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Adieu, monde cruel !

Publié le 30 novembre 2013 par Copeau @Contrepoints
Opinion

Adieu, monde cruel !

Publié Par Baptiste Créteur, le 30 novembre 2013 dans Édito

Le monde est cruel : les CDI ne tombent pas du ciel.

S’il est de bon ton d’évoquer le « modèle » français, il est souvent malvenu d’évoquer le système, fut-ce pour en faire l’apologie. On veut continuer à croire, en France, que l’indignation, la contestation sociale et les manifestations festives et citoyennes sont spontanées, autant qu’on aime penser que les manifestations récentes sont manipulées, récupérées, partisanes. Les revendications collectivistes seraient individuelles, les revendications individuelles émaneraient de groupes – ou, pire, de groupuscules.

Ainsi, il va sans dire que la manifestation contre le matraquage fiscal sera forcément de droite, réactionnaire, égoïste ou fera le jeu de l’extrême-droite. Le raisonnement est implacable, comme tout raisonnement simpliste qui se respecte : l’extrême-droite se nourrit du ras-le-bol, donc le ras-le-bol est d’extrême-droite.

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Il est indéniable que le ras-le-bol nourrit l’extrême-droite. Ce n’est pas une bonne chose ; le programme et les principes du Front national sont au moins aussi mauvais que ceux des autres partis. Et, pour ne pas avoir à évoquer le ras-le-bol, les politiciens évoquent l’extrême-droite, le retour du racisme et la menace fantôme fasciste – fantôme, car il n’y a pas beaucoup plus fasciste que les étatistes au pouvoir.

Mais le ras-le-bol, élégamment transformé en « doute » sous la plume engagée (aux frais du contribuable) de Libération, est de plus en plus visible ; une part croissante des Français s’aperçoit que l’État intensifie le pillage du pays au profit des fonctionnaires, des élus et de leurs amis.

Une part croissante, mais insuffisante ; l’éveil des Français à la liberté, source d’espoir, survient dans un intense brouillard. Nageant dans le collectivisme le plus cru, le pays est cuit ; le système français a creusé assez profond le lit (ou la tombe) du pays pour que la réalité soit hors de portée des Français, qui n’ont pas les outils pour la comprendre et la voient au travers d’un prisme idéologique déformant.

La réalité, c’est ce qui ne disparaît pas quand on arrête d’y croire. – Philip K. Dick

S’ils n’ont pas les outils, c’est grâce aux bons soins de l’Éducation nationale, jamais à un exercice de propagande près. Et s’ils la voient au travers d’un prisme déformant, c’est grâce aux bons soins des médias, notamment de la presse, qui vivent sous perfusion étatique et auraient de plus en plus de mal à se passer de leur hôte.

Le Monde, par exemple, s’adonne à un magnifique exercice en présentant la détresse de trentenaires n’ayant pas de CDI. Précarité, incertitude, impossibilité de créer des liens : les difficultés sont nombreuses pour ces jeunes adultes qui enchaînent les CDD.

Ce qu’oublie d’indiquer Le Monde, c’est que ces jeunes devraient en réalité être considérés comme au chômage ; leurs emplois sont avant tout des CDD dans la fonction publique et des contrats aidés.

Alexandra, 29 ans, aligne déjà cinq CDD sur son CV. Diplômée d’un institut d’étude politique en 2006, elle a ensuite préparé le concours d’attaché territorial, qu’elle a obtenu en 2009. « Mais il y a une grosse arnaque : vous réussissez le concours, mais c’est à vous de trouver le poste », explique-t-elle. En attendant, elle obtient un CDD dans un des organismes HLM de la Ville de Paris. Ce sera le premier d’une longue liste, qui rappelle que le public est rarement exemplaire en matière de précarité. « Je connais tous les bailleurs sociaux de la ville. Ils se refilent mon CV pour faire des remplacements », rigole-t-elle. Mais entre-temps, elle perd le bénéfice de son concours et donc la chance de devenir fonctionnaire.

Bien entendu, la lucidité de ces jeunes et de la qualité de l’enseignement et de l’orientation en France ne seront pas remises en question, malgré de cinglants constats.

Alexandra, de son côté, réfléchit à accepter un CDI niveau bac +2, alors qu’elle a deux masters.

La question de cet immense gaspillage ne se pose apparemment pas pour Le Monde. Posons la.

Car le gaspillage dénoncé de l’argent public, de l’argent du contribuable, de vos taxes et impôts est souvent évoqué car on peut le quantifier, il s’incarne dans des monuments, des projets pharaoniques et des salles omnisports qui sont le tombeau de notre beau modèle français et des spectacles vivants qui sont sa procession funèbre ; mais il n’est que le pendant d’un gaspillage bien plus déplorable.

Alexandra a deux masters. Elle a passé des années à étudier, sur deux sujets différents mais sans doute connexes. Et elle cherche du travail, en CDI si possible, mais apparemment il n’y en a pas.

N’y a-t-il pas énormément à faire, aujourd’hui, en France ou ailleurs ? Les produits et services qu’aimeraient acquérir des individus n’importe où dans le monde n’ont pour limite que l’imagination, et le champ des possibles s’étend à mesure que les hommes créent, innovent, conçoivent.

Tous pourraient exprimer leur potentiel, quel qu’il soit, de multiples façons ; mais Alexandra a passé assez de temps à l’école pour accumuler deux masters et ne travaille que par intermittence.

S’il n’y a pas de travail pour Alexandra, c’est parce que lors de ses années d’étude, elle a mal appris des choses pour la plupart inutiles, à peine applicables dans le cadre d’un modèle dépassé.

Si elle avait appris pendant ses études, et surtout appris à apprendre, elle n’aurait sans doute pas trouvé d’emploi non plus ; produire en France coute très cher, et le pouvoir d’achat des potentiels acheteurs est maigre. C’est là qu’on trouve le gaspillage d’argent public, mais pas seulement ; les biais du marché créent une distorsion dans l’allocation des ressources qui détruit de la valeur.

Alexandra ne trouve donc pas d’emploi stable et a du mal à se projeter. Comme les Français dont l’emploi n’est pas garanti et dont le revenu n’est pas fixé par la loi, ces Français qui vivent dans la réalité et qui sont à la merci de l’arbitraire étatique, tributaires des décisions d’un État qui ratisse toujours plus large et plus profond pour financer son train de vie et celui de ceux qui ont eu la chance de devenir fonctionnaires, ou élus, ou les deux.

J’ai vraiment l’impression d’être une variable d’ajustement.

Alexandra sera une variable d’ajustement tant qu’elle ne s’ajustera pas. Baigner pendant des années dans une idéologie collectiviste qui a fait du déni du réel son épine dorsale n’aide pas, mais ce n’est pas impossible.

Cela suppose de comprendre qu’on ne peut pas décréter le réel, que la réalité est un magnifique champ de possibilités à explorer et réaliser mais n’est pas exempte de contrainte. Le monde est cruel ; il faut chercher son propre emploi, même après un concours, au besoin à l’étranger. Il faut offrir quelque chose aux autres, ou produire soi-même ce dont on a besoin, ou dépendre de leur charité. On peut perdre son emploi, on peut le créer, on peut en changer, en trouver. On peut créer, innover, produire, trouver du plaisir dans l’aboutissement d’une création, dans le sentiment de maîtrise et d’excellence, quel que soit le domaine où la compétence s’exprime. On peut apprendre, découvrir, partager, quel que soit le sujet. Mais le monde est cruel ; les fruits tombent des arbres, pas les maisons. Il faut réfléchir, essayer et se tromper. Toutes les réponses ne sont pas établies, et la plupart sont à écrire soi-même ; la vraie variable d’ajustement, c’est ce qu’on fait de sa vie, ce qu’on crée dans sa vie ; c’est soi-même, ce qu’on est parce qu’on peut devenir, ce qu’on fait parce qu’on peut créer.

Donc, bon courage, Alexandra. Tu as bientôt 30 ans ; ta vie est devant toi, CDI ou pas. La réalité ne s’adaptera pas à tes caprices, mais tu peux l’adapter elle, la façonner, la changer, la créer – à condition, d’abord, d’accepter qu’elle existe et qu’elle est ce qu’elle est.

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