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Ol Kainry – Dyfrey

Publié le 17 novembre 2013 par Wtfru @romain_wtfru

Dyfrey Ol Kainry

Trois ans après son dernier album solo Iron Mic 2.0 et deux ans après son disque en collaboration avec Jango Jack, Ol Kainry est de retour sur le devant de la scène du rap français. Et pas de n’importe quelle façon puisqu’avec son album Dyfrey, qui compte 17 titres, il ne se fout pas de la gueule de ses fans. Toujours aussi déjanté, le boug Dyf  revient avec un album très personnel. Loin de ce qui se fait dans le rap game actuel. Ol K1k1, lui, ne recherche pas la punchline à tout prix. Il faut dire qu’il a d’autres atouts. Dyfrey a des choses à dire, des histoires à raconter, des fans à faire rire et à faire chanter. Car force est de constater que cet album est très complet, entre balades et bangers, entre instrus douces et d’autres bien plus percutantes. L’un des MC les plus anciens du marché puise dans ses souvenirs d’enfance et des expériences qu’il a traversé dans sa vie pour livrer un disque complet, au public large et aux références multiples. Bref, Dyfrey est un projet réussi mais on s’inquiète pour le rappeur. En effet, Ol Kainry brille par l’ambivalence donné à son album. Serait-il schizophrène ? Retour en détails sur Dyfrey.

Sentiments

En appelant son album Dyfrey, son surnom qui vient de Freddy – son prénom -, on pourrait croire qu’Ol Kainry est narcissique. Faux. Il souhaitait seulement faire un album personnel. C’est réussi. Et outre le titre de l’album, cette volonté de se confier est omniprésente dans les textes de Dyfrey. Si bien que dans chaque titre, Ol Kainry parle de lui. Son parcours, ses amours, ses idées noires, son enfance, ses projets, le rappeur dit tout. Avec des sentiments bien différents qui transparaissent dans chacune de ses chansons. Ainsi, dans Precog, c’est la nostalgie qui prime « Aujourd’hui j’ai toujours mal, même si ça fait des années, Si t’as d’l'amour pour ta femme chéris-la, marie-la, Je viens d’écrire tout ce que j’aurais dû vivre avec Marina » alors que dans La Pression, c’est plutôt la colère « La colère me pilote », « ma colère explose le plafond », « j’te laisse imaginer quand Dyfrey pétera les plombs ». Dans Face à l’amour, le sentiment prédominant est sans surprise… l’amour. Sa femme, sa fille, ses amis, on entre de plain-pied dans la vie intime d’Ol Kainry. On s’immisce même dans sa tête. Une sincérité et une volonté de se mettre à nu honorable pour un rappeur à cette époque.

Ambivalence dans le vocabulaire utilisé

Mais pour cela, le boug dyf utilise des outils. Le premier ? Un champ lexical très large. Pour donner des aspérités et surtout pour apporter une touche d’humour (graveleux) à ses textes, il n’hésite à à utiliser des mots à consonance sexuelle. Sa principale arme est son pénis, qu’il nous sert à toutes les sauces et qu’il renomme à souhait « Je gifle avec mon bangala, mon bling-bling, mon shamballah » (Crixus)« Le bangala rentre en finesse, 
Tu vas hurler « yes » » (Sans forcer), « il n’y a plus d’king, il n’y a plus d’style, que des coups d’pine dans les fions », « un cobra dans mon caleçon Dim » (Nègre en selle), « Y a du monde au balcon, mon oeil fait des altos, y’a du monde au balcon, non mon bangala fait pas l’con » (Jamais Moelleux), « mon pénis frappe mes genoux, marche comme Marlo dans la street’zer » (Retrofutur Flow). Mais la particularité d’Ol Kainry repose bel et bien dans son vocabulaire cru, avec malgré tout du second degré. Quant il s’agit de parler de cul, il n’y va pas par quatre chemins. Les exemples se multiplient tout au long de l’album « Grosse dalle du minou de Tal, De quoi ? Le minou de Tal ! De quoi ? Le minou de Tal ! » (Sans forcer), « J’ai trop fait d’effort, mets le vibreur, mets ton téléphone dans ton cul », « Tu passes à la radio parce que ta te-cha est touffue » (Canalisez-vous), « Jamais moelleux, que des zizis durs dans mon équipe » (Jamais Moelleux), « Il serait p’tet’ temps qu’tu l’apprennes : ta biatch, je la què-n’ », « Ai-je une bouche à faire des cunnis ? Pas le même flow, même pas de génie », « T’sais quoi ? Mets-toi un doigt, sens-le, évanouis-toi » (Retrofutur Flow).

Mais dire que Dyf est un pervers sexuel comme ce sale pointeur de Laounizi serait bien trop réducteur. Et pour contrebalancer ses champs lexicaux un peu tendancieux, Ol Kainry, en rappeur intelligent, utilise également la force de ses émotions. Encore une fois. Car Ol Kainry ne parle pas seulement avec son pénis mais avec son coeur, les références à sa fille ou à ses amours aidant fortement, notamment dans Demain c’est loin « J’protège les miens (j’protège les miens), J’aime trop ma fille (j’aime trop ma fille) », « J’n'attendrai plus jamais qu’un proche parte trop vite, Pour lui dire que j’l'aime d’amour véritable »,  » J’ai la santé, ma femme m’aime et mes enfants sont beaux, Le vrai bonheur c’est un peu de cash, famille et amis « .

Mais les mots ne font pas tout. Les instru’ jouent pour beaucoup dans l’atmosphère d’un album. Et, comme un symbole, Ol Kainry s’est amusé avec les beat (après l’avoir fait avec les bites) pour ne pas avoir un ensemble trop plat. Si bien que certaines instrus sonnent médiévalo-futuriste comme Crixus, mystico-électro comme Sans forcer, ou rappellent un peu le style Era comme Nègre en selle. Pour d’autres, les percussions tapent fort comme dans La volonté du feu ou, au contraire, se font plus douces, à l’image de Face à l’amour ou John Coffey.

Si Ol Kainry a choisi de telles instrus, ce n’est pas au hasard. Car Ol K’ ne fait jamais rien au hasard. Ainsi, ses beats aux consonances rétro-futuristiques collent parfaitement bien au thème des mangas maintes fois abordés dans l’album alors que ceux qui ‘bouncent’ un peu plus sont réservés pour les titres où le MC fait parler son côté guerrier. Tout colle. C’est rondement mené.

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Kamehameha, karaté et Boucher de Bay Harbour

D’ailleurs, revenons aux références utilisées par Ol Kainry, car, il faut le dire, tout est lié dans Dyfrey. Le boug dyf est un grand enfant dont les héros ne sont pas Malcolm X ou Martin Luther King mais bien les personnages de Naruto ou de Dragon Ball Z. Tout au long de l’album, les références implicites « Les MC’s font ce qu’ils peuvent quand jaune deviennent mes cheveux » (Crixus) ou bien plus explicites se succèdent. Parmi les explicites, on retrouve des clins d’oeil à Naruto « Ma détermination a fait de moi le sixième hokage » (La volonté du feu), « Taijutsu sous gros sourcils » (Sans forcer), « J’suis Hokage de ma commune » (Nègre en selle), « Nicki Larsson, Jirahya , ces bougs sont mes idoles » (Jamais Moelleux), et à DBZ. Ol Kainry, en featuring avec Jamais à l’heure a même dédié un titre de l’album au Manga. Namek est en effet une planète dans Dragon Ball Z. Il est donc logique que ce track soit gavé de référence à Sangoku et compagnie avec notamment le célébrissime gimmick « Je suis le prince, je suis Vegetaaaaaa ».

Enfant de la télé, Ol Kainry ne s’est tout de même pas contenter de regarder les dessins animés japonais. Et toute la panoplie des plus grands films de sa génération sont passés au crible dans Dyfrey. A commencer par Terminator « J’apparais, j’défouraille, j’disparais comme un ninja, John Connor », par Matrix « J’esquive les balles au ralenti, Z’avez enfin la preuve que Morpheus oui n’avait pas menti » et par les films d’actions chinois « Je saigne mais j’ai léché mon sang comme Bruce Lee » dans Crixus et La volonté du feu. Puis vient le tour de Nègre en selle. Un titre qui résonne comme un hommage non-dissimulé à Django Unchained, le dernier film de Quentin Tarantino. Si le clip est tourné dans des conditions qui rappellent celles du film, le texte n’est pas en reste, l’introduction reprenant la voix de Samuel L. Jackson. Les paroles, elles, sont un tour d’honneur des plus grands films des dernières décennies. En effet, Le Seigneur des Anneaux « J’deviens obscur, j’deviens Gollum », Star Wars « J’ramène pas ma team, j’ai la rime Ana-Anakin » et La Haine « La Haine comme Mathieu Kassovitz, Bâtard ne m’enterre pas trop vite » y passent. 

Mais ce n’est pas fini puisqu’un autre chef d’oeuvre cinématographique a une place toute particulière dans l’album : La Ligne Verte, à travers le titre John Coffey, du nom du héros du livre puis du film. Et John Coffey est sans doute l’une des meilleures chansons de l’album. Ol Kainry, écorché vif, s’y confie tout en douceur et en tristesse. C’est même là qu’il se remet en question et l’issue du titre est la même que celle du film : le héros meurt. Un dénouement qui prend la forme d’une question et qui ne rassure pas les fans du MC « est-ce que Dyfrey sera le dernier album? ».

Après les mangas et les films, vient le tour des séries pour ce télévore averti. Ainsi, encore une fois, Ol Kainry a égrainé ses références tout au long de l’album. Et l’auditeur entre immédiatement dans le vif du sujet puisque le premier titre n’est autre que Crixus. Et qui est Crixus? Il s’agit d’un personnage de la série Gladiateur. « Mike Donovan », cité plus loin, est lui l’un des héros de V. Et bien sûr, Ol Kainry ne pouvait pas passer à côté de la meilleure série de ces dernières années. Oui, l’expert en sang de la police de Miami qui tue ceux qui sont passés à travers les mailles de la justice est également présent, dans Canalisez-vous pour être plus précis « mon passager noir est mon partenaire, je n’sais pas lequel me domine ».

Un tueur Ol Kainry ? Non, plutôt un combattant. Dans des morceaux plus égotrip, le MC a puisé dans ses expériences de chaque jour pour ressortir une force extraordinaire de ses textes. Comment? En utilisant le champ lexical de la boxe, un sport qu’il pratique quotidiennement : « Mes bougs savent que je suis un guerrier » (Crixus), « Armé d’une volonté à faire fuir », « C’n'est plus un micro, c’est un glaive », « Qui oserait me dire que j’suis pas méritant ? Toujours j’mets les gants » (La volonté du feu), « J’combats, sans gants
Sauvage, sanglant » (Sans forcer), « Mon coeur braille, mes poings cassent des vitres » (Precog), « aujourd’hui je combats plus que d’une main » (John Coffey). Une certaine force qui le caractérise et qui ressurgit sur l’auditeur. Après avoir écouté Dyfrey, l’envie nous prend de décrocher les gants et d’aller boxer. Là encore une réussite.

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Et les featuring dans tout ça? Deux poids deux mesures.

Depuis toujours, Ol Kainry sait s’entourer. De Lino à Seth Gueko en passant par Passi, le Mc natif d’Evry a des connexions un peu partout dans le rap français. Du coup, dans Dyfrey, Ol K1k1 a rameuté tous ses potes pour poser. Et cela donne encore une fois un résultat hétéroclite. Pour commencer, Dyf ne pouvait pas se passer de son vieil ami Jango Jack. Mais en même temps, un album d’Ol Kainry sans Jango Jack est-il vraiment un album de Ol Kainry? Non. Les deux compères de Factor X se retrouvent une nouvelle fois dans Dyfrey pour le titre Qui tu connais avec également Dany Dan des Sages Poètes de la Rue. Ol Kainry n’est pas nouveau dans le rap game et cela se fait ressentir dans ses featuring. Outre, Dany Dan et Jango Jack, c’est Oxmo Puccino qui vient ajouter sa pierre à l’édifice avec un couplet – trop court – dans Face à l’amour. Des anciens donc qui n’ont plus rien à prouver mais qui amènent quand même une certaine légitimité à l’album mais aussi des artistes à la mode. C’est le cas de Youssoupha pour Retrofutur Flow. Grâce à ce duo, Ol Kainry s’assure un matelas confortable de visibilité et de « buzz ». C’est la même chose avec la nouvelle idole des jeunes parisiens Nekfeu qui s’illustre dans Qui tu connais. Autres artistes confirmés présents sur l’album, Médine et Tunisiano. Le premier cité, déjà présent sur Iron Mic 2.0 pour Moi vs Moi, revient en force sur le bonus track L’arme.

Symbole de l’ambivalence des feat dans Dyfrey, après avoir fait appel à des papes du rap français et à des artistes en vogue, Ol Kainry a également pris soin de mettre en avant de jeunes chanteurs inconnus. Ainsi, Mike Kenli, un artiste d’Evry (tiens tiens), vient poser sa voix purement r’n’b sur Demain c’est loin alors que dans le même registre Jihane, déjà présente sur Soyons Fou et artiste qui été passée par le financement participatif sur internet yourmusichall.com, s’immisce dans le titre Horizon. Un tremplin pour eux ? Sans aucun doute.

Conclusion

Si la chronique arrive tard, c’est que Dyfrey méritait qu’on le saigne. Encore et encore. Avec ce dernier album, Ol Kainry nous livre un projet ultra-complet, dans lequel aucun titre ne se ressemble. D’un côté des émotions qui te prennent à la gorge, de l’autre des titres qui donnent envie de bouger. Car le Boug Dyf joue parfaitement avec son auditeur, il peut le faire danser, penser, réfléchir, rire, pleurer. Et c’est bien cela qui fait la force de Dyfrey. Si l’on ajoute à cela des choix d’instrus bien sentis, des références diverses à tire-larigot, on obtient un album quasiment parfait. Quasiment car tout n’est pas parfait. On regrette ainsi la sonorité trop r’n’b de certains morceaux et quelques featuring qui n’apportent pas vraiment de plus-value.

Mais ne boudons pas notre plaisir. Dyfrey brille par son éclectisme hors du commun. Alors que Kaaris s’enferme dans « la chatte à ta mère », Ol Kainry, lui, s’ouvre à tout. Rien est éludé, tout est évoqué. De manière différente. Vous l’aurez remarqué dans la chronique mais l’ambivalence – voire plus – est omniprésente. Et c’est ce que l’on aime chez le plus dingue des rappeurs français. Bref, un album qui est à l’image de ce que l’homme est. Dans la vie et sur … Twitter.

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