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Didactique: René Caillié, Voyage à Tombouctou

Par Alaindependant

Didactique : Etude de certains aspects soulignés par René Caillié dans son Voyage à Tombouctou 

Luc Collès, CRIPEDIS - UCL

On lira au préalable notre article: “René Caillé et le mythe de Tombouctou”


 1.  Le statut de la femme africaine

 En guise d’introduction à cet exercice, nous proposons de travailler sur les préconceptions des élèves à propos de la femme africaine. Comment la voient-ils? Quelles sont ses activités? Quelle place occupe-t-elle au sein de la famille? Quel rôle joue-t-elle dans la société? Quelles différences perçoivent-ils entre la femme africaine et la femme européenne? En Europe, au XIXe siècle, la femme était-elle soumise à son mari? Pensez-vous que la situation a évolué? A votre avis, des progrès doivent-ils être réalisés?[1]

Après cette discussion, le professeur distribuera un texte décrivant la condition de la femme africaine aujourd’hui. Ce texte sera  extrait de l’ouvrage de E.E. Evans Pritchard, La femme dans les sociétés primitives et autres essais d’anthropologie sociale[2]. Une des premières grandes caractéristiques touchant à la condition de la femme chez un peuple primitif est “l’absence de femmes célibataires” (p.38). Toutes les jeunes filles se marient, et souvent très tôt. Elles n’ont pas le choix entre le célibat ou le mariage, comme c’est le cas dans les sociétés modernes. L’occasion offerte à toutes les femmes de trouver un époux s’explique par l’autorisation et la pratique de la polygamie: les hommes prennent autant de femmes qu’ils peuvent en nourrir.

René Caillié souligne qu’il n’a pas vu chez les Mandingues une seule fille célibataire; il est étonné de constater “qu’eles se marient toutes, belles ou laides”.. La polygamie est une pratique courante en Afrique, aussi bien chez les mahométans[3] que chez les Noirs non musulmans. Cependant, alors que les premiers sont limités à quatre femmes, les seconds “en épousent autant (…) qu’ils peuvent en entretenir” (Caillié, T.1, p.269) ; Caillié signale toutefois que les Maures sont monogames et que les Mauresses “ont beaucoup d’ascendant sur leurs maris”, ceci étant très rare en Afrique.

Les devoirs qui accompagnent la mariage (entretenir la maison, préparer les repas, éduquer les enfants…) sont tels que la femme appartenant à une société primitive a rarement la possibilité de participer à la vie publique. Mais cet inconvénient par rapport à l’homme n’est pas ressenti comme tel par l’épouse : “elle ne désire pas que les choses soient autrement, et elle serait fort étonnée de savoir que, dans notre société, beaucoup de femmes sont célibataires et sans enfant” (p.38). La femme primitive adulte est avant tout une épouse dont la vie se concentre sur sa maison et sur sa famille. Elle souhaite une grande famille car les fils et les filles aident quotidiennement leurs parents dans les tâches ménagères et leur assurent une vieillesse confortable. Elle donne donc le jour à plusieurs enfants mais beaucoup meurent en bas âge.

Dans les sociétés primitives, “bien que l’amour sexuel s’y manifeste à profusion, il existe rarement un sentiment correspondant à ce que nous entendons par amour romantique”. (p.40) La jeune fille, bien qu’elle ait naturellement des préférences pour certains hommes, ne conçoit pas que l’amour sentimental doive précéder le mariage et y jouer un rôle. L’homme primitif “détient invariablement l’autorité, bien que dans certaines sociétés et dans certaines circonstances les vieilles femmes puissent aussi l’exercer” (p.43) Lorsqu’elle se marie, la femme échappe à l’autorité paternelle pour subir l’autorité maritale. Personne ne conteste que c’est au mari, et à lui seul, de prendre les décisions importantes en ce qui concerne la maison, l’éducation des enfants, les fiançailles des enfants…

Dans son récit de voyage, Caillé rencontre des femmes musulmanes et des non-musulmanes. Les femmes africaines présentent un certain nombre de caractéristiques communes quelle que soit la religion embrassée. Certains aspects de la condition sociale de la femme musulmane sont liés à la religion de Mahomet. Nous songeons notamment à la soumission de la femme à son mari, à la séparation des sexes lors des repas… Dès lors, dans certains cas, se pose la question de savoir si ce sont les traits de la culture africaine qui s’imposent ou bien les préceptes coraniques. En ce qui nous concerne, nous pensons que la religion prédomine et qu’elle vient se superposer à la culture africaine. En d’autres termes, la soumission de la femme musulmane à son mari s’expliquerait d’abord par la volonté du Prophète, mais elle serait aussi conforme aux habitudes africaines.

Comme d’autres explorateurs européens, Caillié remarque que les femmes africaines mènent une vie à part, n’étant pas admises aux réunions des hommes, ne mangeant jamais avec leurs maris, ne se permettant même aucune plaisanterie avec eux (T.2, p.36). Dans les fêtes, elles se tiennent à une distance respectueuse de leurs époux. (T.1, p.314). Elles sont présentées comme courageuses, devant en effet accomplir de nombreuses tâches pénibles  tout au long de la journée, et même la nuit. Caillié écrit que dans toute l’Afrique, les marchands ont adopté l’usage d’emmener une de leus femmes pour préparer les repas de la caravane. Pendant le voyage, celles-ci “ne marchent que chargées de pots en terre, de calebasses, de sel…”; “elles portent les plus lours fardeaux, tandis que leurs maris ne s’embarrassent de rien.” (T.1, p.216)

Les voyageurs assimilent volontiers les femmes noires à des esclaves ou, au moins, à des servantes. René Caillié note ceci à propos des femmes mandingues: “Ces malheureuses peuvent être assimilées aux esclaves par les travaux pénibles auxquels on les oblige” (T.2, p.35)

2.  L’image du Noir et du Blanc

Les voyageurs blancs véhiculent, dans leurs récitsde voyage, toute une série d’images à propos des Noirs, présentant assez souvent ceux-ci de manière négative. Ils sont ainsi taxés d’ignorance, de paresse, de perfidie…par les Européens qu’ils hébergent. On peut aisément en déduire que ces derniers se considèrent comme des individus cultivés, courageux, loyaux…C’est ici qu’apparaît l’ethnocentrisme: les explorateurs considèrent l’étranger – en l’occurrence le Noir africain – comme quelqu’un de mauvais par rapport à leurs compatriotes qui posséderaient toutes les qualités humaines. Notre objectif est donc d’amener les élèves à se rendre compte qu’en disant “le Noir est ignorant et menteur”, les Blancs sous-entendent : “Nous sommes francs et cultivés”. Or il est important que les élèves comprennent que les qualités et les défauts n’ont pas de frontière. En d’autres termes, le mensonge, la paresse…sont des défauts univrersels et toute généralisation est abusive. Il faut cependant remarquer que, malgré leur net sentiment de supériorité, les voyageurs reconnaissent malgré tout aux Africains des qualités telles que l’hospitalité ou la joie de vivre.

3. Une approche de la religion musulmane

S’il y a des élèves musulmans dans la classe, nous proposons de partir de leurs connaissances à propos de leur religion Ceux-ci citeront probablement la prière rituelle, le jeûne du Ramadan, le Coran, l’interdiction de manger du porc et le pélérinage à la Mecque[4]. S’ils le souhaitent, ces élèves peuvent également parler de leur propre expérience personnelle au sein de la religion musulmane. A la suite de ces témoignages, le professeur distribuera aux élèves divers extraits de récits de voyage en Afrique occidentale. Chaque passage du texte est consacré à un aspect particulier du culte musulman. Voici la liste des extraits sélectionnés.

 1)   Le Ramadan

CAILLE R., Voyage à Tombouctou, T.1, Paris, La Découvrerte, 1996, pp.169-174

Cet extrait montre combien il est pénible pour un chrétien,non habitué à ce genre de diète au sein de sa religion, d’accomplir le jeûne prescrit par le Coran. Le professeur demandera d’abord aux élèves de relever tous les aspects du Ramadan qui sont évoqués par Caillié: quand il a lieu, en quoi il consiste, quelles en sont les dispenses…Ensuite, il leur donnera comme consigne de retrouver dans l’extrait les nombreux termes faisant partie du champ lexical de la souffrance (souffrir, souffrance, insupportable, succomber, peine, privation…). La souffrance du voyageur permettra à l’enseignant d’introduire une réflexion sur la difficulté de s’adapter à une culture étrangère. La parole pourra être donnée aux enfants issus de l’immigration qui souhaitent témoigner à ce propos.

Pour compléter cette approche, nous suggérons le texte de A. Djebar, extrait du livre intitulé Femmes d’Alger dans leur appartement[5].

2)   La prière rituelle

MOLLIEN G.TH, L’Afrique occidentale en 1818, vue par un explorateur français, présentation de Hubert Deschampps, Paris, Calman-Lévy, 1967.

CAILLIE R., op.cit., T.1, p.102 et p.313

 Dans ces extraits, le voyageur ressent une certaine gêne en constatant la ferveur religieuse des musulmans qui s’arrêtent au milieu du désert pour prier et remercier Dieu de sa protection. Mollien est mal à l’aise d’être le seul debout pendant que ses compagnons de voyage, à genoux, rendent grâce au Créateur pour ses bienfaits.

L’enseignant demandera aux élèves si, dans une telle situation, ils auraient la même impression que le voyageur. Autrement dit, considèrent-ils que les chrétiens doivent ressentir une certaine “honte” par rapport aux mulmans qui vénèrent Dieu à tout moment de la journée?

3)   Le paradis des musulmans

CAILLIE R.,  op.cit., T.1, pp; 161-162 et p.170

Extrait du Coran concernant le paradis où est accueilli le mortel après sa mort

Les deux passages de Voyage à Tombouctou permettent de confronter la conception du pardis dans la religion chrétienne et dans la religion musulmane.  En outre, le premier extrait montre la manière dont les musulmans perçoivent les chrétiens et leur vie terrestre.

Conclusion

Une fois de plus, nous nous sommes servi d’un texte (ici un récit de voyage) comme médiateur pour permettre à nos élèves de découvrir une autre univers, une culture étrangère. S’il y a des ressemblances de contenus entre ce récit et l’expérience de certains élèves de la classe (ceux qui sont africains de confession musulmane), ce texte leur permettra de parler de leur propre culture, de mieux prendre conscience de leurs spécificités et d’échanger avec les élèves belges ou français sur celles-ci.



[1]Le professeur rappelera qu’en Europe, la femme a seulement bénéficié du droit de vote à partir de 1920 (en Belgique : 1948) et qu’elle lutte pour l’égalité des sexes dans tous les domaines de la vie depuis les années60 seulement.

[2]EVANS-PRITCHARD E.E., La femme dans les sociétés primitives et autres essais d’anthropologie sociale, Partis, PUF, 1971.

[3]La polygamie est autorisée par le Prophète: “Epousez comme il vous plaire, deux, trois ou quatre femmes. Mais si vous craignez de n’être pas équitablees, prenez une seule femme.” (Cor, 4, 3-4)

[4]Cf. Sue ce blog, L. Collès, “Pour une approche de l’Islam”, article construit à partir de Promesses de l’islam de Roger Garaudy:

http://alainindependant.canalblog.com/archives/2007/09/19/6266430.html

[5]DJEBAR A., Femmes d’Alger dans leur appartement, Paris, éd. Des Femmes, 1980, pp.149-152. Cf. L’étude de ce passage dans notre ouvrage, Islam-Occident, Fernelmont, 2010, pp.200-204.


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