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Chronique des idées et des livres, par Frédéric Gagnon…

Publié le 13 novembre 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

Hegel de Kostas Papaïoannou

   En 2012, la maison d’édition Les Belles Lettres eut la bonne idée de rééditer le Hegel de KostasChronique des idées et des livres, par Frédéric Gagnon… Papaïoannou (1921-1985).  D’abord paru chez Seghers en 1962, cet ouvrage, qui fit date, permit à de nombreux étudiants de s’initier à la doctrine exigeante de l’auteur de la Phénoménologie de l’Esprit et s’attira les éloges de philosophes aussi éminents que Jean Wahl et Jacques Derrida.

   L’ouvrage de Papaïoannou nous révèle la véritable révolution que fut et qu’est toujours la philosophie du maître allemand.  L’humanité a toujours cru que l’Absolu était au principe du Tout ; or pour Hegel, l’Absolu est un résultat.  En effet, ce n’est qu’au terme d’un long processus d’actualisation dans l’existence, d’automanifestation dans l’histoire des hommes, que l’Esprit en vient à la connaissance de soi comme Idée vivante, comme essence éternellement libre.

   Avant d’en arriver à cette conclusion, Hegel (1770-1831) connut un long et studieux développement philosophique, et, à cet égard, les pages que consacre Papaïoannou aux écrits de jeunesse du philosophe sont fort révélatrices.  L’expérience de la réalité humaine comme scission fut déterminante dans les débuts de Hegel.  À la belle unité de l’âme grecque, le jeune Hegel opposait les aspects négatifs du judéo-christianisme et de la raison des modernes.  « Tout d’abord, la conception judéo-chrétienne a dévalorisé la nature en objet, en une créature, écrit Papaïoannou.  La religion de l’au-delà a opposé Dieu et le monde et brisé le lien organique entre l’individu et la cité.  Enfin la Raison moderne a généralisé la scission : après avoir successivement opposé l’esprit et la matière, l’âme et le corps, la foi et l’entendement, la liberté et la nécessité, l’être et le néant, le concept et l’être, le fini et l’infini, la raison et la sensibilité, l’intelligence et la nature, la scission a fini par englober toutes les oppositions antérieures dans celle de la “subjectivité absolue” et de “l’objectivité absolue” : le jeune Hegel y verra l’expression “la plus générale” du dualisme chrétien et du “malheur” moderne. »

   C’est en affrontant courageusement ces contradictions que Hegel élabora le système qui le rendit célèbre.  En fait, le philosophe se fit de la contradiction une alliée dont il tira la dialectique propre au développement de l’Esprit.  Les opposés, dans une telle conception, sont autant de moments dans le développement de l’Esprit, chaque étape nouvelle, supérieure, supprimant tout en la conservant l’étape antérieure.  Ces étapes sont les grands peuples, ou, pour mieux dire, l’Esprit de chaque peuple qui fait l’Histoire.  À la fin cette évolution aboutit « à la réalisation intégrale du Tout, à l’identification du Logos, de la conscience et de la réalité ».  Ce but sera atteint quand « le Concept correspondra à l’objet et l’objet au Concept » (Phénoménologie de l’Esprit, extrait traduit et cité par Papaïoannou).  Autrement dit, la fin de l’histoire sera atteinte, comme l’écrit Papaïoannou, quand « le Logos sera complètement réalisé dans le monde produit par l’homme. »  En effet, c’est dans l’homme, qui est lui-même le Logos, le Concept, que se manifeste l’Esprit.

  

Chronique des idées et des livres, par Frédéric Gagnon…
Ce n’est pas le moindre mérite de Hegel d’avoir introduit en philosophie la dimension de l’Histoire universelle, ce que met bien en lumière l’ouvrage de Papaïoannou.  Or pour Hegel il n’y a pas à proprement parler d’Histoire avant l’apparition de l’État.  Mais l’État hégélien ne correspond pas à un formalisme juridique vide de sens : sa vie est intimement liée à ces aspects supérieurs de la culture humaine que sont l’art, la religion et ultimement la philosophie, activités au travers lesquelles le divin prend conscience de lui-même.  Papaïoannou a donc bien raison de dire qu’il y a dans la pensée de Hegel une « indissoluble unité du divin et de l’humain ».

   Enfin, il vaut la peine de mentionner que l’ouvrage de Papaïoannou comprend un riche choix de textes traduits par l’auteur.

Papaïoannou, Kostas, Hegel, Les Belles Lettres, 2012.

Notice biographique

Chronique des idées et des livres, par Frédéric Gagnon…
Frédéric Gagnon a vécu dans plusieurs villes canadiennes, dont Montréal, Kingston et Chicoutimi.  Il habite aujourd’hui Québec.  Il a étudié, entre autres, la philosophie et la littérature.  À ce jour, il a publié trois ouvrages, dont Nirvana Blues, paru, à l’automne 2009, aux Éditions de la Grenouille Bleue.  Lire et écrire sont ses activités préférées, mais il apprécie également la bonne compagnie et la bonne musique.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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