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Une apologie théologale des principes libéraux

Publié le 10 novembre 2013 par Tchekfou @Vivien_hoch

Dieu veut-il des êtres libres ou des étants soumis ? La réponse à cette question suppose que la différence ontologique (étant/être) redoublée de la différence nature/surnature, trouve dans la différence proprement politique entre collectivisme/libéralisme des points d’appuis, ou au moins des résonnances.

Vivien Hoch

Théologiquement, de la Cause Pemière (Dieu) aux causes secondes (l’être humain en tant que créature douée du libre arbitre), il y a un espace, que la conception chrétienne de création laisse ouvert aux potentialités humaines ; c’est cet espace fondamental qui laisse la porte ouverte au paradigme libéral. Non que le monde humain se réduise à des causes : réduire la vie terrestre de l’homme a un faisceau de causalité serait vulgairement anti-libéral. Bien plus, l’homme a une capacité qui le place largement au-delà du monde créé : celle d’avoit le pouvoir d’être cause de lui-même.

C’est l’idée de causa sui, que Descartes applique à Dieu, mais que saint Thomas d’Aquin applique à l’homme : l’être humain, dit-il, est image de Dieu parce que c’est un être intelligent et volontaire, mais aussi et surtout parce qu’il est « per se potestavium » : il a un pouvoir de lui-même et par lui-même[1] ; un pouvoir si cher aux yeux de Dieu qu’il envoie sa grâce pour restaurer les pleins pouvoirs que l’homme a sur lui-même.

Or ce type d’auto-détermination constitue exactement le principe anthropologique du libéralisme, et sa seule idée directrice. Auto-détermination, qui extirpe par principe l’homme libre de toute chaine de causalité naturelle, surnaturelle, sociale ou économique ; mais également contre l’homme  En régime théologique, comme en régime politique, nous ne sommes pas de simples instruments que Dieu – ou le dieu moderne, l’État – agite comme une marionnette avec les fils de la concupiscence ou de la violence, guidé en cela par des idées universelles et, surtout, idéelles : déconnectées du vécu et de la quotidienneté.

À Pierre Lombard qui voulait réduire la grâce à une irruption de Dieu dans l’homme, mais sans l’homme, Thomas d’Aquin répond que la grâce ne dirige pas l’homme : elle le libère. Et le principe est théologique, voir plus, théologal :

« ce qui est par soi est toujours plus grand que ce qui est par un autre (per se magis est eo quod est per aliud) »[2].

Être par un autre, que se soit par Dieu, par l’État, par autrui, comme contribuable, copain ou ami, est toujours moindre que d’être par soi-même, à l’image de Dieu. Comme Dieu se veut lui-même, il veut des êtres autonomes plutôt que des automates ; c’est pourquoi il gratifie les êtres consistants, originaux et poreux, qui ne se lissent pas dans les conventions sociales et l’ennuyeux cirque des relations mondaines.

Pour dépasser l’idée qui voudrait que l’individualisme est un effet néfaste du libéralisme, il faut rappeler qu’il y a, au fond des doctrines dites « libérales », une conception la societas comme « coexistence aimante » ou comme « entre-soi », à l’envers du déontologisme kantien, et à rebours du « vivre-ensemble ». Puisqu’il n’y a pas l’homme en général, mais des hommes ; et que ces hommes-çi ne répondent pas à des idées pré-programmées d’universalisme, de solidarité désincarnée ou d’idéal régulateur ; la coexistence se fait de manière spontanée, naturelle et par une « discrimination positive » absolument nécessaire à l’entretien d’une certaine amitié.

Autrui, celui avec qui on vit, est d’abord un frère (fraterna) ou un prochain (alicujus), ce qui fonde, en charité, une proximité théologale ; celle-là même que l’on retrouve, à l’état parfait, dans les communautés monastiques ; celle-là même que l’on ne retrouve absolument pas dans les cités contemporaines, où des inconnus sont entassés de force dans des exiguïtés bétonnées, poussés à coexister selon des idées universelles bien éloignées avec un « vivre-ensemble » abscont mais grassement subventionné.

Il n’y a qu’en régime véritablement libéral – une liberté comme principe, non « orientée » par des ficelles collectivistes et enracinée théologalement, qu’on passe de l’individu à la personne, ou de l’homme-esclave à l’homme responsable : celui qui répond de lui-même des interractions qu’il a avec le monde et que le monde, en retour, lui permet enfin d’avoir.


[1] Somme de théologie, prologue de la IIa

[2] Somme de théologie, IIa IIae qu. 23, art. 6, resp.


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