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Reign (2013) : une insulte à l’histoire

Publié le 16 novembre 2013 par Jfcd @enseriestv

Reign est une nouvelle série diffusée sur les ondes de CW aux États-Unis et CityTV au Canada. On se retrouve en plein XVIe siècle alors que la jeune reine d’Écosse, Marie Stuart (Adelaide Kane), arrive en France afin d’épouser le dauphin, le futur François II (Toby Regbo). Comme c’est d’usage à la vie de cour, diplomatie, complots et potins viennent jeter de l’ombre sur le couple, d’autant plus que la reine Marie de Médicis (Megan Follows) voue une haine tenace envers sa bru. Ainsi se déroule le quotidien de l’Écossaise en compagnie de ses dames d’honneur et de courtisans de haut lignage dont les charmes ne laissent aucune d’entre elles insensibles. Contenant un nombre aberrant d’anachronismes, Reign est probablement ce qui s’est fait de pire en termes de nouveautés à l’automne 2013. Bien sûr, il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre, mais les créatrices de la série se donnent une telle liberté que c’en est gênant. À éviter.

Reign (2013) : une insulte à l’histoire

L’histoire avec un «h» très minuscule

Reign commence alors que Marie, après quelques années passées dans un couvent en Écosse, arrive en France. À ce moment, tout lui sourit : elle est jeune, séduisante et va épouser l’héritier d’un pays dont le prestige émane sur toute l’Europe.  Par contre, les nuages s’amoncellent rapidement sur cette idylle. C’est que le grand astrologue Nostradamus (Rossif Sutherland) a prédit à Catherine que sa belle-fille causerait la perte de son adoré fils. Entre-temps, l’Angleterre menace d’attaquer l’Écosse et le roi Henri II hésite à défendre la couronne de Marie, faute de moyens et surtout parce qu’un espion qui n’est pas démasqué pour le moment évente toutes les ruses militaires françaises. Pour toutes ces raisons, les fiançailles sont donc mises sur la glace. Entre-temps, l’infant du Portugal, le prince Tomas (Manolo Cardona) lui demande sa main, tout en garantissant que son pays ira défendre l’Écosse. À la fin du troisième épisode, Marie accepte, et avec l’assentiment de François…

C’était une surprise pour la plupart lorsque CW a annoncé qu’elle produirait à l’automne une nouvelle série portant sur la vie de l’une des plus célèbres reines de l’histoire. En effet jamais la chaîne ne s’est lancée dans le genre historique et le fait que Reign s’adresse à un auditoire plutôt jeune pouvait susciter certaines craintes. Et ce qui devait arriver arriva; Reign est un genre d’hybride entre Gossip Girl (CW, 2007-2012) et Pretty Little Liars (ABC Family, 2010- ) transposé au XVIe siècle. L’action se centre surtout autour d’un groupe d’adolescentes bronzées qui semblent issues d’une publicité de Covergirl et qui ne pensent qu’à l’homme qu’elles veulent épouser (comme s’il en allait de leur ressort dans  l’aristocratie). À un moment où on célèbre un mariage à la cour, ces nymphes s’ennuient et survient de nulle part une musique moderne et toutes vont danser seules au milieu des convives « like bridesmaids at a Long Island wedding hall». Tout le budget de la série est passé dans les parures, les coiffures et les costumes (très anachroniques), si bien qu’il n’en reste plus pour la vie à l’extérieur du château. Les conséquences de ces décisions « artistiques » nous donnent l’impression d’un huis clos à l’image de The Red Queen (BBC One, 2013- ) où tout est dit des événements marquants de cette période de l’histoire et rien n’est montré, ce qui mine encore plus la crédibilité de Reign.

Reign (2013) : une insulte à l’histoire

« Éduquer » les jeunes

À l’été 2013, la presse a été conviée à visionner en primeur le premier épisode de la série et à assister à une période de questions avec les acteurs et membres de la production. L’une des créatrices de la série, Laurie McCarty y affirmait : « In each episode, we’ll educate people on what element of history helps out our story ». Cet angle d’approche est courant dans les séries historiques, mais le problème ici, c’est qu’on se base sur de fausses prémisses pour construire les intrigues. L’action débute en 1557 lors de la rencontre entre les deux fiancés. À cette époque, François, rachitique et souffrant de plusieurs maux, n’avait que 13 ans et Marie 15. Le contraste est très fort quand on regarde la série puisque les (évidemment très beaux) protagonistes ont l’air d’avoir au moins 20 ans et que François est très actif sexuellement. Ensuite, toute la discorde dans le couple vient du fait que l’Angleterre menace d’envahir l’Écosse et que le roi Henri II hésite à y envoyer des troupes, faute d’argent. Qu’à cela ne tienne, Marie a d’autres options puisque le frère bâtard de François, Sébastien (Torrance Coombs) ne cesse de flirter avec elle, de même que l’infant du Portugal. Le premier n’a jamais existé tandis que le second, ne s’appelait pas Tomas, mais Sébastien 1er, ne s’est jamais marié et est mort en croisade au Maroc 21 ans plus tard. Et il n’a probablement jamais de sa vie rencontré la reine d’Écosse. Enfin, du temps du séjour de celle-ci en France, jamais on n’a remis en question l’union future entre Marie et François et si on a attendu avant de les marier, c’est seulement parce qu’ils n’étaient pas en âge de procréer.

Les mœurs de l’époque sont aussi mises de côté. Greer, Kenna, Aylee et Lola (des prénoms aussi improbables qu’incongrus en France au XVIe siècle), sont les dames d’honneur de Marie. À l’époque, cette charge de la cour était confiée à des femmes issues de la plus haute noblesse et elles étaient choisies en fonction de leur droiture et de leur piété. À l’écran, ce ne sont que des enfants gâtées qui se comportent comme n’importe quelle adolescente du XXIe siècle. Comme l’écrit Roth Cornet dans son article : « They all appear to be completely without a sense or proper court decorum, though they would have likely been trained their entire lives in the subtle and not so subtle courtly arts. » La plupart des dialogues suivent la même logique. Marie, la première fois qu’elle voit son fiancé :« Is that Francis? He’s gorgeous! » et plus tard « ask him why he’s such a moody arrogant ass ». Et lorsqu’un courtisan s’adresse à Henri II:« Your Medici wife and your French mistress» (on est en France; nul besoin de préciser sa nationalité). Mais la palme du ridicule se retrouve dans une scène où l’on participe à un bal. Marie, qui veut rendre François jaloux, accepte de danser le tango avec l’infant Tomas sous le regard médusé de la cour (le tango a vu le jour en Amérique du Sud à la fin du XIXe siècle). Vraiment, on ne s’en sort pas.

Reign (2013) : une insulte à l’histoire

Une fausse controverse

Dans le premier épisode que la presse a pu voir en primeur, il y avait une scène où les dames d’honneur assistaient secrètement aux ébats amoureux d’un couple princier. Ensuite, l’une d’entre elles, inspirée, se retirait pour se masturber. Ce moment de télé a créé un buzz médiatique qui a beaucoup servi à attirer l’attention sur la série. Comme par hasard, les producteurs chez CW se sont rendu compte plus tard que cette scène n’était pas appropriée et ont décidé de l’enlever au montage. Qu’à cela ne tienne; Reign avait réussi à faire parler d’elle.

Da Vinci’s Demons (Starz, 2013- ) est une série que l’on pourrait qualifier d’historique parce qu’elle portait sur les jeunes années de Léonard de Vinci. Mais dans ce cas-ci, on s’évertuait davantage à mettre en scène le quotidien d’un artiste à Florence au XV-XVIe siècle et sans prétendre détenir la vérité. Dans le cas de Reign, on s’appuie sur des grandes lignes de l’histoire qui n’ont tout simplement jamais existé et qui sont prétexte à nous montrer de jolies filles, dans de belles robes et dans de beaux châteaux. Rien de plus. Pour notre plus grand malheur, la chaîne a annoncé au début novembre qu’elle avait commandé de nouveaux épisodes, et ce, malgré des cotes d’écoute très moyennes (à peine plus de 1,5 million en auditoire). De quoi faire durer le calvaire encore un peu plus…



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