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Le monde débarrassé des prédateurs est en fait le monde utopique par excellence

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

Pierre et le loup

par Raphaël Arlettaz (*)

Un monde débarrassé des prédateurs que sont le loup, le lynx et l’ours, est utopique. La prédation est en effet un des principaux moteurs de l’évolution

Raphaël Arlettaz Raphaël Arlettaz

Dans sa tribune (Journal Le Temps du 08/11/2013), l’ancien constituant genevois M. Pierre Kunz s’en prend au lynx, au loup et à l’ours, accusant les médias de traiter superficiellement de leur retour, et les défenseurs de la nature et de la biodiversité de promouvoir leur réhabilitation.
Quelques jours plus tard, Pierre Kunz en rajoute une couche dans un débat sur les ondes de La Première: selon lui, seule la biodiversité utile à l’économie humaine mérite notre attention. Il cite l’exemple de l’abeille qui féconde nos cultures, occultant une réalité intangible: les services de pollinisation sont avant tout rendus par une myriade d’insectes sauvages et non pas par la seule abeille domestique (et l’apiculteur) qu’il semble si prêt à défendre.
L’absence de profondeur d’analyse chez ce parlementaire est symptomatique d’une certaine classe politique qui fait systématiquement fi des acquis de la science, malgré les sommes colossales que ces mêmes acteurs politiques décident d’investir dans la recherche. Le monde débarrassé des prédateurs auquel aspire Pierre Kunz est en fait le monde utopique par excellence. La prédation (manger ou être mangé) est l’un des principaux moteurs de l’évolution. Sans elle, aucun être vivant n’aurait les formes et les fonctions que nous lui connaissons.
M. Kunz s’est-il demandé pourquoi le cerf, proie favorite du loup, avait de si longues pattes et de si longues oreilles? Pour éviter que l’herbe le chatouille sous le ventre? Pour profiter des concerts de cor des Alpes en plein air? D’habitude, on suscite ce genre de réflexion auprès de certains chasseurs qui ne veulent voir dans les prédateurs que de vulgaires concurrents…
M. Kunz précise que nos ancêtres, en éliminant les prédateurs, avaient fait œuvre de salubrité publique. Notre constituant omet sciemment de signaler que nos aïeux avaient aussi éliminé de Suisse le bouquetin, le cerf, le gypaète barbu, le castor et même le si fréquent chevreuil.
Que seraient nos promenades en forêt et randonnées en montagne si on les avait à jamais vidées de ces espèces, qui ravissent également les nemrods? La faune qui a évolué dans nos paysages depuis la fin de la dernière glaciation mérite toute notre attention; c’est l’absence de ce patrimoine durant un peu plus d’un siècle qui constitue une anomalie de l’histoire, pas le retour des prédateurs. Ce dernier est le résultat logique d’un effort collectif génial: la reconstitution progressive des effectifs de leurs principales proies, les ongulés sauvages. Il s’agit ici ni plus ni moins que de faire œuvre de civilisation.
(*) Professor of Conservation Biology. University degrees in Geography and Zoology (~MSc), PhD in Science. Division of Conservation Biology, Institute of Ecology and Evolution, University of Bern
Baltzerstrasse 6, 3012 Bern

Source : Le temps


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