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LE PONT LEVANT DE LA RUE DE CRIMÉE – Chapitre II – épisode 1

Par Rémy

Chapitre II

Vendredi. Matin clair. Plus loin les arbres de la place de Joinville sont rouges.
François arrive de la rue de Crimée, comme tous les matins du lundi au vendredi. Il s’apprête à passer le pont qui est baissé pour la dernière fois avant le week-end. On ne le reverra pas sur le pont ou la passerelle avant lundi : François ne passe jamais le canal le samedi et le dimanche, comme s’il se l’interdisait. Rien d’attrayant de l’autre côté, semble-t-il, pour l’amener à prendre ce chemin. François est un homme de principe.
Il s’approche tout de même du canal. En effet, tous les dimanches, sauf exception, notre jeune ami fait son marché place Bitche, enfin, presque : le marché qu’il situe place Bitche, car François s’est persuadé que c’était le nom de la place en question, se trouve en fait place de Joinville, et c’est juste de l’autre côté de l’église que l’on peut voir la vraie place Bitche. La raison de cette mégarde reste inconnue, mais cela montre que François est précis à cinquante mètres près.
A plusieurs occasions le nom de la place du marché – Joinville – lui est apparu alors qu’il portait de nombreux sacs de fruits et légumes (il n’a jamais voulu se munir d’un caddie pour des raisons de praticité – le marché bénéficie d’une très forte fréquentation – et un peu, il faut le reconnaître, d’estime de soi). Chaque fois la surprise lui fait quasiment lâcher prise, même si jamais une tomate ne s’est écrasée ou n’a roulée par terre. « Ah ! Cette place s’appelle donc place de Joinville ! », se dit-il (ou s’écrie-t-il, c’est selon). Puis il oublie, et quand on l’amène à parler de son activité du dimanche matin, il dit immanquablement : « J’ai fait le marché place Bitche », même si le matin même des témoins auraient pu relater l’avoir vu tête en l’air, le regard en direction de la plaque indiquant le nom de la place, s’écriant : « Ah ! Cette place s’appelle donc place de Joinville ! ».
On ne s’étonnera donc pas que François passe deux fois par jour devant la place Bitche, la vraie, sans même le savoir ; il ne s’est d’ailleurs jamais demandé quel était le nom de la place qu’il traversait deux fois par jour. C’est ainsi que fonctionne la curiosité de François, quelque peu taupe parfois : il faut que le hasard le place en présence de l’objet de sa curiosité.


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