte que l’extrême droite a transformé cette thématique en priorité 
de communication, oubliant que, il n’y a pas si longtemps, 
elle défendait reaganisme et thatchérisme d’un même bloc, 
au nom de la préservation du capital(isme) en tant qu’arme pour continuer d’effacer la question sociale… «On ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris», écrivait Alfred de Musset. Rien n’est fatal ; tout est combat.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 8 novembre 2013.]

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