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Stephen Harper ne partira pas

Publié le 09 décembre 2013 par Jclauded
Stephen Harper est premier ministre du Canada depuis 9 ans. C’est beaucoup pour un chef conservateur. Surtout durant les années que nous vivons où les politiques conservatrices ne sont pas toujours au goût de la majorité des électeurs. Depuis un certain temps, plusieurs observateurs s’amusent à prédire son départ. Qu’en est-il vraiment ?
Issu de la fusion entre les réformateurs modérés du Bas-Canada et du Haut-Canada en 1854, le Parti Conservateur (PC) devint, de 1942 à 2003, le Parti Progressiste-Conservateur (PPC) en intégrant un parti de l’Ouest. Sa politique était centriste. Puis, suite au regroupement avec le parti Alliance Canadienne (AC), en 2003, le nom redevint Parti Conservateur. Cette union n’en fut pas une d’idées mais de noms seulement et revêtait un caractère opportuniste.
Le Reform Party était un parti populiste créé par Preston Manning dans l’Ouest Canadien. Après ses insuccès lors d’élections fédérales, le Reform voyant son incapacité à gagner des appuis dans l’est du pays changea son nom pour Alliance Canadienne (AC), pensant que son impopularité n’était qu’une question de cosmétique. Suite à d’autres défaites électorales, Stephen Harper devint chef de l’Alliance. Il proposa la fusion avec le PPC du chef Peter Mackay. Plusieurs ex-ministres du PPC telle, Flora Macdonald, et des sénateurs PPC tel, Lowell Murray (il siège encore aujourd’hui comme sénateur progressiste-conservateur), s’opposèrent à cette union dont ils prévoyaient l’issue politique. Mais leurs oppositions furent renversées. Le Parti Conservateur renaquit de ses cendres et Harper le campa carrément à droite.

La conjoncture politique servit bien Harper puisque le parti libéral, alors dirigé par le PM Paul Martin, au pouvoir depuis trop longtemps, fut pris dans un scandale d’envergure nationale, « les commandites ». De plus, Harper promit de baisser la TPS (TVA) de 2%. Le bruit qui en résulta fit en sorte qu’Harper et son parti PC prirent le pouvoir. Harper obtint sa victoire grâce à l’appui de l’Ouest et de certaines régions conservatrices de l’Ontario. Le Québec ne lui donna que 10 députés sur 75.
Les Canadiens ne sont pas majoritairement de droite, si on en juge par les partis de centre ou de centre-gauche qui dirigent les gouvernements des provinces. Et cela, même en Alberta où se trouve la base nationale du PC. Les séparatistes québécois aiment affirmer que les Québécois ne sont pas semblables aux autres Canadiens qui, disent-il, sont conservateurs. Or, cela ne correspond pas à la réalité. Harper est de droite, mais la grande majorité des Canadiens ne l’est pas.
Le Canada n’est pas la France. Là-bas on vote à gauche, à droite, au centre, à l’extrême droite ou à l’extrême gauche. Les Français votent pour les politiques et non les politiciens. Par exemple, lorsqu’on est de gauche, on vote pour le candidat de gauche aux élections nationales, aux départementales, aux cantonales, aux municipales. Les Canadiennes et Canadiens, plus pragmatiques, ne décident pas ainsi de leurs votes. Ils optent pour le parti, son chef et le candidat de leur comté sur la base du programme électoral en tenant compte des problèmes de l’heure. La valeur des candidats compte. Au Québec, il y a en plus d’autres considérations puisque les agissements d’un lointain passé des conservateurs demeurent dans le subconscient des francophones, telles la pendaison du métis Louis Riel ou les deux crises de conscription obligatoire lors des guerres mondiales. Québec se souvient !
Il faut se rappeler qu’Harper a démissionné comme député réformiste pour promouvoir son programme de droite. Il espère, depuis ce temps, que la droite écrase le centre et la gauche comme ce fut le cas en Grande-Bretagne, aux USA et en Nouvelle-Zélande. C’est comme chef de l’opposition qu’il dévoila sa politique étrangère, lors du débat sur la guerre en Irak et le refus du Canada d’y participer : « Ce gouvernement nous a, pour la première fois dans notre histoire, tenu à l’écart de nos alliés britanniques et américains au moment où ils avaient besoin de nous ».
La politique étrangère du PM Harper surprend : boycottage récent de réunions aux Nations-Unis et au Commonwealth, rejet de l’accord de Kyoto déjà signé par son prédécesseur, etc. Il refuse à chaque occasion de faire la part des choses. Alors que le Canada s’est toujours rangé du côté des plus faibles et de la liberté, le Canada d’aujourd’hui appuie inconditionnellement le gouvernement d’Israël dans la lutte palestino-israélienne. Pour lui, le Canada n’est grand que s’il accepte la coalition impérialiste anglo-saxonne, qu’elle soit sous la dominance de Washington ou de Londres.
Quelle différence avec la politique du Parti Progressiste-Conservateur du PM Brian Mulroney que nous rappelle la mort récente de Nelson Mandela. À ce moment-là, le PM et son ministre des affaires étrangère Joe Clark prirent solidement position à l’ONU en faveur de la position de Nelson Mandela et des noirs sud-africains dans leur bataille contre l’apartheid et les Afrikaners, malgré les appuis des conservateurs anglais et des républicains américains aux blancs. C’est Mulroney qui convaincra Margaret Thatcher et Ronald Reagan de mettre la pédale douce et de modifier leurs points de vue. Je crois que l’on peut affirmer clairement aujourd’hui que si Harper avait été alors PM, il aurait ouvertement appuyé les Afrikaners au nom de la coalition impérialiste anglo-saxonne contre Nelson Mandela.

Harper a vertement critiqué le gouvernement Chrétien de n’avoir pas voulu joindre le Canada à la guerre d’Irak. Par contre, il a engagé le pays dans celle d’Afghanistan, sous commandement américain. Il a ainsi ramené l’identité canadienne à la case de départ en modifiant les pouvoirs du gouvernement canadien principalement : la politique étrangère, la défense et l’armée.
En politique domestique, Harper estime que le vrai problème canadien se situe entre les secteurs privé et public. Il n’aime pas le concept de l’État-providence qui, dit-il, a créé une « classe politique » qui ne fait que réclamer davantage de ressources que le secteur privé peut en fournir. La gauche veut des prêts, des subventions, de meilleures pensions, des subsides… La droite veut des réductions d’impôts. Pour Harper, cela se traduit par moins de gouvernement, donc plus de liberté.
Pour lui, l’obstacle principal est le Québec où il ne voit que étatisme, dirigisme, socialisme et « patronage ». Il s’est opposé à l’entente du Lac Meech et à l’Accord de Charlottetown parce que les deux prévoyaient une forme de statut particulier pour le Québec. Il s’est opposé à la « société distincte » car pour lui ce n’était qu’un chèque en blanc pour davantage d’étatisme. Il était et demeure partisan de la ligne dure à l’égard du Québec et refuse de céder à ce qu’il appelle « le chantage du Québec » sur ces questions.
Le PM Harper débute toujours ses discours en français et cela est apprécié par les Québécois qui comprennent néanmoins qu’il est motivé pour ce faire par des aspects politiques. Le malheur, c’est que ses actions politiques envers le Québec ne suivent pas.
Harper s’oppose à la promotion du bilinguisme au Canada. Il se justifie par le fait que le Québec soit officiellement unilingue français. Il ne tient pas compte du fait que plus de 75% des Québécois sont bilingues. Même s’il dit accepter que le français et le l’anglais ont un statut égal dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada, il fait tout pour contrevenir indirectement à ces lois, en nommant trop souvent, comme on a vu récemment, des « mandarins » unilingues à des postes qui requièrent la connaissance de la langue française. Même au Parti Conservateur, cette semaine, il n’a pas osé nommer un francophone comme directeur général, alors que le poste était ouvert.
Je reconnais qu’il a changé plusieurs de ses positions rigides de son temps de député. Pour lui, même s’il pense que la langue française n’est pas menacée au Québec, il accepte aujourd’hui que les provinces puissent légiférer sur la langue et la culture. Cependant, il ajoute un bémol. Leurs décisions doivent respecter la charte pour la défense des droits à la liberté d’expression et au choix de la langue.
En rapport avec la séparation du Québec, Harper n’accepte pas qu’elle puisse se faire suite à une déclaration unilatérale d’indépendance du Québec. Pour lui, la sécession requiert un amendement constitutionnel et le consentement unanime des provinces. Il affirme « si le Canada est divisible, le Québec l’est aussi » et exige une question référendaire claire. Je rappelle qu’il s’est opposé à la « Déclaration de Calgary » qui reconnaissait le « caractère unique » de la société québécoise et l’intégration de cette caractéristique dans la constitution canadienne. Il a souventes fois affirmé « qu’il ne fallait pas céder au « bluff » du Québec ».
Harper a toujours œuvré pour que les valeurs de la droite économique, sociale et religieuse deviennent les valeurs dominantes du Canada. Il calque son travail sur les expériences conservatrices de ses héros, Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Il veut déréglementer, privatiser, baisser des impôts, réduire la dette et diminuer le rôle de l’État. Il refuse de faire des concessions économiques et sociales aux provinces. Il continue de favoriser le libéralisme économique classique et le conservatisme social. Pour lui, le véritable problème est le relativisme moral et la neutralité morale.
En bon politicien, Harper sait choisir ses batailles afin de ne pas trop diviser les rangs de son parti. Il a dévoilé sa stratégie, il y a plusieurs années : « L’important c’est d’aller dans la bonne direction, même si c’est lentement ».
Tout ça me fait conclure qu’Harper n’est pas prêt à démissionner et à risquer que les rênes du Parti Conservateur tombent dans les mains d’un successeur qui ne poursuivra pas avec persévérance la réalisation du projet de droite qu'il s'est fixé pour le Canada.
Il ne partira pas car il craint de voir détruire en un jour l’œuvre de sa vie politique, comme dirait Kipling.
Claude Dupras

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